Stokely Carmichael, le panafricaniste exilé en Guinée, qui dérangeait les Britanniques
18 septembre 2022
Alors que les Britanniques font leurs adieux à la reine Elizabeth II, le Guardian met un coup de projecteur sur un épisode oublié de l’Histoire. Le journal britannique raconte comment, dans les années qui ont suivi les indépendances, les services secrets britanniques ont pris pour cible le militant Stokely Carmicheal, une figure marquante de la seconde moitié du XXe siècle qui s’est battu pour le respect des droits des Afro-descendants. Retour sur le parcours et le personnage de Stokely Carmicheal.
Malgré sa silhouette élancée, son nez pointu et ses yeux ronds, Stokely Carmichael n’était pas l’étudiant docile qu’il pouvait semblait être. C’était un militant et un excellent orateur, à la pensée socialiste et panafricaniste solidement charpentée. Ses conférences faisaient autorité dans les années 60 et sont encore des références aujourd’hui parmi les penseurs de la décolonisation.
Il s’exile avec son épouse Miriam Makeba
Ce fils de travailleurs pauvres, né sur l’île de Trinidad puis élevé à Harlem, s’est engagé très tôt pour la cause noire, dans le lycée où il est entré avec d’excellents résultats, puis à l’université. Il a d’abord suivi le mouvement de Martin Luther King, avant d’être déçu par ses accommodements et exaspéré par la violence de l’État. Il prend en 1967 un tournant radical en rejoignant les Black Panthers. L’honneur du peuple noir, en Amérique et en Afrique, la guerre du Vietnam et le socialisme international deviennent alors ses chevaux de bataille.
Surveillé et diffamé par le FBI, en 1969 il s’exile, avec son épouse la chanteuse Miriam Makeba en Guinée, plus précisément, où il est devenu le très jeune conseiller du président Sékou Touré. C’est alors qu’il a changé son nom en Kwame Ture, en son honneur, et en celui de Kwame Nkrumah. Et c’est à Conakry qu’il meurt d’un cancer en 1998, âgé de 57 ans.
RFI: Pourquoi Stokely Carmichael dérangeait les autorités britanniques ? Et comment cette unité secrète, mandatée par les autorités du Royaume-Uni, a-t-elle réussi à jeter le discrédit sur lui ?
Rory Cormac: Les autorités britanniques s’inquiétaient de la montée du « Black Power », ce mouvement d’affirmation d’une identité noire, dans les Caraïbes. En fait, elles avaient surtout peur qu’il soit lié au communisme international. Les autorités britanniques s’inquiétaient aussi des répercussions sur le tourisme et l’économie dans les colonies britanniques de la région. Mais aussi en Afrique, parce que c’est une région du monde où les Britanniques et les Soviétiques étaient en compétition, ils se livraient à une lutte d’influence, après les indépendances. Et les Britanniques avaient peur que la montée du nationalisme et du communisme ne sape leurs intérêts.
Et que sait-on précisément de cette unité secrète britannique, chargée de discréditer Stokely Carmichael ?
Cette unité s’appelait le Service ou Département de Recherche d’Information. Elle a été créée en 1948. Et son travail consistait à véhiculer de la propagande, tout en dissimulant le fait qu’elle venait du gouvernement britannique. Le premier objectif était de mettre en lumière et saper les activités communistes. L’unité ciblait tout ce qui pouvait menacer les intérêts britanniques, notamment le nationalisme et le terrorisme. L’une des principales tactiques consistait à instrumentaliser des journalistes, avec du « off » par exemple ou en créant de fausses sources. Ils ont par exemple crée un faux mouvement d’opposition, un faux think-tank…
La reine Elizabeth II était-elle au courant de ces manipulations ?
La reine était tout à fait consciente que la Grande Bretagne était impliquée dans toute une panoplie d’opérations secrètes. Elle était la 1ere lectrice des rapports des services de renseignement britanniques. Je suis convaincu qu’elle était au courant de ce genre d’activités. Je ne sais pas en revanche si elle en connaissait tous les détails. L’une des difficultés par rapport à la famille royale britannique, c’est que toutes ces archives sont classifiées. Du coup, c’est difficile de savoir exactement ce que la reine savait.
RFI