Après bientôt une semaine d’affrontements sanglants, aucune des deux forces armées qui se disputent la souveraineté du Soudan n’est parvenue à prendre l’ascendant. Les combats se poursuivent, vendredi 21 avril, dans la capitale, Khartoum, et le reste du pays. L’Organisation mondiale de la santé a dénombré jeudi « près de 330 morts et 3 200 blessés », tandis que les deux camps revendiquent des victoires difficilement vérifiables.
Ce conflit soudain, qui a éclaté le 15 avril, résulte de la rivalité entre deux leaders militaires, Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdan Daglo, qui dirigent le Soudan depuis 2021. Les deux « hommes forts » du pays se sont emparés du pouvoir tenu par les civils après le renversement, en 2019, du dictateur Omar el-Béchir. Franceinfo vous explique qui sont ces deux généraux qui ont fait basculer leur pays dans la guerre civile.
Abdel Fattah al-Burhane, le dirigeant officiel du pays
Le général al-Burhane, 62 ans, est le dirigeant de fait de la junte au pouvoir au Soudan depuis octobre 2021. Au cours de la dictature d’Omar el-Béchir, il était un homme de l’ombre, peu connu du grand public. Sa carrière militaire et diplomatique l’a un temps conduit à Pékin comme attaché de défense. Il a également participé à la guerre au Darfour qui a éclaté en 2003. Les nombreuses exactions commises dans cette région du Soudan valent à Omar el-Béchir d’être visé par deux mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale pour « génocide », « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre ».
En 2019, quand la révolution soudanaise a conduit l’armée à destituer Omar el-Béchir, Abdel Fattah al-Burhane était apparu comme une des rares figures militaires consensuelles. Il avait alors pris la tête d’un Conseil de souveraineté, soutenu par les partis politiques et censé remettre le pouvoir au peuple à l’issue d’une transition démocratique. Dans ce rôle, il a entre autres œuvré au rapprochement diplomatique remarqué entre le Soudan et Israël, et a cultivé sa proximité avec l’Egypte, le puissant voisin.
Mais l’équilibre politique a volé en éclats le 25 octobre 2021, quand le général a annoncé à la télévision l’arrestation de la quasi-totalité des ministres et responsables civils. Il avait alors le soutien du chef des Forces de soutien rapide, le général Mohamed Hamdan Daglo, numéro 2 du conseil censé assurer la transition, auquel il s’oppose aujourd’hui.
Mohamed Hamdan Daglo, le chef d’un groupe paramilitaire qui veut le pouvoir
Plus jeune (il est né en 1975), Mohamed Hamdan Daglo, dit « Hemedti » (un surnom pour Mohamed), a connu un parcours moins orthodoxe que celui du général al-Burhane. Au début des années 2000, il a dirigé une petite milice dans l’ouest du Soudan, région frontalière avec le Tchad dont il est originaire et où se trouve le Darfour. Lors de la guerre civile menée dans la région par Omar el-Béchir, il a gagné en importance au sein de l’armée soudanaise, orchestrant la politique de la terre brûlée voulue par le régime. « L’élite à Khartoum le voyait comme un illettré, un voyou parvenu qu’elle a armé uniquement pour faire le sale boulot de la guerre du Darfour », raconte à l’AFP Alan Boswell, chercheur à l’International Crisis Group.
Il se repose alors sur les janjawids, des miliciens arabes recrutés par Omar el-Béchir pour mener la guerre contre des minorités ethniques du Darfour. Ces troupes se sont regroupées en 2013 pour former les Forces de soutien rapide (FSR), un groupe à part, qui opère en parallèle du reste de l’armée soudanaise.
Les FSR se sont notamment engagées au Yémen en 2015 au côté de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Des experts affirment qu’ils combattent aussi en Libye en soutien du maréchal Khalifa Haftar. Ces paramilitaires seraient aujourd’hui une centaine de milliers. « Le Soudan a deux armées de facto », l’armée régulière et les FSR, et « chacune a une force de frappe à l’échelle nationale », résume l’analyste, spécialiste des conflits en Afrique, Suliman Baldo, interrogé par Le Monde (article pour les abonnés).
En 2019, les FSR ont été accusées d’avoir tué une centaine de manifestants prodémocratie à Khartoum. Cela n’a pas empêché Mohamed Hamdan Daglo de devenir vice-président du Conseil de souveraineté instauré après la révolution. Deux ans plus tard, il a soutenu le coup d’Etat mené par le général al-Burhane. « Un mariage de raison », explique à l’AFP le chercheur et spécialiste du Soudan Hamid Khalafallah. « Ils n’ont jamais eu de partenariat sincère, mais des intérêts communs face aux civils ».
Depuis, les tensions se sont cependant accentuées, en particulier autour de la question de l’intégration des FSR au sein de l’armée régulière, prévue par l’accord politique qui doit permettre le retour au pouvoir des civils. Selon le New York Times (en anglais), qui a interrogé plusieurs négociateurs, des discussions sous l’égide de représentants des Nations unies avaient encore lieu durant les jours précédant le début des combats, samedi.
Alors que ses troupes avaient réprimé les manifestations de 2019, Mohamed Hamdan Daglo reprend désormais leur slogan de l’époque, déclarant lutter « pour la liberté, la justice et la démocratie ». Il a plusieurs fois dénoncé le putsch de 2021 comme un « échec » ayant permis à Abdel Fatah al-Burhane de réinstaller « l’ancien régime » d’Omar el-Béchir et les islamistes qui le soutenaient.
De son côté, le dirigeant du Soudan voit dans les FSR des « rebelles soutenus par l’étranger ». « Hemedti » cultive notamment une proximité avec la Russie, et les Etats-Unis assurent que des miliciens de Wagner l’aident à sécuriser les mines d’or que les FSR contrôlent au Soudan.
Les deux hommes s’accusent mutuellement d’avoir ouvert les hostilités et d’avoir violé la trêve conclue mardi mais jamais respectée. « Les deux camps sont assez forts pour qu’une guerre entre eux soit très coûteuse, très meurtrière et très longue« , affirme le chercheur Alan Boswell. Selon lui, même si l’une des deux parties l’emporte à Khartoum, « la guerre continuera ailleurs dans le pays », créant des bastions rivaux.
AFP