En vraie-fausse retraite depuis mi-février, le milliardaire breton, qui doit céder son empire portuaire et logistique africain à MSC, n’en conserve pas moins des intérêts sur le continent. Et un premier cercle influent qui compte anciens chefs d’État, hommes de confiance et entrepreneurs.
Estimée à 5,7 milliards de dollars, la transaction, qui doit se confirmer d’ici au 31 mars, sera sans aucun doute l’un des temps forts de l’année 2022. Elle doit officialiser la reprise par l’armateur Mediterranean Shipping Company (MSC) des activités africaines du groupe Bolloré dans les secteurs portuaire et logistique. Il s’agit de céder un empire, patiemment construit depuis plusieurs décennies et qui contribue aujourd’hui à hauteur de 2,3 milliards d’euros au chiffre d’affaires de 19,7 milliards (en 2021) du groupe Bolloré.
Ce dernier, présent dans 42 ports via notamment 16 terminaux à conteneurs, emploie plus de 20 000 personnes sur le continent. Si Vincent Bolloré est officiellement en retrait depuis la mi-février et si son fils Cyrille a pris les manettes du groupe depuis 2019, le milliardaire breton n’a pas véritablement tiré sa révérence. Sous le coup d’une procédure judiciaire pour des affaires de corruption présumée au Togo et en Guinée, il demeure influent et conserve de précieux relais en Afrique.
PDG du groupe familial depuis mai 2019, Cyrille Bolloré, le troisième fils de Vincent Bolloré fait figure d’héritier. Si le père (qui a officiellement pris sa retraite le 17 février) demeure largement impliqué dans les affaires, c’est Cyrille, 36 ans, qui conduit les négociations avec MSC et en particulier avec Diego Aponte, le fils de Gianluigi, fondateur de l’armateur repreneur des activités de Bolloré. Diplômé de Manchester University et de Paris-Dauphine, Cyrille, qui a commencé sa carrière en 2007 au sein de Bolloré Énergie, n’est pas un habitué des palais présidentiels africains. Ce qui ne l’a pas empêché de mener une mission de déminage en janvier à Abidjan auprès d’Alassane Ouattara, agacé d’avoir appris la cession dans la presse.
Yannick Bolloré, le fils cadet de Vincent – après Sébastien, jugé éloigné du business familial mais rappelé en mars au sein de Compagnie de l’Odet, holding de tête de l’empire Bolloré – est le PDG d’Havas, colosse mondial de la communication, et le président du comité de surveillance du groupe Canal+, très présent en Afrique (6,85 millions d’abonnés à la fin de 2021). Vivendi est également actionnaire de Multichoice, acteur majeur de la télévision payante en Afrique anglophone.
Enfin, Group Vivendi Africa (GVA), spécialiste de la fibre optique à domicile, affiche de grandes ambitions dans l’internet à très haut débit en Afrique et compte huit implantations sur le continent, dont Brazzaville, Ouagadougou et Kinshasa ouvertes en 2021. GVA a d’ailleurs été mentionné par le groupe français comme l’un des futurs relais de croissance de Bolloré en Afrique, après l’annonce du deal avec MSC.
Dans les couloirs du siège du groupe à Puteaux, en région parisienne, Philippe Labonne est surnommé le « cœur du réacteur Bolloré » en Afrique. Envoyé discret de Vincent Bolloré sur le continent depuis plusieurs années, le patron de Bolloré Ports et directeur adjoint de Bolloré Transport & Logistics (BTL) a aussi joué le rôle de bras droit de Cyrille dans les discussions avec MSC. Ancien auditeur passé par Sitarail et Saga en Côte d’Ivoire, Philippe Labonne dispose d’un précieux savoir-faire portuaire. Bientôt mis au service de MSC ?
Ancien consultant et ex-directeur des projets stratégiques de Necotrans, en partie racheté par BTL en 2017, Patrick Lawson fait parti des cadres africains promus par Philippe Labonne ces dernières années. Il a été nommé directeur adjoint des concessions au sein de Bolloré Ports.
Michel Calzaroni, le fondateur et patron de DGM Conseil, l’une des principales sociétés de relations publiques des entreprises du CAC 40, s’occupe de la communication de Vincent Bolloré depuis toujours. Ce dernier a été l’un des premiers clients de DGM à sa création en 1986. Tout juste séparé de son ancien associé Olivier Labesse, Michel Calzaroni – ex-patron de la communication du CNPF (Conseil national du patronat français), l’ancêtre du Medef – s’apprête toutefois à tourner une page : DGM est en passe d’être racheté par le groupe d’intelligence économique Avisa Partners.
Si on dit Martine Coffi-Studer proche de Martin Bouygues, rival historique de Vincent Bolloré, l’ancienne ministre déléguée à la Communication (2006-2007) et fondatrice de l’agence de conseil Océan Ogilvy préside le conseil d’administration de BTL Côte d’Ivoire depuis 2014. Le carnet d’adresses de l’Ivoirienne à Abidjan et dans la sous-région est un atout précieux pour le patron breton.
Actif dans la banque, l’industrie et l’immobilier, l’entrepreneur burkinabè Lassiné Diawara a longtemps été surnommé « l’homme de Bolloré », promoteur du projet phare – aujourd’hui dans l’impasse – de boucle ferroviaire ouest-africaine. Diawara a fait la connaissance de Bolloré à la fin des années 1980. « Je suis un ami des bons et mauvais jours », dit-il, paraphrasant le milliardaire français. Ancien président du Conseil national du patronat burkinabè, il a été déterminant pour Bolloré durant les années Compaoré comme Kaboré. S’il demeure à la tête de BTL Burkina Faso, il a entamé ces deux dernières années son retrait des affaires publiques.
Si Hamadou Sali, député du RDPC (parti au pouvoir) et président du conseil d’administration (PCA) de Douala International Terminal, est cité comme relais de Vincent Bolloré au Cameroun, c’est le très discret Aoudou Dandjouma, PCA de BTL dans le pays, qui est son véritable homme clé. Comme pour Diawara, leur rencontre remonte à la fin des années 1980.
À la tête des filiales locales de BTL, Mamadou Racine Sy et Venance Gnigla défendent les intérêts de Bolloré dans leurs pays respectifs, le Sénégal et le Bénin. Le premier est le patron du King Fahd Palace et le président de la Fédération des organisations patronales de l’industrie du tourisme du Sénégal (Fopits). Le second est l’ancien ministre délégué chargé de la Communication et des Nouvelles Technologies de Thomas Boni Yayi. À Dakar comme à Cotonou, Bolloré a implanté des salles de spectacles CanalOlympia, marque de sa filiale Vivendi. Le concept, lancé en 2016 au Cameroun, a ensuite été étendu à une dizaine de pays.
Sur le continent, l’influence de Vincent Bolloré, fervent catholique, passe aussi par le réseau de la congrégation Don Bosco, sur lequel son groupe s’appuie pour les actions de philanthropie. Détectés par les salésiens de Don Bosco (Société de Saint François de Sales), nombre de jeunes talents africains bénéficient de bourses d’études via la Fondation de la 2e chance de Bolloré, certains intégrant ensuite le groupe.
Proche de longue date de Vincent Bolloré et ami du président ivoirien Alassane Ouattara, l’ancien chef de l’État français Nicolas Sarkozy (2007-2012) a accompagné Cyrille, fin janvier, à Abidjan. Dans le cadre de la procédure judiciaire visant Vincent Bolloré pour corruption au Togo et en Guinée – son groupe est soupçonné d’avoir favorisé la réélection de Faure Gnassingbé et l’accession au pouvoir d’Alpha Condé en sous-facturant des services de communication d’Havas durant les campagnes présidentielles en échange des concessions portuaires de Lomé et de Conakry en 2010 et 2011 –, des témoins accusent l’ancien président français, alors à l’Élysée, d’avoir aidé son ami. Ce que les intéressés démentent.
Si la justice française a accepté le paiement d’une amende de 12 millions d’euros pour clore les poursuites contre le groupe Bolloré, elle a, selon la presse, rejeté la procédure de plaider coupable de Vincent Bolloré, qui risquerait donc un procès.
Vincent Bolloré connaît bien plusieurs présidents sur le continent, dont Faure Gnassingbé, Denis Sassou-Nguesso et Alassane Ouattara. C’est également le cas de Paul Biya, qui a facilité son implantation au Cameroun en 1992, via la création de la société Coralma, filiale dévolue au tabac détenue à 60 % par Bolloré et à 40 % par la Seita (Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes).
Plusieurs anciens chefs d’État font aussi partie du réseau du patron breton, même si les liens avec certains se sont distendus. Alpha Condé, qui a rencontré Vincent Bolloré durant les années Lansana Conté alors qu’il était un opposant rentré d’exil et vivant entre Conakry et Paris, a maintenu une proximité une fois au pouvoir à partir de 2010. Cela semble moins le cas depuis son renversement en septembre 2021.
Même chose avec l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, allié de Vincent Bolloré auquel il a octroyé de gré à gré – au grand dam de la Banque mondiale – la concession du premier terminal à conteneurs du port d’Abidjan en 2004.