Ce chiffre représente une augmentation d’au moins 150% par rapport aux étés précédents, période jugée plus sûre pour la traversée.
Ces migrants viennent s’ajouter aux 4 millions de réfugiés accueillis par la Turquie, dont 3,6 millions de Syriens.
Plusieurs vidéos ont circulé en Turquie pour montrer et souvent dénoncer ce nouveau phénomène migratoire. Cette vidéo, par exemple, a été vue plus de 600 000 fois et a suscité de nombreux commentaires indignés, voire xénophobes. Elle a par ailleurs été reprise dans de nombreux médias.
« En Afghanistan, après l’arrivée au pouvoir des Taliban, des dizaines de milliers de réfugiés afghans ont commencé à quitter leur pays. Des convois de réfugiés, partis de leurs pays, ont commencé à entrer en Turquie par groupes via l’Iran », écrit Rusen Takva, un journaliste turc qui a relayé cette vidéo sur son compte Twitter le 11 juillet 2021. Contacté par la rédaction des Observateurs, il précise qu’elle a été filmée par un passeur début juillet et qu’elle montre un groupe de migrants s’apprêter à traverser la frontière Turquie-Iran, 1,5 km plus loin.
Alors que le pays accueille 3,6 millions de Syriens, de nombreux Turcs s’indignent d’un supposé manque de contrôle aux frontières et d’une « vague migratoire » venant « fragiliser » encore davantage une économie turque en difficulté. Certains ont aussi pointé du doigt la politique migratoire du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a mis en place un accueil des migrants en contrepartie de fonds européens.
Face à la polémique, le ministère de l’Intérieur turc a publié un communiqué décrivant les vidéos de migrants afghans comme « sorties de leur contexte » et affirmant qu’elles avaient été filmées loin de la frontière turque, en Iran, voire aux frontières Afghanistan-Iran ou Afghanistan-Tadjikistan. Il a par ailleurs rejeté l’idée que les migrants pouvaient « facilement passer la frontière », évoquant la construction de 149 kilomètres de mur le long de cette dernière, sur les 499 kilomètres qui la composent.
Or, s’agissant de cette vidéo précisément, la tentative du groupe de migrants de traverser la frontière turque a échoué.
« Ces migrants avaient échoué dans leur tentative de traversée et ont été arrêtés »
La rédaction des Observateurs a, en effet, pu s’entretenir avec deux villageois iraniens résidant à quelques kilomètres de la frontière turque, où cette vidéo a été filmée. Avec leur aide, nous sommes parvenus à la géolocaliser : elle a été filmée à proximité du village de Balesur Sofla, à 3,7 km à vol d’oiseau de la frontière Iran-Turquie.
Vidéo: Instabilité en Afghanistan : Russie, Iran et Turquie ferment leurs consulats dans le nord (Euronews)
Si ces migrants sont bien proches de la frontière, la géolocalisation permet en fait de comprendre qu’ils ne se dirigent pas vers la frontière, mais qu’ils sont en train de lui tourner le dos. Dans la vidéo, ils se dirigent vers la droite, ce qui correspond à l’est dans la réalité, et donc à l’intérieur des terres iraniennes.
Un habitant du village de Balesur Sofla, qui a souhaité garder l’anonymat, se souvient de leur passage.
Je me souviens avoir vu ce grand groupe passer en file indienne près du village, c’était vers le 22 juin. Ils n’allaient pas en direction de la frontière mais en revenaient et étaient escortés par des forces de sécurité iraniennes. Nous avons compris qu’ils avaient échoué dans leur tentative de traversée et avaient été arrêtés. Nous avons aussi appris que, parmi eux, huit Afghans avaient été déportés et renvoyés dans leur pays.
Un habitant du village de Karkush, situé à 5 kilomètres de celui de Balesur Sofla, a confirmé à la rédaction des Observateurs que les migrants, notamment afghans, étaient particulièrement nombreux sur les chemins menant vers la frontière turque ces dernières semaines.
Dans une vidéo publiée le 13 mai, il a filmé un groupe de dizaines de migrants s’apprêtant à traverser la frontière, située à 900 mètres de son village. Si le phénomène migratoire n’avait pas encore atteint l’ampleur de celui du mois de juillet, les Afghans étaient déjà nombreux à fuir, anticipant les violences que le retrait américain allait provoquer. Joe Biden a confirmé le 14 avril 2021 le maintien de ce processus, voulu par son prédécesseur Donald Trump.
Par ailleurs, le journaliste indépendant Rusen Takva s’est rendu près de la frontière, côté turc, et a filmé l’arrivée de migrants afghans.
Dans la vidéo ci-dessus, filmée dans le district d’Özalp, environ cinquante migrants afghans sont en train de marcher après avoir traversé la frontière entre la Turquie et l’Iran. « Il y a une guerre, les Taliban ont pris les villages et nous nous sommes enfuis », explique l’un d’eux.
« Il y a au moins 500 entrées illégales par jour sur le territoire turc »
Selon le représentant d’une association d’aide aux migrants basée en Turquie, les violences en Afghanistan ont effectivement poussé un grand nombre d’Afghans vers l’étranger, et notamment la Turquie. Compte tenu des polémiques qui se sont greffées à ce sujet d’actualité, Babak G. (pseudonyme) a souhaité garder l’anonymat et ne pas dévoiler le nom de sa petite structure associative.
Nous n’avons jamais reçu autant de messages, des dizaines d’Afghans nous écrivent tous les jours. Ils nous demandent des informations sur les démarches administratives mais aussi sur des conseils pour rejoindre l’Europe par exemple.
Notre estimation basse est la suivante : en ce moment, il y a au moins 500 entrées illégales par jour sur le territoire turc, avec une large majorité d’Afghans. Les migrants ont déjà tendance à être plus nombreux l’été après que la neige a fondu, ce qui rend la traversée moins périlleuse. Cependant, les chiffres ont beaucoup augmenté récemment. Habituellement, ils étaient 150-200 à traverser chaque jour.
À Kaboul, il y aurait entre 1000 et 2000 demandes de passeports par jour. Ces Afghans demandent généralement un visa pour l’Iran, qu’ils quittent ensuite dans l’espoir de pouvoir rejoindre la Turquie, puis l’Europe par des voies illégales.
« Il est fréquent de voir de très grands groupes traverser, parfois de 100 ou 200 personnes à pied »
Les routes migratoires qui permettent de passer en Turquie depuis l’Iran sont multiples, avec différents coûts et niveaux de dangerosité. Les familles et personnes plus aisées vont privilégier l’été, pour éviter le froid et la neige, et la traversée en petits groupes pour des questions de discrétion et de rapidité. Certains utilisent des chevaux pour se déplacer ou pour transporter leurs affaires. Mais il est fréquent de voir de très grands groupes, parfois de 100 ou 200 personnes à pied, constitués essentiellement de jeunes hommes. Le coût moyen de la traversée se situe aux environs de 500 dollars [420 euros].
La plupart évitent les zones où le mur a été construit et privilégient les régions montagneuses plus reculées. Mais certains groupes n’hésitent pas à creuser des petits tunnels sous le mur, à couper des barbelés en haut de celui-ci, où à tout simplement les recouvrir de tissu pour escalader sans se couper.
Le véritable danger survient lors des traversées hivernales, avec beaucoup de candidats à l’immigration qui meurent de froid dans les montagnes.
Une fois arrivés en Turquie, 60% d’entre eux restent au moins quelques mois pour tenter de gagner de l’argent afin de financer la suite de leur voyage vers l’Europe. Ils font alors face à de multiples difficultés car la Turquie ne leur donne pas de statut de réfugié.
Les hommes seuls n’ont quasi aucune chance d’être régularisés, ils ne peuvent pas aller à l’université, se faire soigner à l’hôpital public et sont contraints de travailler au noir. Seules les familles peuvent espérer une régularisation, à condition qu’elles ne soient arrêtées au moment où elles traversent illégalement la frontière, ou peu de temps après. Si c’est le cas, l’administration n’hésite pas à les déporter en Afghanistan.
Selon les données des Nations Unies, il y avait officiellement 116 000 Afghans en Turquie en 2020, un chiffre ne prenant en compte que les résidents légaux et qui est donc largement sous-évalué. Les autorités turques estiment qu’ils constituent la majorité des migrants sans-papiers et les associations avancent qu’ils seraient environ 800 000. Leur situation se démarque sensiblement de celle des Syriens qui bénéficient d’un statut de réfugié et d’un accès encadré à l’aide sociale et humanitaire