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L‘histoire tourmentée de la Guinée s’apprête à franchir, le 21 septembre, une nouvelle étape. Quatre ans après avoir renversé Alpha Condé par un coup d’État, le colonel devenu général-président Mamadi Doumbouya soumettra au peuple un projet de Constitution, présenté comme l’acte fondateur d’une « refondation » nationale. Mais pour nombre d’observateurs, il s’agit moins d’un retour à l’ordre civil que d’une transition prolongée, taillée sur mesure pour permettre au chef de la junte d’accéder légalement au sommet de l’État. La presse guinéenne et ouest-africaine souligne ce verrouillage progressif du champ politique, le musellement des médias et la montée des inquiétudes sur les libertés publiques.
La décision la plus commentée de ces derniers jours vient de la Haute Autorité de la communication (HAC). Dans Le Lynx, hebdomadaire satirique de Conakry, on raille une « censure avant l’heure » : la HAC a interdit aux médias de donner la parole aux partis suspendus ou dissous, sous peine de sanctions. Le président de l’institution, Boubacar Yacine Diallo, a été catégorique : « Les médias ne doivent pas donner la parole aux structures en conflit avec la loi. Le faire serait une infraction. »
Une mesure dénoncée par l’opposition, mais aussi par une partie de la société civile. Le Bloc libéral, par la voix de son président Faya Millimono, y voit « une minute de silence imposée à la mémoire de la liberté de presse en Guinée ». Quant au Forum des forces sociales de Guinée (FFSG), coalition regroupant une quarantaine d’organisations, il a demandé le report du référendum, évoquant un processus « mal préparé », « clivant » et marqué par « l’absorption totale » de l’organe électoral par le ministère de l’Administration territoriale.
Des rivaux exclus par le texte
Au-delà du verrouillage médiatique, c’est le contenu même de la nouvelle Constitution qui alimente les débats. Guinée Matin résume le sentiment général : « un texte taillé pour Doumbouya ». Parmi les innovations les plus discutées : l’allongement du mandat présidentiel de cinq à sept ans et la création d’un Sénat. Mais ce sont surtout les conditions d’éligibilité qui concentrent l’attention.
Désormais, tout candidat devra avoir moins de 80 ans et résider en Guinée. Une double barrière qui écarte mécaniquement les figures historiques de l’opposition : Alpha Condé et Sidya Touré, tous deux octogénaires, mais aussi Cellou Dalein Diallo, contraint à l’exil depuis 2022. « Ce texte opère une sélection par l’âge et par l’exil, deux armes redoutables contre les anciens présidents et les opposants en fuite », analyse Le Djely.
Plus encore, la nouvelle loi fondamentale efface d’un trait les clauses de la charte de transition qui interdisaient aux membres de la junte de se présenter. « Le verrou sauté, le général Doumbouya peut désormais briguer la magistrature suprême sans obstacle », conclut Vision Guinée.
L’opposition muselée et divisée
La suspension, le 23 août, des trois principaux partis d’opposition – le RPG, l’UFDG et l’UFR – illustre cette stratégie d’étouffement. Inquisiteur.net rappelle que ces formations avaient appelé à manifester dès le 5 septembre contre le référendum. Officiellement, la mesure répond à la violation de l’interdiction des manifestations. En réalité, elle prive le scrutin de tout contrepoids organisé.
La presse régionale met en lumière la logique de division qui accompagne cette répression. Selon Wakat Séra au Burkina, « le régime Doumbouya mène un travail de sape patient pour casser l’autorité des leaders historiques sur leurs bases, dans l’objectif de mieux contrôler un échiquier politique éclaté ».
Le lourd silence autour des disparus
Dans ce climat, le dossier des activistes disparus continue d’empoisonner la scène nationale. Foniké Mengué, Mamadou Billo Bah, Habib Marouane Kamara et Saadou Nimaga manquent toujours à l’appel, plus d’un an après leur enlèvement. Guinée114 note que les propos récents de Taliby Dabo, un cadre dissident qui affirme qu’ils seraient toujours vivants, « n’ont fait qu’ajouter au malaise », d’autant qu’il est revenu en partie sur ses déclarations.
La presse en ligne guinéenne, à l’image de Mosaiqueguinee.com, s’interroge : détention secrète, disparition forcée ou ignorance complète des autorités ? Dans tous les cas, souligne le site, « la responsabilité de l’exécutif est engagée ». Ce dossier reste un caillou dans la botte de la junte, à l’heure où elle tente de se donner une légitimité constitutionnelle.
Un scrutin sous tension
À Conakry comme dans les capitales voisines, la même question circule : le référendum marquera-t-il la fin de la transition ou l’intronisation déguisée du chef de la junte ? Le Pays répond sans détour : « La Constitution est l’outil par lequel Doumbouya veut transformer sa prise de pouvoir militaire en légitimité électorale », écrit le journal basé au Burkina voisin.
La « refondation », terme désormais préféré à « transition », sonne pour beaucoup comme un habillage sémantique. L’Indépendant, au Mali résume : « Les transitions militaires en Afrique de l’Ouest ont cette faculté de se muer en projets constitutionnels à rallonge. La Guinée n’échappe pas à la règle. »
Dans un pays marqué par des décennies de régimes autoritaires, la révision constitutionnelle du 21 septembre est perçue comme une étape décisive. Pour Le Lynx, elle « offre au général Mamadi Doumbouya un costume taillé sur mesure, mais dont la couture démocratique est grossière ». La formule, caustique, résume un sentiment largement partagé : loin de refermer la parenthèse militaire, ce référendum risque d’ouvrir un nouveau cycle d’autoritarisme électoral.
Le Point Afrique



