La surprise Gabriel Attal. Alors que les commentateurs politiques voyaient plutôt Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, ou Julien Denormandie, l’ex-ministre de l’Agriculture, à Matignon, c’est finalement le ministre de l’Education qui a été chargé par Emmanuel Macron, mardi 9 janvier, de former un nouveau gouvernement. A 34 ans, il remplace Elisabeth Borne et bat au passage le record de précocité de Laurent Fabius, devenu Premier ministre à 37 ans. Il se retrouve surtout avec la lourde tâche d’ouvrir une nouvelle page du quinquennat, après les épisodes douloureux de la réforme des retraites et du projet de loi sur l’immigration. Il devient aussi le premier chef de gouvernement ouvertement homosexuel.
Avec cette prime accordée à la jeunesse, Emmanuel Macron s’appuie sur un ministre loyal, auteur d’une spectaculaire ascension politique au sein de la macronie. D’abord porte-parole du parti présidentiel, il entre au gouvernement en 2018, à seulement 28 ans, en tant que secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse. Il est porte-parole du gouvernement entre 2020 et 2022, puis ministre délégué chargé des Comptes publics en 2022, avant de prendre la tête de l’Education nationale en juillet 2023.
Un « soldat » qui « doit tout » à Emmanuel Macron
Le chef de l’Etat a ainsi choisi un fidèle, avec qui il pourra travailler pour la suite de son quinquennat et qui ne lui fera pas d’ombre. Gabriel Attal est le seul ministre qu’Emmanuel Macron a félicité lors de son passage dans l’émission « C à vous » juste après le vote de la loi immigration, à la fin décembre, évoquant son « énergie » et son « courage [pour] mener les combats nécessaires ».
Un proche du président justifie cette nomination par « le talent » et la « popularité » du jeune loup, qui a « la confiance » du président de la République. « C’est lui qui est allé faire les plateaux en 2018 sur les ‘gilets jaunes’ quand personne ne voulait y aller, c’est courageux », rappelle un autre visiteur du soir. « Je suis un soldat, je vais là où on me dit que je suis utile », assurait ainsi Gabriel Attal à franceinfo en 2021.
« Certains au gouvernement avaient une vie politique avant son arrivée [celle d’Emmanuel Macron] au pouvoir. Ce n’est pas mon cas. Je lui dois absolument tout », confiait-il encore récemment au Parisien. Le nouveau Premier ministre bénéficiera-t-il d’une certaine autonomie vis-à-vis du chef de l’Etat ? « Ils échangent beaucoup, mais le ministre n’a pas avec lui une relation d’élève, il a une marge de manœuvre et de liberté », assurait son entourage au moment de son arrivée au ministère de l’Education.
Après une rentrée durant laquelle il a écumé les plateaux de télé pour défendre notamment l’interdiction de l’abaya à l’école, Gabriel Attal va devoir incarner le message de fermeté voulu par le président de la République. Après dix-huit mois d’un second mandat souvent difficile, Emmanuel Macron souhaite pour la France, selon son entourage, un « réarmement civique », notamment grâce à l’école, un « réarmement industriel », ou encore un « réarmement européen » à l’approche des élections européennes de juin; pour lesquelles le camp présidentiel est largement distancé dans les sondages par le Rassemblement national.
L’atout de la popularité
L’arrivée d’un si jeune chef de gouvernement à Matignon peut aussi être perçue comme une réponse à la popularité grandissante de Jordan Bardella, président du RN âgé de 28 ans et tête de liste aux européennes.
« J’ai dit au président que si on ne changeait pas, on allait mourir, on allait perdre les européennes et ça serait irrattrapable. »
Un député Renaissanceà franceinfo
Dans cette optique, la popularité acquise par le ministre de l’Education dans les enquêtes d’opinion est un atout. Selon un sondage du Figaro, Gabriel Attal avait les faveurs de l’opinion (36% des sondés) parmi les ministres pour remplacer Elisabeth Borne, devant Bruno Le Maire (31%).
Car celui qui est devenu la personnalité politique préférée des Français selon le baromètre Ipsos a fait de la communication une arme de choix. Maîtrisant les réseaux sociaux, il n’hésite pas à se frotter au débat sur les plateaux de télévision. « C’est la personnalité qui a émergé lors de la dernière année, avec une ligne politique bien identifiée, comprise comme plutôt à droite », observe Mathieu Gallard, directeur d’études à l’Ipsos.
« Il est identifié, il a franchi un cap colossal à l’Education. Il a un avantage par rapport à Elisabeth Borne : médiatiquement, il sait faire et occuper les devants de la scène », abonde un proche du président. Qui souligne aussi les limites de la décision présidentielle.
« Ce n’est pas très ‘France d’en bas’ comme choix. »
Un proche du présidentà franceinfo
A son arrivée au ministère de l’Education, ses détracteurs ont d’ailleurs vite pointé son parcours scolaire en établissement privé, dans la très élitiste Ecole alsacienne du 6e arrondissement de la capitale. « Il n’a jamais travaillé, comment voulez-vous qu’il connaisse la réalité de la vie des Français ? », cinglait la socialiste Cécile Soubelet, investie dans les Hauts-de-Seine face à Gabriel Attal, lors des élections législatives de 2022.
Un ministre « très efficace » et « très politique »
Au gouvernement, le ministre n’a eu de cesse de multiplier les déplacements pour se défaire de son image très parisienne. Depuis ses premiers pas en politique, Gabriel Attal cherche en effet à se donner les moyens de ses ambitions. En 2012, alors qu’il n’est pas encore diplômé de Sciences Po Paris, il intègre à 23 ans le cabinet de Marisol Touraine, la ministre de la Santé de François Hollande. « Il avait sa confiance absolue, il était extrêmement habile et reconnu comme tel », confie Jean Massiet, ancienne plume de la ministre, devenu streamer politique sur la plateforme Twitch.
Militant socialiste, Gabriel Attal rejoint En marche !, le mouvement lancé par Emmanuel Macron, dès 2016. Là, il s’attire très vite les louanges de ses camarades. « C’est quelqu’un qui a une très grosse capacité de travail et une intuition politique », loue notamment Mayada Boulos, ex-conseillère du Premier ministre Jean Castex. « Il est très efficace, anticipe les sujets. Rien ne lui échappe », ajoute une ancienne collaboratrice du nouveau Premier ministre.
« C’est une éponge, il retient tout, comme un hypermnésique. »
Une ancienne conseillère de Gabriel Attalà franceinfo
Les compliments ne manquent pas. Cela tombe bien : avec la majorité relative issue des dernières législatives, Gabriel Attal aura fort à faire pour trouver des compromis. D’autant que le vote de la loi immigration grâce aux voix de la droite et de l’extrême droite a laissé des traces au sein des troupes macronistes. L’ancien socialiste est-il un signal envoyé à l’aile gauche de la macronie ? Gabriel Attal est en tout cas apprécié dans la majorité. « Il nous avait déjà impressionnés au ministère du Budget, et là, il fait un sans-faute à l’Education. Il a fait un très bon coup avec l’abaya et sur le harcèlement scolaire, il prend le truc au sérieux. Il est très politique », confiait un député macroniste à l’automne.
Des convictions peu identifiées
« Je ne sais pas quel animateur de gouvernement il peut être. Il ne connaît pas les grands ministères régaliens et les grands rouages de l’Etat. Après, il pige vite, il apprend vite », ajoute un proche du chef de l’Etat. Estimé par ses anciens collègues, le nouveau Premier ministre va devoir gérer les ego, les bisbilles et les arbitrages inhérents à la vie de tout gouvernement. Et peut-être certaines jalousies.
« C’est un bon élève, mais il ne produit pas d’idées. Il ne cultive pas son réseau. Quelles sont ses convictions ? », s’interrogeait une ministre en octobre. « Son parcours lui donne raison d’un point de vue institutionnel, mais qui peut dire ce qu’il pense, quelle est sa colonne vertébrale ? », se questionnait aussi une députée à l’automne.
« A l’Education, il se consacrait souvent sur des sujets assez précis [port de l’abaya, système scolaire…]. Il aura une difficulté en tant que Premier ministre, car il est plus difficile d’être sur des sujets très concrets, analyse le sondeur Mathieu Gallard. Et en termes de ligne politique, aura-t-il des marges de manœuvre ? Le risque, c’est qu’il soit perçu comme un clone d’Emmanuel Macron, c’est-à-dire un dirigeant jeune et technocrate. »
L’arrivée de Gabriel Attal ne correspond pas a priori à un changement de ligne profond. Pourtant, le camp présidentiel sait qu’il a besoin d’une impulsion forte pour éviter l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en 2027.