TikTok : l’article à scroller pour comprendre pourquoi le réseau social chinois suscite tant d’inquiétudes

TikTok : l’article à scroller pour comprendre pourquoi le réseau social chinois suscite tant d’inquiétudes

11 mars 2023 Non Par LA RÉDACTION
France Télévisions
TikTok, le réseau social chinois très prisé des adolescents, est dans le viseur des autorités de plusieurs pays. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Menacé d’interdiction par des élus américains et sous le coup d’une commission d’enquête en France, l’application de vidéos multiplie les initiatives pour rassurer.

Commission d’enquête en France, interdiction pour les employés des institutions de l’UE, vote ouvrant la voie à un bannissement des Etats-Unis… Les ennuis s’enchaînent pour les dirigeants de TikTok, plus vite encore que les vidéos sur l’application préférée des ados. De son potentiel addictif pour les plus jeunes à sa possible utilisation par la Chine à des fins de renseignements, le réseau social fait l’objet de toutes les craintes. Un conseiller de sa maison-mère, ByteDance, a même rencontré le ministre délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot, à Paris, vendredi 10 mars. Vous ne connaissez rien à cette plateforme où votre ado passe ses journées ? Franceinfo vous aide à y voir plus clair.

1 C’est quoi exactement TikTok ?

TikTok est un réseau social centré sur la vidéo et pensé pour les smartphones. On n’y trouve pas de fil comme sur Facebook ou Twitter et ce n’est pas principalement une messagerie comme Snapchat. Sur TikTok, les vidéos sont verticales et occupent tout l’écran. On peut s’abonner à des créateurs de contenus ou rechercher des thématiques. Mais sur l’onglet For You, le cœur de l’appli, c’est l’algorithme qui décide quoi vous montrer en fonction de ce qu’il a compris de vos goûts.

>> Comment l’application TikTok est devenue la plateforme la plus téléchargée au monde

Un geste du doigt permet de passer au contenu suivant, et ce à l’infini. Le tempo des vidéos suit le rythme de ce zapping, avec un montage rapide et des formats courts, souvent quelques dizaines de secondes. Les images sont accompagnées de musique : le TikTok que l’on connaît aujourd’hui est né d’une fusion en 2018 avec Musica.ly, un réseau tourné sur la danse et le playback.

2 Pourquoi en parle-t-on autant ?

Chez les enfants de 4 à 18 ans, TikTok est le réseau social le plus utilisé, celui où ils passent le plus de temps par jour (1h47), selon une étude menée par l’entreprise Qustodio. Mais ce succès s’accompagne d’une pression grandissante. Aux Etats-Unis, les élus républicains ont fait adopter en commission un projet de loi qui donnerait à Joe Biden le pouvoir de bannir l’entreprise du pays, au nom des risques d’espionnage des utilisateurs par la Chine. La Maison Blanche, la Commission européenne et le Parlement européen, notamment, l’ont déjà interdit à leurs employés. La France réfléchit à une mesure similaire, d’après Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement. TikTok est aussi visé par une commission d’enquête du Sénat, dont les travaux doivent débuter le 13 mars.

L’entreprise vient d’annoncer un plan censé répondre aux inquiétudes, qui prévoit notamment l’ouverture de centres de stockage de données en Europe. TikTok a aussi apporté un début de réponse aux craintes sur l’emprise que l’application exerce sur les plus jeunes : un avertissement s’affichera sur les téléphones des mineurs après 60 minutes d’utilisation et un autre 40 minutes plus tard. Une annonce qui n’empêche pas la France d’avancer sur ses propres mesures, dont une proposition de loi créant une majorité numérique à 15 ans, en dessous de laquelle il faudra l’accord parental pour s’inscrire sur les réseaux sociaux. TikTok n’est pas le seul concerné, mais c’est vers lui que les regards se tournent particulièrement.

3Mon enfant peut-il devenir accro ?

Les ados le disent : « Sans s’en rendre compte, ça devient addictif. » Depuis ses débuts, TikTok fascine pour sa capacité à capter l’attention. « L’algorithme essaie de rendre les gens accros », s’inquiétait en 2021 Guillaume Chaslot, fondateur de l’organisation AlgoTransparency, qui analysait un document interne à TikTok obtenu par le New York Times (article payant, en anglais), résumant comment l’application détermine les vidéos qu’il recommande aux utilisateurs. « Ce n’est pas de la magie algorithmique », nuançait Julian McAuley, un professeur d’informatique à l’université de Californie, à la vue du même document : TikTok brasse simplement « des volumes exorbitants de données » car, par leur zapping permanent, ses utilisateurs lui livrent beaucoup d’informations.

De là à développer une forme d’addiction ? Les professionnels réservent ce terme à des cas rares, « où se produisent au moins douze mois de déscolarisation ou d’abandon professionnel complet », rappelait un avis de l’Académie des sciences en 2019 sur l’utilisation des écrans en général. Mais pas besoin d’aller aussi loin pour observer des « troubles », prévient Ludovic Gicquel, professeur de psychiatrie à l’université de Poitiers. Accaparés par leur téléphone, les jeunes peuvent manquer de sommeil et souffrir d’une « indisponibilité psychique » qui les coupe de leurs relations sociales et peut déséquilibrer leur développement. TikTok lui semble propice à créer ce type de problèmes :

« Ce sont des applis qui suspendent le temps et neutralisent les capacités à se limiter. »

Ludovic Gicquel, professeur de psychiatrie

à franceinfo

Le risque d’un usage excessif dépend aussi des fragilités de l’adolescent et de sa vie en dehors : « Si vous n’avez que cet espace pour exister, vous allez vous y investir plus fortement, et c’est là que ça devient problématique », explique Jocelyn Lachance, sociologue à l’université de Pau. Le psychiatre Ludovic Gicquel recommande aux parents « de ne pas entrer dans un bras de fer punitif » en menaçant son enfant d’interdire totalement TikTok. Mieux vaut « restreindre le temps d’utilisation ou éviter qu’il dorme avec son téléphone ».

4Peut-on y voir des contenus inappropriés ?

A l’image d’internet en général, on trouve de tout sur TikTok, y compris des contenus qui ne sont pas adaptés à tous les âges, ou du moins qui sont de nature à inquiéter des parents sur les idées qu’ils véhiculent. Un exemple parmi d’autres : un récent rapport du Haut Conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes pointait le rôle de ce réseau et d’autres dans la diffusion des idées sexistes. Du fait de son succès, il est aussi devenu un terrain pour des influenceurs faisant, par exemple, la promotion de placements risqués liés aux cryptomonnaies. TikTok assurait à franceinfo, en juillet dernier, que ces contenus étaient supprimés par les modérateurs.

Interrogé par le New York Times, l’ingénieur Guillaume Chaslot s’inquiétait de la capacité du réseau social à toucher les failles d’un ado et les enfermer dans une bulle de contenus néfastes : « En quelques heures, l’algorithme peut détecter ses goûts musicaux, par qui il est attiré, s’il est déprimé, s’il pourrait aimer les drogues, et de nombreuses autres informations sensibles. (…) Cela pourrait être utilisé pour le micro-cibler ou le rendre plus accro à la plateforme. »

Récemment, TikTok a mis en ligne un filtre, « Bold Glamour », permettant de se filmer avec un visage modifié pour représenter une certaine idée de la perfection vue par un algorithme. Ce genre d’outils peut miner le moral d’adolescents mal dans leur peau, alerte Jocelyn Lachance.

« Certains sauront prendre de la distance et voir ces filtres comme des jeux. Mais pour d’autres, ils seront un miroir grossissant de problématiques qu’ils rencontrent déjà dans le monde extérieur. »

Jocelyn Lachance, sociologue

à franceinfo

Par ailleurs, certains contenus que l’on trouve sur le réseau social sont informatifs, mais d’autres sont trompeurs ou délibérément mensongers. L’entreprise américaine NewsGuard (en anglais) pointait en septembre la part importante de vidéos relevant de la désinformation (19% des contenus étudiés) sur des sujets aussi variés que la guerre en Ukraine, l’élection américaine de 2020 ou le Covid-19. En novembre, l’Arcom, le gendarme français du numérique, a critiqué TikTok pour sa politique « particulièrement imprécise » de lutte contre la désinformation.

>> Comment l’application TikTok échoue à protéger ses jeunes utilisateurs de la désinformation

5Quel est le lien entre TikTok et la Chine ?

Contrairement à ses principaux rivaux, TikTok n’a pas été créé aux Etats-Unis, mais en Chine, ce qui prend une importance majeure alors que les deux pays nourrissent une rivalité grandissante. « TikTok est un cheval de Troie moderne du Parti communiste chinois utilisé pour surveiller les Américains », accuse ainsi l’élu républicain Michael McCaul. En France, le sénateur Claude Mahuret, à l’origine de la création d’une commission d’enquête sur TikTok, s’en préoccupe également. « S’il y a des transferts de données vers la Chine, cela pose des problèmes particuliers : la loi chinoise oblige toutes entreprises à déférer toutes demandes des services de renseignement », déclarait-il début mars à Actu.fr.

Un certain flou persiste autour de la gouvernance du réseau social. TikTok a été créé par ByteDance, une entreprise chinoise, mais il est destiné au marché international : les Chinois ont droit à un réseau similaire, Douyin, qui n’existe qu’en Chine. TikTok se présente comme une filiale distincte de sa maison-mère, à laquelle elle n’a « aucune affiliation », affirmait un de ses responsables devant le Sénat américain en 2021. Surtout, l’entreprise assure que les données des utilisateurs étrangers ne sont stockées qu’aux Etats-Unis et à Singapour, et que personne n’y a accès depuis la Chine. A terme, celles concernant l’Europe seront entreposées en Irlande et en Norvège, selon le projet présenté mercredi par l’entreprise.

6TikTok pourrait-il être un logiciel espion ?

Cela semble être une possibilité sérieuse aux yeux des gouvernements et institutions qui ont interdit l’application à leurs employés. Mais les éléments concrets manquent. « On en a fait une question politique plutôt que technique », s’inquiète Antoine Bondaz, chercheur pour la Fondation pour la recherche stratégique. Selon lui, ces décisions s’inscrivent dans un contexte de méfiance envers la Chine.

« Aujourd’hui, on n’a pas de preuve de quoi ce soit concernant TikTok », acquiesce Hervé Debar, membre du conseil scientifique de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information. L’application demande l’accès à un large éventail de fonctions du téléphone (caméra, micro, réseau wifi, contacts…), mais « c’est assez standard », relève ce spécialiste de la cybersécurité. Peut-elle cependant collecter d’autres informations sans permission ?

« Pour le savoir, il faudrait observer le code source. Mais les concepteurs d’applications rendent la tâche compliquée. »

Hervé Debar, expert en cybersécurité

à franceinfo

Et de rappeler que du code peut être ajouté ou supprimé au gré des mises à jour : même un audit poussé n’écarterait pas tous les doutes.

Quant aux données collectées de façon certaine par TikTok, des éléments suggèrent que les employés chinois y ont eu accès par le passé. En décembre, ByteDance a reconnu que quatre de ses employés, dont deux basés en Chine, avaient consulté des informations sur des utilisateurs américains, dont deux journalistes – l’entreprise dit avoir licencié trois de ces employés, le dernier ayant démissionné, d’après le New York Times (en anglais). Reste à savoir si ces données seraient communiquées aux autorités politiques chinoises si elles le demandaient. TikTok a toujours assuré que non.

7Dois-je m’inquiéter d’avoir installé l’application ?

Ce n’est pas un hasard si les mesures d’interdiction décidées dans de nombreux pays concernent les autorités politiques ou administratives : si votre téléphone ne contient pas d’informations confidentielles, que vous n’êtes pas un dissident politique, il y a peu de chances qu’il intéresse les renseignements chinois. La crainte que les données d’utilisation ordinaires de TikTok soient accessibles pour Pékin n’est cependant pas anodine, explique Simone Aonzo, spécialiste en cybersécurité : « Ce type d’application est une mine d’or. On peut récolter les interactions avec l’écran, des mesures biométriques, reconnaître la façon dont on tape sur le clavier… Sommes-nous d’accord pour livrer ces informations à un Etat où leur utilisation n’est pas régulée ? Que peut-il arriver si on doit un jour se battre contre un pays qui sait tout de nous ? Ce n’est pas la même chose que de livrer ces données à Facebook. »

8 Je n’ai pas eu le temps de tout lire, pouvez-vous résumer ?

TikTok doit son succès à la pertinence de ses suggestions aux utilisateurs. Comme les autres réseaux sociaux, il fait courir aux adolescents les plus fragiles un risque d’utilisation excessive, qui perturberait leur sociabilité et leur développement. Ils risquent également d’y visionner des vidéos relevant de la désinformation ou amplifiant certains complexes. Les experts interrogés par franceinfo recommandent de limiter l’utilisation de l’application par vos enfants et de rester attentifs à ce qu’ils visionnent. L’autre inquiétude liée à TikTok porte sur les données collectées par l’application et le risque qu’elles soient utilisées par la Chine. Un risque aujourd’hui difficile à évaluer, bien que suffisamment sérieux pour avoir poussé plusieurs gouvernements et institutions à interdire l’application à leurs employés.