Guinée : pourquoi la candidature de Cellou Dalein Diallo a été refusée à la présidentielle de 2025

Guinée : pourquoi la candidature de Cellou Dalein Diallo a été refusée à la présidentielle de 2025

5 novembre 2025 Non Par Doura

Analyse

 

À l’approche de la présidentielle guinéenne de 2025, un climat de tension politique s’est de nouveau emparé du pays. L’exclusion du principal opposant, Cellou Dalein Diallo, de la course à la magistrature suprême a provoqué incompréhension et indignation dans l’opinion publique . Officiellement, il ne peut pas faire acte de candidature par ce que son parti politique est suspendu. Officieusement, beaucoup y voient une manœuvre politique destinée à écarter l’adversaire le plus redoutable du pouvoir.

 

Un long parcours semé d’embûches

Cellou Dalein Diallo n’est pas un inconnu dans le paysage politique guinéen. Né en 1952 à Labé, au cœur du Fouta-Djalon, il appartient à une lignée aristocratique peule, descendant de l’almamy Alpha Yaya. Haut fonctionnaire rigoureux, diplômé de l’Université de Conakry et formé dans plusieurs institutions financières internationales, il a bâti sa réputation dans la technocratie avant d’entrer en politique.

De 1996 à 2006, il occupe divers postes ministériels – Transports, Équipement, Télécommunications, Travaux publics, Pêche – avant d’être nommé Premier ministre par le général Lansana Conté le 9 décembre 2004. En homme d’action, il tente d’assainir les finances publiques et d’imposer une rigueur administrative rare dans un système gangrené par le clientélisme. Mais sa volonté de transparence lui vaut de puissantes inimitiés. Le 5 avril 2006, il est limogé pour « faute lourde », accusé d’avoir soumis un décret non validé au chef de l’État.

Refusant la polémique, il quitte le gouvernement avec dignité, se consacrant à la reconstruction de son image. C’est à cette époque qu’il rejoint l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), qu’il finit par diriger à partir de 2007. Le doyen Bâ Mamadou lui avait cédé la Présidence.

 

De la primature à l’opposition : une ascension contrariée

Sous le régime militaire de Moussa Dadis Camara (2008-2009), Cellou Diallo subit un harcèlement continu. Son domicile est perquisitionné, ses meetings interdits. Un audit sur Air Guinée ouvert pour le discréditer. Le 28 septembre 2009, il échappe de peu à la mort lors du massacre du stade de Conakry. Cet épisode tragique contribue paradoxalement à renforcer sa stature d’opposant résilient et pacifique.

Face à Alpha Condé, élu en 2010, il devient la principale figure de l’opposition démocratique. Malgré un parti solidement implanté et une base militante fidèle, il est battu aux présidentielles de 2010 et 2015 dans des conditions souvent contestées. Son parti avait fait à lui seul près de 45 % au premier tour devant 23 autres candidats. En 2018, lors des élections communales, l’UFDG remporte plusieurs communes majeures, dont Ratoma et Dixinn, mais voit sa victoire contestée à Matoto – un épisode emblématique de la marginalisation institutionnelle de son parti. Avec ce score,  la peur s’installe chez ses adversaires.

Le combat contre le troisième mandat

Lorsque le président Alpha Condé décide de briguer un troisième mandat en 2020, Cellou Dalein Diallo devient l’un des piliers du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC). Son engagement aux côtés des mouvements de la société civile lui vaut admiration et hostilité. Des dizaines de ses partisans sont arrêtés, d’autres tués dans les manifestations. Malgré un contexte hostile, il se présente à la présidentielle de 2020, où il affirme être sorti vainqueur. Les chiffres officiels, eux, consacrent la victoire d’Alpha Condé, mais la contestation populaire gronde dans tout le pays.

 

L’exil forcé et la fragilisation de l’UFDG

Le coup d’État du 5 septembre 2021, mené par le colonel Mamadi Doumbouya, suscite chez l’UFDG l’espoir d’une refondation démocratique. Mais très vite, le régime de transition s’en prend aux figures de l’opposition. La résidence de Cellou Dalein Diallo est démolie, officiellement pour des raisons de domanialité publique, et lui-même est contraint à l’exil.

Le ministère de l’Administration du territoire reproche alors à l’UFDG de n’avoir pas tenu son congrès dans les délais légaux, arguant d’un vide statutaire pour invalider sa direction. Lorsque le parti tente de convoquer un congrès extraordinaire pour régulariser sa situation, l’État intervient une nouvelle fois pour en suspendre l’organisation, avant de prononcer une suspension de trois mois. Ce délai stratégique a empêché le parti de présenter une candidature dans les délais impartis pour la présidentielle de 2025.

 

Le refus de la candidature : une exclusion politique programmée

Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’un prétexte administratif visant à neutraliser la principale force d’opposition.

« Tout a été calculé pour écarter l’UFDG », confie un politologue guinéen. « La suspension du parti , le débauchage de ses cadres: tout cela prépare le terrain à une présidentielle verrouillée. »

Les partisans de Cellou Dalein Diallo parlent, eux, d’une « élimination politique sous couvert de légalité ».

Un symbole d’une démocratie empêchée

Au-delà de sa personne, le cas de Cellou Dalein Diallo illustre la fragilité persistante du processus démocratique guinéen. Depuis 2010, aucun cycle électoral n’a échappé aux soupçons de manipulation ou d’exclusion. L’opposant, connu pour son ton mesuré et son attachement au dialogue, reste à ce jour une figure d’équilibre entre modernité économique et respect des institutions.

« Je n’ai jamais cessé de croire à la démocratie », confiait-il récemment à ses proches depuis son exil. « Ce n’est pas parce qu’on m’empêche de participer que je renonce à servir mon pays. »

Une candidature refusée, mais une influence intacte

Même sans participation officielle, l’UFDG demeure le parti le mieux structuré du pays, présent dans toutes les régions et dans la diaspora. Ses militants restent mobilisés, convaincus que leur leader reviendra un jour en Guinée.

L’exclusion de Cellou Dalein Diallo – directe ou indirecte – traduit moins un défaut administratif qu’une volonté politique : celle de neutraliser le seul adversaire capable de fédérer un vote national au-delà des clivages ethniques.

À la veille de l’élection de 2025, l’opinion publique guinéenne s’interroge : une présidentielle sans Cellou Dalein Diallo peut-elle encore être qualifiée de compétitive ?
Pour beaucoup, la réponse est déjà connue.

Mountaga Dieng