Tierno Monénembo – Prendre le virus par l’éprouvette du « tout-monde »
15 août 2021 Non Par LA RÉDACTION
CHRONIQUE. Arrêtons de nous payer de mots : à ce compte, aucun test, aucun vaccin, aucun confinement ne viendra à bout du coronavirus.
Par Tierno Monénembo*
Publié le 13/08/2021 à 19h49
Que faire face au Covid-19 ? Manifestement, on n’a pas encore trouvé la bonne recette. Il aurait fallu dès le début prendre le taureau par les cornes, ou plutôt le virus par la bonne éprouvette. Oui, pour parler comme Édouard Glissant, il aurait fallu prendre le virus par l’éprouvette du « tout-monde ». La pandémie que nous vivons ou dont, plus exactement, nous mourrons n’est pas l’armée d’un pays ennemi, elle est l’ennemie de tous. Paradoxalement, cette sale bestiole porte une qualité devenue rare de nos jours : aucun sens de la ségrégation ! Elle n’est ni raciste, ni xénophobe, ni homophobe, ni christianophobe, ni misogyne, ni islamophobe. Elle aime tout le monde, elle embrasse tous les êtres humains qu’elle rencontre, et si fort que bien des fois, elle les asphyxie.
« Chacun s’occupe de sa petite soupe… »
Disons les choses qui fâchent : le mal ne recule pas malgré le tapage des grands de ce monde. Elle ne recule pas parce que, jusqu’à ce jour, on a pris à la légère une très sérieuse affaire. Alors que l’OMS estime à plus de 200 millions le nombre de cas et à plus de 4 000 000 le nombre de victimes, alors qu’aucun atoll du Pacifique n’échappe à ce terrible ravage, chacun balaye devant sa porte. Comme le disait de Gaulle, chaque État s’occupe de « sa petite soupe, sur son petit feu, dans sa petite marmite ». Le sort du genre humain importe peu : l’odeur du fric et la voie étriquée du nationalisme, rien d’autre !
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Se sauver du péril ensemble
À quoi cela sert-il que la Grande-Bretagne soit confinée tel jour, la France, la Belgique ou l’Italie, tel autre jour ? Je l’ai déjà dit plus haut, le coronavirus ne comprend rien aux races, il ne comprend non plus rien aux frontières. Cet immigré illégal s’infiltre partout sans carte de séjour, sans pass sanitaire et sans visa. Mais on l’aurait sûrement stoppé si on avait agi de concert. Un confinement mondial de quelques semaines aurait eu raison de ce cruel ennemi. Un vaccin unique ou tout au moins des vaccins compatibles et mutuellement validés nous auraient sauvés du péril. Je dis bien péril, et un péril de grande taille ! Écoutons plutôt ce qu’en dit Larry Brilliant. Dans une interview accordée à notre confrère Nice-Matin, cet épidémiologiste américain considère que le variant Delta est « probablement le plus contagieux de tous les temps » et lance un sérieux cri d’alarme : « Je pense que nous sommes plus proches du début que de la fin, et ce n’est pas parce que le variant que nous observons actuellement va durer si longtemps… À moins que nous ne vaccinions tout le monde dans plus de 200 pays, il y aura toujours de nouveaux variants. » On est loin du compte. À ce jour, 15 % de la planète a été vaccinée, et seulement 5 % dans une centaine de pays !
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Sur la planète de Pasteur ?
Normal ! Les compagnies pharmaceutiques ne pensent qu’à leur profit et les dirigeants des grandes puissances, qu’aux prochaines élections. À se demander si nous vivons sur la planète qui fut celle de Pasteur ! Les nouvelles générations savent-elles que ce grand homme, cette belle âme, pour sauver ses semblables, a pris le risque (très élevé pour l’époque) de s’auto-administrer le vaccin de la rage ? Le vaccin qui est à l’origine de tous les autres vaccins ! Pasteur est mort, hélas, et rien ne dit qu’un homme de sa taille viendra.
Aujourd’hui est un autre jour, plus question de philanthropie ! Si le coronavirus est une maladie pour Paul, c’est une bonne affaire pour Jacques. Comme le dit ce proverbe peul, « la vie est une rivière de larmes : certains les versent, d’autres s’en désaltèrent ».
* 1986, grand prix littéraire d’Afrique noire ex aequo pour « Les Écailles du ciel » ; 2008, prix Renaudot pour « Le Roi de Kahel » ; 2012, prix Erckmann-Chatrian et grand prix du roman métis pour « Le Terroriste noir » ; 2013 grand prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir » ; 2017, grand prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre.