Putsch au Niger: les réactions très contrastées de Nigériens aux dernières annonces de la Cédéao
11 août 2023La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a ordonné, le 10 août 2023, le déploiement d’une « force en attente » pour restaurer l’ordre constitutionnel au Niger, pays où un coup d’État a eu lieu le 26 juillet contre le président Mohamed Bazoum. Des annonces de la Cédéao auxquelles trois Nigériens, contactés par RFI, apportent des commentaires très différents. Réactions.
Réunis à Abuja, les chefs d’État de la Cédéao ont décidé, ce 10 août, d’activer et de déployer « la force en attente » de la communauté ouest-africaine pour la restauration de l’ordre constitutionnel au Niger. L’organisation sous-régionale affirme toutefois qu’elle garde sur la table toutes les options pour « la résolution pacifique » de cette crise née d’un coup d’État contre le président du pays, Mohamed Bazoum, retenu depuis le putsch du 26 juillet dernier.
La Cédéao fait « tout ce bruit pour pouvoir se donner bonne conscience »
« Ils font tout ce bruit pour pouvoir se donner bonne conscience », estime Eli Bossoma, acteur de la société civile nigérienne, au micro de Guillaume Thibault. Pour lui, la Cédéao n’est pas assez ferme et le dernier sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de l’organisation donne aussi du temps à la junte pour dérouler son agenda : « On peut avoir espoir dans le fait que, peut-être, les gens vont fléchir. Le problème, c’est la rupture que pose chaque fois la junte pour stopper les débats. Les arguments avancés ne convainquent personne. Donc, il y a une impasse. La solution n’est pas autour d’une table, parce qu’en fait, la junte refuse. »
À lire aussiNiger: «La Cédéao veut montrer qu’elle est déterminée», dit le chercheur Arthur Banga
Eli Bossoma poursuit : « Ils [les putschistes, NDLR] oublient que ce sont des millions de gens qui ont choisi un gouvernement et que les textes qui ont été adoptés par la Cédéao, ce sont des textes qui ont préexisté à la gouvernance du président Bazoum. Aujourd’hui, on veut nous ramener aux années 1970 [décennie durant laquelle un coup d’État et plusieurs tentatives de putsch ont eu lieu, NDLR] alors que la démocratie est là ! Les hommes doivent savoir que les mesures, les outils qu’ils ont utilisés doivent être utilisés. »
« Nous ne pouvons que proposer le dialogue entre les parties »
Djibril Idrissa, lui, est le secrétaire général de la Confédération démocratique des travailleurs du Niger (CDTN). Ce leader syndical prône le dialogue plutôt que la force dans cette crise, au micro de Guillaume Thibault : « Quelle que soit aussi la situation politique ou militaire, nous ne pouvons que recommander ce dialogue. Nous sommes convaincus que s’il y a un désaccord entre des parties et que ces parties acceptent d’être autour de la même table de négociations ou de discussions, elles finiront par se comprendre et s’entendre. Pour nous, l’usage des armes n’est pas une pratique au niveau syndical, nous ne pouvons que proposer le dialogue entre les parties. »
À lire aussiCrise au Niger: la Cédéao active sa force en attente mais continue à chercher une résolution pacifique
Interrogé sur l’importance que la libération de Mohamed Bazoum pourrait avoir dans ce dossier, Djibril Idrissa souligne : « C’est un élément qui s’est fait dans beaucoup d’autres pays où les parties – c’est-à-dire les putschistes et la communauté internationale, les acteurs nationaux – se sont retrouvées et nous sommes convaincus que ça permettrait au Niger de gagner. »
« La Cédéao doit accompagner le Niger dans ce processus de transition, parce qu’il est irréversible »
Un autre Nigérien, qui a requis l’anonymat au micro de Gwendal Lavina, est, lui, beaucoup plus sceptique sur le sujet. « Le retour constitutionnel ou le rétablissement de Bazoum dans ses fonctions de président, c’est quelque chose d’impossible, lance ce partisan de la junte habitant Niamey. Donc, la Cédéao ne doit même pas le redire. Elle l’a dit une fois, mais elle ne devrait pas le redire. Elle sait vers quelle solution le Niger est en train d’évoluer. Les militaires ont déjà fait asseoir un gouvernement avec un Premier ministre civil. Nous nous acheminons vers un gouvernement de transition. Maintenant, ce que la Cédéao doit faire, c’est accompagner le Niger dans ce processus irréversible, parce qu’il est irréversible. »
À lire aussiNiger: le pays a un nouveau gouvernement, les putschistes s’attribuent six ministères
Il conclut, plein de convictions : « Pour moi, l’activation de la taskforce [la Force en attente, NDLR] de la Cédéao n’est qu’une intimidation, en réalité. C’est juste en fait du bluff. C’est une tempête dans un verre d’eau. Cela n’ira nulle part. Le langage même a changé. Ils ne parlent plus de putschistes, ils parlent plutôt de militaires au pouvoir. En une semaine, le langage a déjà évolué. C’est déjà une bonne chose. »
Les chefs d’État et de gouvernement de la Cédéao ont une nouvelle fois exigé la libération de Mohamed Bazoum et rappelé qu’ils tiennent la junte pour responsable de l’intégrité physique du président élu et de ses proches.
Les expressions d’inquiétude sur les conditions de sa détention se multiplient en effet. Les dernières en date sont formulées par des chefs coutumiers, religieux et des leaders de communautés proches du président. Dans un communiqué publié hier, ils évoquent le traitement inhumain et dégradant subi depuis le 26 juillet par le chef d’État déchu et sa famille.
Leurs conditions de détention au palais présidentiel se sont largement dégradées, le 2 août. Depuis cette date, ces derniers n’ont en effet plus le droit de recevoir de visite, y compris d’un médecin, et sont privés d’électricité, d’eau courante et d’aliments frais. Ils en sont désormais réduits à consommer du riz et des pâtes, selon des proches.
Les rédacteurs de cette lettre disent avoir contacté des proches de la junte pour obtenir l’amélioration de leurs conditions de détention. Mais, face à l’absence de réponse, ils interpellent désormais le grand public et exige sans condition la libération de Madame Bazoum et son fils.
Le 9 août, c’est le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, qui exprimait son inquiétude. La veille, lors d’un appel avec Anthony Blinken, le Secrétaire d’État américain, le président renversé Mohamed Bazoum avait déjà décrit des conditions de détention très difficiles.
RFI