L’Ukraine est-elle enfin prête à lancer son offensive de printemps contre les forces russes ? Le ministre de la Défense ukrainien, Oleksiï Reznikov, s’est montré confiant, vendredi 28 avril, lors d’une conférence de presse : « L’équipement a été promis, préparé et partiellement livré. Au sens large, nous sommes prêts. » Et d’ajouter : « Les préparatifs touchent à leur fin (…) Quand Dieu le voudra, [quand il y aura] la météo et la décision des commandants, on le fera. »
>> Guerre en Ukraine : suivez les dernières informations en direct
Quel est exactement l’état de l’armée ukrainienne avant cette contre-offensive évoquée depuis des mois ? A-t-elle la capacité de reprendre les territoires encore aux mains de la Russie ? Franceinfo a sollicité l’avis d’experts militaires pour un état des lieux des forces armées ukrainiennes.
Une armée de près de 700 000 soldats
Alors qu’elle n’en comptait que 196 000 au début du conflit, l’armée ukrainienne comptait en juillet 2022 environ 700 000 soldats, selon une estimation du ministre de la Défense ukrainien. Durant cette première année de guerre, les forces armées ukrainiennes ont néanmoins subi de « lourdes pertes », note Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans l’armement.
Difficile d’obtenir un chiffre précis, mais selon une fuite de documents de l’armée américaine, 17 500 soldats ukrainiens auraient été tués durant le conflit. En comptant les blessés, les pertes ukrainiennes s’élèveraient à environ « 80 000 hommes », estime Ulrich Bounat, analyste en géopolitique. Certaines catégories de personnel semblent avoir été particulièrement touchées. « Il pourrait éventuellement se produire une pénurie de sous-officiers », pointe ainsi Stéphane Audrand.
Un corps de brigades d’attaque de 50 000 hommes
Malgré ces pertes, l’armée ukrainienne a réussi à préserver son potentiel offensif. « Les Ukrainiens ont maintenu leur armée ‘habituelle’ au front pour se constituer une deuxième armée en réserve » pour la prochaine offensive, explique Xavier Tytelman, expert en défense. Pour la bataille de Bakhmout, l’armée ukrainienne a employé « des forces territoriales plutôt que des unités d’élite » pour défendre la ville, souligne Stéphane Audrand.
En préservant ainsi ses forces, l’armée ukrainienne a constitué un corps de douze brigades d’attaque « formées spécifiquement durant cet hiver pour la contre-offensive. Soit environ 50 000 hommes », évalue Ulrich Bounat. Ces brigades se sont notamment entraînées à la manœuvre interarmes. « C’est-à-dire à la coordination entre l’artillerie, les blindés, l’aviation et les troupes au sol », une capacité clé pour la réussite d’offensives complexes et en profondeur. Neuf de ces douze brigades ont été entraînées par l’Otan, a révélé son secrétaire général, Jens Stoltenberg, le 27 avril. « Ces unités ont été formées au standard de l’Otan, leur niveau est équivalent à celui d’armées européennes » commente Xavier Tytelman. Des milliers de soldats ont ainsi été entraînés « en Pologne, Allemagne ou au Royaume-Uni sur les matériels occidentaux », rappelle également Ulrich Bounat.
98% des armes occidentales livrées
Pour lancer son offensive, l’armée ukrainienne pourra compter sur les armes promises par l’Occident. Selon le secrétaire général de l’Otan, l’Ukraine a reçu « 98% de l’aide militaire promise par l’Ouest ». Au total, « 1 550 véhicules blindés, 230 tanks et beaucoup de munitions » ont été livrés. « L’armée ukrainienne dispose d’un armement meilleur qu’en septembre 2022, quand elle avait lancé avec succès ses offensives à Izium » dans l’est de l’Ukraine, estime pour sa part Xavier Tytelman.
La force aérienne ukrainienne a été aussi renforcée. « Elle compte, grâce aux livraisons occidentales, plus d’avions qu’au début de la guerre », remarque l’expert. Les Etats-Unis ont aussi distribué des kits Joint Direct Attack Munition (JDAM), qui permettront aux avions ukrainiens de lancer des bombes guidées. « C’est peut-être un signe que l’aviation ukrainienne pourra prendre un rôle plus important », pronostique Stéphane Audrand.
« Un pistolet à un coup » ?
Une grande inconnue demeure : l’état des stocks de munitions. « Nous ne disposons pas de beaucoup de données sur le nombre d’obus que possèdent les forces armées ukrainiennes », explique Stéphane Audrand. La fuite de document de l’armée américaine a révélé que l’armée ukrainienne pourrait à terme manquer de missiles antiaériens. « Les pénuries de munitions qu’on a pu constater à Bakhmout, par exemple, ne sont probablement pas représentatives de la situation globale », tempère néanmoins Ulrich Bounat. « Les Ukrainiens ont semble-t-il voulu » économiser leurs munitions, en vue précisément de cette contre-offensive. « Les Américains ont également livré des missiles Patriot » pour renforcer la défense antiaérienne, ajoute Xavier Tytelman.
L’armée ukrainienne a vraisemblablement les capacités de lancer une offensive de grande ampleur. Pour autant, une telle opération devra être menée avec prudence. « Nous sommes sans doute arrivés au bout des capacités régénératives de l’armée ukrainienne et les pays occidentaux ne pourront pas livrer à nouveau de telles quantités d’armes avant longtemps. » Cette offensive pourrait donc être « un pistolet à un coup », avertit Stéphane Audrand.