La vague de violence est partie, en début de semaine, de Guayaquil, la grande ville portuaire située sur le Pacifique. Mardi 9 janvier, en pleine rue, des bandes ouvrent le feu sur les forces de l’ordre et les civils. Des tirs sont entendus à l’université, des combats ont lieu dans le métro et on parle de policiers enlevés et assassinés.
Et puis, à 14 heures, en plein direct, un gang envahit le plateau d’une chaîne de télévision, TC, qui émet dans tout le pays.
Prise d’otages en direct à la télé
Les journalistes demandent qu’on appelle la police, ils sont jetés au sol par des assaillants très nerveux qui ne tiennent pas en place, armes à la main, visage dissimulé sous des capuches et des foulards. Ils brandissent des grenades et des bâtons de dynamite devant les caméras : « avec la mafia, on ne plaisante pas« .
La scène dure une demi-heure, c’est à la fois surréaliste et terrifiant. Et puis le signal est coupé, la police donne l’assaut, les 13 membres du gang sont arrêtés, il n’y a pas de victimes.
« On ne négociera pas avec les terroristes »
À l’origine de cette flambée de violences, l’évasion de l’ennemi public numéro 1, José Adolfo Macias, dit « Fito », chef du gang des Choneros, le plus ancien et le plus puissant du pays. Quand la nouvelle s’est répandue dimanche, les mutineries se sont multipliées en prison et le mouvement s’est étendu. Plusieurs centaines de gardiens sont toujours pris en otages, mercredi 10 janvier, dans certains établissements pénitentiaires, menacés sur les réseaux sociaux.
On ne parle pas encore de guerre civile, mais le pays est en état de « conflit armé interne« . Dépassé par les événements, mais très ferme, le président Daniel Noboa, a ordonné la neutralisation de 22 groupes criminels, qu’il a cités un par un. « On ne négociera pas avec les terroristes« , dit ce jeune chef d’État de 36 ans, élu en novembre sur une promesse qu’il compte bien tenir : rétablir la sécurité.
Car cela fait plusieurs années que le pays est gangrené par la violence des cartels. L’Équateur, autrefois havre de paix, l’un des pays les plus sûrs d’Amérique latine, est devenu en moins de dix ans le principal point d’exportation de la cocaïne produite par ses deux voisins, le Pérou et la Colombie – qui sont les deux plus gros producteurs au monde.
Les gangs de rue sont devenus des narco-trafiquants intouchables
En assurant le transport de la marchandise au départ de la côte Pacifique jusqu’au Mexique ou aux États-Unis, les gangs des rues sont devenus des acteurs majeurs du narcotrafic, rendus intouchables par la corruption.
L’économie dollarisée (le pays a abandonné en 2000 sa monnaie nationale, le sucre, pour le dollar), le peu de surveillance des ports et le manque de contrôle de l’État sur le blanchiment d’argent ont permis à l’économie de la drogue de prospérer et la violence a explosé.
En 2022, extorsions et séquestrations ont augmenté de 300% selon l’analyste en sécurité Carolina Andrade au journal espagnol El País. Les homicides se sont multipliés, le taux est d’aujourd’hui de 26 morts pour 100 000 habitants. En août, un candidat à la présidentielle, Fernando Villavicencio, a même été assassiné de trois balles dans la tête à la sortie d’un meeting, 11 jours avant le scrutin.
L’ancien président, Rafael Correa, resté 10 ans au pouvoir jusqu’en 2017, en appelle à « l’unité nationale« , tout en dénonçant les politiques publiques, conduites ces sept dernières années, qui ont mené, selon lui, à l’augmentation des violences.
Le Brésil, le Chili, la Colombie et le Pérou ont exprimé leur soutien, disant leur rejet de la violence. Très préoccupés, les États-Unis ont, quant à eux, proposé leur « assistance » à l’Équateur.