Procès du 28-Septembre en Guinée: «Les dames qui sont passées à huis clos se sentent plus libérées»
27 mars 2023
RFI : Asmaou Diallo, six mois d’audience déjà pour ce procès historique. Quelle est l’image qui vous a le plus marquée ?
Asmaou Diallo : C’est surtout le jour où on a lancé l’ouverture de ce procès qu’on a attendu durant treize ans. Ça, c’était vraiment un bonheur pour nous, pour toutes les victimes, et je peux dire même pour la Guinée parce que c’est quelque chose au sujet duquel on se demandait : est-ce qu’on aura ce jour ? Et Dieu merci, c’est arrivé.
L’ex-président de la transition, le chef du CNDD [Le Conseil national pour la démocratie et le développement, Ndlr], le capitaine Moussa Dadis Camara, à la barre, c’est aussi une image très marquante ?
Oui, très marquante, parce que vous savez, le capitaine Dadis a toujours dit qu’il était prêt à venir devant la justice guinéenne, et ça, nous sommes vraiment très contents du fait qu’il ait accepté d’être là, ça aussi c’est très important pour la Guinée, c’est de faire comprendre aux Guinéens que personne n’est au-dessus de la loi.
Le voir sur le banc des accusés c’est une chose, mais est-ce que son témoignage, lui, est à la hauteur de vos attentes ?
Nous, victimes, on n’est pas satisfaites, jusqu’à présent on n’est pas du tout satisfaites, parce que jusque-là, d’abord lui il dit que c’est un complot de Sékouba Konaté, d’Alpha Condé, et de Toumba, qu’il n’en sait rien. Ceux qui sont avec lui aussi disent qu’ils ne le connaissent pas. Alors c’est ça maintenant le problème de ce procès, on se demande maintenant qui a été responsable, qui a donné l’ordre pour qu’on fasse ce massacre. Chacun dit : c’est l’autre, moi je ne connais pas, moi je ne sais pas. Et pourtant, il y a eu des tueries au stade, il y a eu des morts, il y a eu des violées, il y a eu des personnes disparues. Ces personnes disparues, on se demande, on se pose la question, ils n’ont qu’à le dire exactement où se trouvent les fosses communes s’il y a eu des fosses communes, et s’il n’y a pas de fosses communes, où se trouvent ces disparus. Et qui a commandité, qui a donné l’ordre, pour que ce carnage se fasse au stade ? C’est tellement sombre, jusque-là, ce n’est pas clair.
Mais tout de même, Toumba, l’ancien aide de camp de Dadis Camara, a parlé. Il a mis en cause Dadis Camara. Est-ce que son témoignage fait avancer la vérité ?
Je crois qu’il a éclairé la situation du 28-Septembre, tout ce qu’il s’est passé entre eux. Maintenant, quand lui il le dit, en tant qu’aide de camp de Dadis, Dadis n’a qu’à nous aider à voir la vérité. Peut-être le capitaine Dadis va finalement avoir vraiment la gentillesse de dire exactement ce qu’il en sait de ce qu’il s’est passé le 28 septembre. Il faut absolument que la vérité puisse sortir.
Et ce procès est retransmis à la télévision. Il est très suivi par la population. C’est quelque chose d’important pour vous ?
Oui, c’est très important. Vous savez, on avait demandé cela depuis le début, avant que le procès ne démarre, donc c’est très important et c’est très suivi, c’est très suivi au niveau national et international. Et le moment du huis clos, j’avoue que c’était compliqué pour les gens, on appelait souvent : quand est-ce que le huis clos va finir ? Parce que nous, on a envie de suivre le procès.
Les comparutions de Toumba ont cumulé plus d’un million de vues sur internet…
Oui, tout à fait. C’est Toumba qui a ouvert carrément les débats parce que lorsqu’il a témoigné, il y avait des choses que les Guinéens ne savaient pas.
Avez-vous observé des changements de comportement à l’égard des victimes qui ont beaucoup souffert de stigmatisation avant le procès ? Est-ce que les choses sont en train de changer ?
Oui, ça va les aider moralement. Tout le monde parle des victimes, donc les victimes sont vraiment très à l’aise de suivre le procès et de savoir que le procès est suivi. Il y a des victimes qui depuis le début jusqu’à aujourd’hui n’ont pas manqué un seul jour pour venir assister au procès.
Les parties civiles ont la parole actuellement, des victimes s’expriment à la barre. Ce procès les libère ?
Oui, ça les libère, je vous le dis, les dames qui sont passées à huis clos se sentent vraiment très ragaillardiesaujourd’hui parce qu’elles ont pu se libérer, parce qu’elles avaient ça dans le cœur durant treize ans. Je ne sais pas si vous avez suivi, il y en a une qui n’a pas voulu faire le huis clos, qui a vraiment eu le courage de témoigner à visage découvert. Je peux dire qu’elles ont eu vraiment mal au stade le 28 septembre, alors cette femme a su vraiment garder le cap. Il y a eu tellement de discrédit sur elle, mais elle a supporté, elle a expliqué exactement ce qu’elle a subi. Et je peux dire que ce sont des femmes qui sont braves, qui ont eu le courage d’être devant le tribunal, ça ça m’a beaucoup touché.
Rfi