Royaume-Uni : la justice juge « illégale » l’expulsion des migrants vers le Rwanda

Royaume-Uni : la justice juge « illégale » l’expulsion des migrants vers le Rwanda

30 juin 2023 Non Par LA RÉDACTION
Le plan d'expulsion des demandeurs d'asile depuis Londres vers le Rwanda a été jugé "illégal", par la cour d'appel de Londres. Un revers majeur pour le Premier ministre Rishi Sunak. Crédit : Reuters
Le plan d’expulsion des demandeurs d’asile depuis Londres vers le Rwanda a été jugé « illégal », par la cour d’appel de Londres. Un revers majeur pour le Premier ministre Rishi Sunak. Crédit :

La Cour d’appel de Londres a estimé jeudi matin que l’expulsion vers le Rwanda des demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni était « illégale ». Selon le jugement, le pays d’Afrique de l’Est ne peut être considéré comme un « pays tiers sûr » en raison notamment des « déficiences du système d’asile » rwandais – et du risque de renvoi des migrants dans leur pays d’origine. Le Premier ministre a annoncé son intention de déposer un recours devant la Cour suprême.

C’est une victoire pour les défenseurs des droits. Attendu avec impatience, le jugement de la Cour d’appel de Londres a été rendu jeudi 29 juin dans la matinée.

Deux des trois juges ont rejeté le projet controversé du gouvernement conservateur britannique qui prévoit d’envoyer au Rwanda les demandeurs d’asile arrivés illégalement sur le sol anglais. La Cour a estimé que ce petit État d’Afrique de l’Est ne peut être considéré comme un « pays tiers sûr » car les « déficiences du système d’asile [y] sont telles » qu’il peut y avoir « un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient renvoyées dans leur pays d’origine ».

La justice, saisie notamment par l’association Charity Aid, annule donc le projet « à moins que les lacunes de ces procédures d’asile soient corrigées », a précisé le Lord chief justice (Premier des juges d’Angleterre et du Pays de Galles), Ian Burnett.

Recours à la Cour suprême

Parmi les points soumis à la Cour d’appel, la question de savoir si le projet était « injuste de manière systémique » et si l’on doit empêcher que les demandeurs d’asile soient expulsés vers un pays où ils risquent d’être persécutés. Lors de l’audience en avril, les avocats des demandeurs avaient étrillé la « déférence excessive » des premiers juges envers les autorités rwandaises. Ces dernières avaient donné des garanties sur la protection des migrants contre la torture ou les traitements inhumains.

Les avocats du ministère de l’Intérieur avaient rétorqué en invoquant la volonté du Rwanda de « coopérer avec les mécanismes de surveillance internationale » et la confiance de Londres envers les assurances apportées par Kigali.

 

Cette décision de justice annule celle de la Haute Cour, qui avait estimé en décembre dernier que le Rwanda pouvait être considéré comme un « pays tiers sûr ».

Quelques heures après le verdict de la Cour d’appel, le Premier ministre britannique Rishi Sunak, qui a fait de la lutte contre l’immigration sa priorité, s’est exprimé dans un communiqué. « Je respecte la Cour, mais je suis en désaccord fondamental avec ses conclusions », a déclaré le chef du gouvernement. « Le Rwanda est un pays sûr. Nous allons maintenant demander la permission de faire appel de cette décision devant la Cour suprême ».

« Nous contestons la décision selon laquelle le Rwanda n’est pas un pays sûr », selon Kigali

La porte-parole du gouvernement du Rwanda, Yolande Makolo, avait elle aussi dénoncé le verdict. « Nous contestons la décision selon laquelle le Rwanda n’est pas un pays sûr pour les demandeurs d’asile et les réfugiés », a-t-elle déclaré. « Le Rwanda est l’un des États les plus sûrs au monde. Le HCR [Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés, ndlr] et d’autres institutions internationales ont reconnu notre traitement exemplaire des réfugiés […] Nous avons construit un environnement sûr, sécurisé et digne, dans lequel les migrants et les réfugiés ont les mêmes droits et opportunités que les Rwandais », a martelé Yolande Makolo.

Du côté des associations, en revanche, c’est la satisfaction. Saluant une « rare bonne nouvelle dans le sinistre paysage des droits humains au Royaume-Uni », la directrice de l’ONG Human Rights Watch dans le pays, Yasmine Ahmed, a exhorté la ministre de l’Intérieur Suella Braverman à « abandonner ce rêve fiévreux, impraticable et contraire à l’éthique ». Ce jugement « offre au gouvernement l’opportunité de changer de cap », plutôt que de traiter les êtres humains comme une cargaison qu’il expédie ailleurs, il devrait se concentrer à mettre fin à l’environnement hostile envers les réfugiés et les demandeurs d’asile », a-t-elle ajouté.

Un projet largement critiqué

Le gouvernement britannique a reconnu récemment que ces expulsions coûteraient près de 200 000 euros par personne. Mais le ministère de l’Intérieur estime que sur quatre ans, il pourrait économiser 106 000 livres (123 290 euros) pour chaque demandeur d’asile, notamment sur les frais d’hébergement. Pour que la mesure soit rentable, il faudrait que deux migrants sur cinq soient dissuadés de traverser la Manche, selon ces données.

Le projet d’envoyer des migrants au Rwanda a été annoncé l’an dernier par Boris Johnson, lorsqu’il était Premier ministre. Mais il avait été bloqué à la dernière minute par une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), annulant in extremis l’expulsion de demandeurs d’asile, déjà dans un avion.

>> À (re)lire : Expulsions vers le Rwanda : à Kigali, Braverman vante la décoration des habitations prévues pour les migrants

Depuis l’annonce de la mesure, les institutions mondiales, les députés de l’opposition et les ONG rivalisent d’adjectifs péjoratifs pour qualifier ce partenariat : « Inhumain et indigne », selon la Commission européenne, « contraire à l’éthique et exorbitant », selon les travaillistes, « irresponsable », selon Amnesty International, Human Rights Watch et le HCR. Même le roi Charles III, alors héritier du trône, avait exprimé son désaccord et jugé – en privé – que le projet du gouvernement était « consternant », avait rapporté en juin le quotidien The Times.