Présidentielle au Sénégal : l’article à lire pour comprendre les enjeux de l’élection, dont le report a entraîné une crise politique

Présidentielle au Sénégal : l’article à lire pour comprendre les enjeux de l’élection, dont le report a entraîné une crise politique

24 mars 2024 Non Par LA RÉDACTION

Le premier tour du scrutin a finalement lieu dimanche, avec un mois de retard, après une campagne express et la libération de prison du principal candidat de l’opposition. L’issue s’annonce très ouverte.

Beaucoup n’y croyaient plus. Après de multiples rebondissements, les Sénégalais sont finalement appelés aux urnes, dimanche 24 mars, pour élire leur chef d’Etat. Le premier tour du scrutin se tient avec un mois de retard après avoir été reporté par le président sortant, Macky Sall, début février. Une décision qui a plongé le pays le plus stable d’Afrique de l’Ouest dans une crise politique inédite, marquée par une forte colère populaire.

Macky Sall ne se présentant pas à cette élection, de nombreux candidats nourrissent l’espoir de l’emporter, même si les observateurs s’attendent à un duel entre le poulain du président sortant, Amadou Ba, et l’opposant Bassirou Diomaye Faye. Qui sont-ils ? Pourquoi ce dernier a-t-il été emprisonné puis libéré ? Comment expliquer les troubles qui ont précédé ce scrutin ? Franceinfo vous résume tout ce qu’il faut savoir.

Pourquoi l’élection se tient-elle un mois après la date prévue ?

Le 3 février, à quelques heures de l’ouverture prévue de la campagne officielle, le président Macky Sall a annoncé le report sine die de l’élection présidentielle, dont le premier tour devait se tenir le 25 février. Deux semaines plus tôt, le 20 janvier, le Conseil constitutionnel avait publié la liste des candidats retenus pour l’élection, excluant deux poids lourds de l’opposition : le très populaire Ousmane Sonko, alors emprisonné, et Karim Wade, fils et ministre de l’ancien président Abdoulaye Wade, évincé car toujours détenteur de la nationalité française lorsqu’il a déposé sa candidature.

Les soutiens de ce dernier, vent debout contre cette décision, ont demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’intégrité de deux membres du Conseil constitutionnel, accusés de corruption. Le 31 janvier, l’Assemblée nationale avait donné son accord, grâce au soutien d’une grande partie du camp présidentiel.

C’est en raison de cette polémique que Macky Sall a expliqué ajourner l’élection. Le Parlement a voté une loi la reportant au 15 décembre. Alors que le président sortant, au pouvoir depuis douze ans, s’est engagé à respecter la limite de deux mandats consécutifs et à passer la main, le texte prévoyait son maintien au pouvoir jusqu’au futur scrutin. Une partie de l’opposition y a vu une manœuvre face au risque d’une défaite du candidat de son parti. Mais, sur fond de colère populaire, le Conseil constitutionnel a contredit Macky Sall, statuant qu’il devait laisser sa place à la fin de son mandat, le 2 avril. Le premier tour a finalement été fixé au 24 mars et le second (si nécessaire) au dimanche suivant.

Pourquoi ce report a-t-il plongé le pays dans une crise politique jugée « inédite » ? 

Le Sénégal est considéré comme l’un des pays les plus stables de l’Afrique de l’Ouest, même s’il n’était classé qu’au 79e rang des Etats les plus démocratiques du monde en 2023 selon l’index publié par le magazine britannique The Economist« Il est de tradition, depuis 1978, que la présidentielle soit organisée au mois de février pour se laisser du temps avant la fin du mandat en cours », rappelle Francis Kpatindé, maître de conférences à Sciences Po Paris et ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique. En reportant la date du scrutin pour la première fois depuis 1967, « Macky Sall a touché au socle du système démocratique du pays ».

L’aspect inédit de cette crise tient aussi au degré d’incertitude sur son issue. « Après tout ce qui s’est passé, des Sénégalais pensent encore que le vote n’aura pas lieu », explique Sidy Cissokho, chercheur au CNRS et spécialiste du Sénégal. Malgré tout, Francis Kpatindé estime que l’épisode a montré la solidité du système démocratique : « C’était un passage à vide cathartique, qui a permis de régénérer la démocratie sénégalaise. Car en fin de compte, c’est le Conseil constitutionnel qui a eu le dernier mot. »

Comment la population a-t-elle réagi ?

Dans les jours et semaines qui ont suivi le report de l’élection, les rues de Dakar, la capitale, et d’autres villes du pays se sont embrasées. Des milliers de personnes ont manifesté à plusieurs reprises pour réclamer que le vote ait lieu avant la fin du mandat de Macky Sall.

« Ça a été vécu comme une trahison par les Sénégalais. »

Sidy Cissokho, chercheur au CNRS et spécialiste du Sénégal

à franceinfo

Les cortèges ont réuni des membres de l’opposition dénonçant un « coup d’Etat constitutionnel », mais aussi des fidèles du camp présidentiel qui ont tourné le dos à Macky Sall. Au total, quatre personnes sont mortes lors de ces manifestations, réprimées par les forces de l’ordre.

Combien y a-t-il de candidats ?

La liste des candidats n’a jamais été aussi longue : 18 sont finalement en course, après un désistement de dernière minute. Lors de la dernière présidentielle, ils n’étaient que cinq. « Avec la réforme électorale adoptée en juin, le nombre de parrainages nécessaires pour participer à l’élection a diminué », avance Adele Ravidà, chargée du Sénégal au sein de la Fondation internationale pour les systèmes électoraux.

Le seuil de signatures que les candidats doivent recueillir est désormais fixé à 0,6% du fichier électoral (contre 0,8% auparavant), soit 44 231 citoyens inscrits sur les listes. Les candidats disposaient également d’une alternative : être parrainés par 13 députés, ou par 120 élus locaux.

« C’est l’élection la plus ouverte de l’histoire du Sénégal. »

Adele Ravidà, spécialiste du système électoral du Sénégal

à franceinfo

« Le fait que Macky Sall assure en juillet qu’il ne briguera pas un troisième mandat a aussi pu donner beaucoup d’espoir à ces candidats », suggère Adele Ravidà. Le président sortant avait, un temps, entretenu le flou sur une possible candidature, pourtant interdite par la Constitution.

Sur quelles thématiques sont-ils attendus ?

C’est principalement la question du travail qui intéresse les électeurs, dans un pays où le taux de chômage frôle les 20%, selon les derniers chiffres officiels (fichier PDF)« Beaucoup de jeunes partent du Sénégal vers l’Europe. Et ce n’est pas en raison de la répression politique ou d’un irrespect des droits de l’homme, mais parce qu’ils n’ont pas de boulot », affirme Francis Kpatindé. En 2023, les Sénégalais ne représentaient que 2% des entrées illégales dans l’UE selon l’agence européenne Frontex (ficher PDF), mais ils étaient la principale nationalité parmi les arrivées par l’Atlantique depuis la côte ouest de l’Afrique, une route particulièrement dangereuse où les passages ont augmenté de 161% en un an.

Plus globalement, les prétendants à la présidence « sont attendus sur les besoins fondamentaux : pouvoir scolariser ses enfants, se soigner, avoir plus de pouvoir d’achat… », résume Francis Kpatindé. Au Sénégal, l’inflation qui a atteint 9,7% en 2022, contre 2,2% en 2021, selon la Banque mondiale

Qui sont les favoris du scrutin ?

Deux candidats sortent du lot. D’un côté, Bassirou Diomaye Faye, le plan B du parti d’opposition Pastef. Il remplace le populaire Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle en 2019, dont la candidature a été rejetée du fait de sa condamnation à deux ans de prison ferme pour « débauche de mineure ». Bassirou Diomaye Faye reconnaît lui-même, auprès du Monde, être « un candidat de substitution ». Agé de 43 ans, il est diplômé de l’Ecole normale d’administration du Sénégal, inspecteur des impôts et syndicaliste, tout comme Ousmane Sonko. Pour la campagne, le Pastef a d’ailleurs choisi le slogan « Sonko, c’est Diomaye et Diomaye, c’est Sonko ».

Un manifestant brandit une pancarte portant le slogan du Pastef, "Diomaye, c'est Sonko", lors d'un rassemblement pour fêter la libération des deux opposants, à Dakar (Sénégal), le 14 mars 2024. (CEM OZDEL / ANADOLU / AFP)

De l’autre côté, Amadou Ba, le successeur désigné de Macky Sall. Cet habitué du pouvoir a été tour à tour directeur général des impôts, ministre de l’Economie puis ministre des Affaires étrangères, puis Premier ministre à partir de 2022. Mais il ne fait pas l’unanimité dans son propre camp. « Il a eu très peu de soutien de la part de l’Alliance pour la République [le parti de Macky Sall] et le président a mis du temps avant de le soutenir publiquement », pointe le sociologue Sidy Cissokho.

Pourquoi Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko étaient-ils emprisonnés ?

Les deux opposants ont été libérés dix jours avant le premier tour de la présidentielle. Bassirou Diomaye Faye, inculpé d' »outrage à magistrat », « diffamation » et « diffusion de fausse nouvelle » après avoir publié un message critique envers la justice, a passé 11 mois derrière les barreaux, mais n’a pas encore été jugé, ce qui explique la validation de sa candidature par le Conseil constitutionnel.

Ousmane Sonko, de son côté, fait l’objet d’une série de procédures judiciaires qu’il voit comme un complot politique. Il a été condamné juin 2023 à deux ans de prison ferme pour « débauche de mineure », puis interpellé et inculpé en juillet pour, entre autres, « appel à l’insurrection » et « complot contre l’Etat » – il était détenu depuis cette arrestation. Le 5 janvier, une autre condamnation, à six mois de prison avec sursis pour diffamation envers un ministre, a par ailleurs été confirmée, compliquant encore sa candidature à la présidentielle, finalement rejetée le lendemain.

Tous deux sont sortis de prison le 14 mars, huit jours après l’adoption d’une loi d’amnistie portée par le président Macky Sall, présentée comme un geste d’apaisement après à la crise provoquée par le report de l’élection. Le texte amnistie tous les délits ou crimes en lien avec les manifestations politiques de ces trois dernières années, lors desquelles 60 personnes ont été tuées. Il est cependant critiqué par une partie de l’opposition et par des ONG de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International, qui dit craindre un « déni de justice » pour les victimes de la répression.

Que peut changer leur libération ?

« Cette libération a radicalement changé la campagne électorale », expose Alassane Beye, chercheur en sciences politiques à l’université de Saint-Louis (Sénégal). Pendant leur détention, « Diomaye Faye et Ousmane Sonko n’avaient pas droit à la parole. Ça limitait leurs chances de convaincre ».

Pouvoir aller sur le terrain rebat aussi les cartes : « Les gens ne connaissent pas Bassirou Diomaye Faye, mais ils connaissent Ousmane Sonko. Sa présence aux côtés du candidat va augmenter les chances de ce dernier à convaincre les plus sceptiques », estime Alassane Beye. A leur sortie de prison, les deux opposants ont commencé à sillonner le pays en duo, avant de se séparer à mi-parcours.

L'opposant Ousmane Sonko (assis, en vert) et son candidat à l'élection présidentielle, Bassirou Diomaye Faye (en blanc) lors d'un rassemblement de campagne au cap Skirring, au Sénégal, le 16 mars 2024. (MUHAMADOU BITTAYE / AFP)

Reste qu’il est difficile de jauger la véritable popularité des candidats, car, au Sénégal, la publication de sondages est interdite. « On peut se baser sur la capacité à rassembler lors de meetings par exemple », explique Sidy Cissokho. Sur ce point, Bassirou Diomaye Faye semble en bonne position. Au soir de sa libération et de celle d’Ousmane Sonko, des milliers de Dakarois ont laissé exploser leur joie dans les rues de la capitale. Mais Amadou Ba, le représentant du camp présidentiel, « est un candidat sérieux, qui dispose de ressources étatiques pour organiser sa campagne et d’une notoriété certaine », nuance Sidy Cissokho.

Je n’ai pas eu le temps de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?

L’élection présidentielle sénégalaise se tiendra dimanche 24 mars. Initialement prévu le 25 février, le scrutin avait été reporté sine die par le président sortant Macky Sall début février, après des dissensions sur la liste de candidats validée par le Conseil constitutionnel. Le pays, présenté comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, s’est trouvé plongé dans une crise politique inédite et des manifestations, jusqu’à ce qu’une nouvelle date soit fixée.

Parmi les 18 candidats en lice, deux sortent du lot : Amadou Ba, l’ancien Premier ministre adoubé par Macky Sall pour représenter le camp présidentiel, et Bassirou Diomaye Faye, suppléant du populaire Ousmane Sonko, dont la candidature n’a pas été retenue à cause d’affaires judiciaires. Ces deux opposants, emprisonnés depuis des mois, ont été libérés dix jours avant le scrutin après l’adoption d’une loi d’amnistie. Les Sénégalais attendent surtout du prochain chef d’Etat des mesures pour endiguer le taux de chômage, qui frôle les 20%.