« Je suis inculpé pour vous. » Devant 7 000 partisans, voilà comment Donald Trump présente les accusations dont il fait l’objet. En ce début du mois de septembre, l’ancien chef d’Etat américain est en meeting dans une salle bondée de Rapid City (South Dakota). Un premier rassemblement depuis son fameux « mug shot », sa photo d’identité judiciaire, en Géorgie, deux semaines plus tôt. Des soutiens portent son visage de suspect sur leurs tee-shirts « Wanted » et acclament leur leader dès qu’il parle de ses démêlés avec la justice. Donald Trump en fait une fierté : « Je suis la seule personne dans l’histoire de la politique à avoir été inculpée, et dont les résultats dans les sondages ont augmenté. »
Pour une fois, le candidat aux primaires républicaines pour l’élection présidentielle de 2024, habitué des « fake news » et des propos complotistes, n’a pas vraiment tort. Depuis sa première inculpation dans l’affaire Stormy Daniels le 30 mars, il est passé de 47,3% à environ 61% des intentions de vote pour les primaires, d’après le site de référence FiveThirtyEight.com. Une position claire de favori sur la ligne de départ : lundi 15 janvier, le processus de désignation du représentant républicain dans la course à la Maison Blanche débute dans l’Etat de l’Iowa.
Le milliardaire a pourtant été inculpé pour complot contre l’Etat, pour avoir tenté d’inverser le résultat de la dernière présidentielle ou pour avoir conservé des documents présidentiels confidentiels, après son départ de la Maison Blanche. Les dossiers judiciaires s’empilent, mais le républicain reste loin, très loin devant ses rivaux dans les sondages. Les premiers d’entre eux, Ron DeSantis et Nikki Haley, n’atteignent qu’entre 11 et 12% des intentions de vote. « Il est intouchable, tout semble lui glisser dessus », résume Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et spécialiste de la politique américaine.
« La meute fait front derrière lui »
Pourtant, Donald Trump revient de loin. L’ancien locataire de la Maison Blanche partait fragilisé pour 2024, après des résultats républicains mitigés aux élections de mi-mandat en novembre 2022. Au même moment, l’alternative Ron DeSantis, confortablement réélu gouverneur de Floride, avait émergé dans le Grand Old Party. « Il faisait campagne avec un programme similaire à celui de Trump, mais avec un visage plus respectable », relève Ludivine Gilli, directrice de l’Observatoire de l’Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès. Si bien que l’écart s’est resserré entre les deux hommes : début 2023, DeSantis atteignait 34% des intentions de vote pour les primaires, contre 45% pour Trump.
Mais entre février et mars, le candidat en tête a creusé un écart qui s’est accru en avril, dès sa première inculpation. L’ancien président est accusé d’avoir falsifié des documents pour cacher le remboursement d’un paiement de 130 000 dollars à l’actrice et réalisatrice porno Stormy Daniels. Ce paiement, fait par l’avocat de Donald Trump, visait à acheter le silence de l’actrice après une supposée relation avec le milliardaire. Mais l’inculpation semble paradoxalement bénéficier au mis en cause. Du 31 mars au 11 avril, les intentions de vote pour Donald Trump passent de 47 à 54%.
A l’époque, une part importante du parti républicain – et du milieu médiatique conservateur – se met en ordre de marche pour défendre le suspect. Tout cet écosystème dénonce une justice politisée et tenue par les démocrates. Le candidat revient au centre de l’attention médiatique, « ce qui ne lui fait pas de mal » au regard des sondages, pointe le politologue Hans Noel, de l’université de Georgetown (Etats-Unis). Le soutien du parti républicain, qui multiplie les appels aux dons, joue aussi « un rôle immense » pour relancer la « machine » Trump.
« Cela coûte cher d’aller à l’encontre d’un candidat populaire. Les dirigeants républicains ne l’ont pas fait car Trump a suffisamment d’attrait personnel. Ses partisans l’aiment pour ce qu’il est, ils le suivraient même s’il quittait le parti républicain. Le mouvement ne veut pas perdre cet électorat. »
Hans Noel, politologue américainà franceinfo
En parallèle, Donald Trump intègre volontiers les inculpations dans son discours populiste. Une victimisation efficace, poursuit Hans Noel : « Il se présente comme défendant les vrais Américains. Il parle d’une cabale de l’élite contre eux », décrypte le politologue. Dans ce récit complotiste, « l’élite s’en prend à Trump, car il protège ce peuple ». Toute nouvelle accusation n’est que la preuve de cette conspiration. Et « quand on s’attaque au chef de la meute, la meute fait front derrière lui », illustre Ludivine Gilli, autrice de La Révolution conservatrice aux Etats-Unis.
« Ses électeurs voient ces affaires comme une chasse aux sorcières »
Les inculpations suivantes, de juin à août, n’atteignent pas la popularité de Donald Trump. Le candidat est poursuivi dans l’affaire des documents présidentiels classifiés, puis inculpé pour « complot à l’encontre de l’Etat américain » ou encore « atteinte aux droits électoraux », après ses efforts pour inverser l’issue de la présidentielle de 2020. En Géorgie, un grand jury l’inculpe aussi pour ces tentatives. Dans les sondages, Donald Trump conserve 50 à 55% des intentions de vote aux primaires, d’après FiveThirtyEight.com.
« Les actes d’accusation n’ont eu aucun effet », confirme Clifford Young, directeur des enquêtes d’opinion pour Ipsos aux Etats-Unis. « Les électeurs de Trump voient ces affaires comme une chasse aux sorcières. » L’ex-président bénéficie aussi de la faiblesse d’autres candidatures, comme celle de Ron DeSantis. Du printemps à la fin de l’été, le gouverneur de Floride a complètement décroché dans les études d’opinion.
Le soutien à Donald Trump est-il inébranlable ? « Il y a quelque chose de viscéral, une perception de Trump qui est hautement personnelle et insaisissable » chez ses électeurs, développe Lauric Henneton. Aux yeux du chercheur, aucune accusation n’a réellement affaibli sa base. « A chaque fois que l’on pense qu’il franchit une ligne rouge… Tout passe. Après [l’assaut du Capitole] le 6 janvier 2021, on pouvait rationnellement penser qu’il était allé trop loin », appuie-t-il. Pour les trumpistes, néanmoins, « il était assez facile d’y voir un acte patriotique ». Plus c’est gros, plus ça passe. Donald Trump s’amusait déjà de cet effet en janvier 2016, avant même d’être élu président. « Je pourrais être au milieu de la 5e Avenue [à New York] et tirer sur quelqu’un, je ne perdrais aucun électeur », s’était-il amusé lors d’un meeting dans l’Iowa.
« Il crée un culte de la personnalité, un attachement émotionnel entre lui et ses partisans. C’est un attachement à une personne et à un collectif. Y renoncer, c’est renoncer à une partie de son identité. »
Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unisà franceinfo
Dans une sphère pro-Trump ne s’informant qu’avec des médias conservateurs, « les arguments rationnels qui sont présentés », notamment sur les inculpations, « n’ont pas de prise », expose Ludivine Gilli. L’accumulation des affaires a en outre pu affaiblir leur impact. La politologue Jeanne Sheehan parle d’un « effet de dilution » : avec un grand nombre d’accusations, particulièrement celles jugées moins sérieuses comme l’affaire Stormy Daniels, des inculpations plus graves ont pu être occultées.
« Une partie des républicains reste attachée aux institutions »
Si la base de Donald Trump reste soudée autour du célèbre justiciable, la quête de nouveaux électeurs demeure plus incertaine. « Cette portion de la société [en faveur de Trump] n’est pas extensible à l’infini », tempère Ludivine Gilli. Comme elle, des chercheurs estiment qu’entre 60 et 65% des électeurs républicains sont acquis à sa cause. « Il y a quand même une partie des républicains qui restent attachés à l’Etat de droit, aux institutions. » Jusqu’à tourner le dos à l’ancien président s’il est condamné ?
Après ses inculpations, plusieurs procès ont été annoncés pour le printemps et l’été, en pleine campagne présidentielle. S’ils ne sont pas reportés, ils pourraient cette fois jouer en défaveur du républicain. « Les actes d’accusation n’ont pas d’importance, mais les condamnations pourraient en avoir une », confirment Clifford Young et plusieurs de ses collègues dans une étude pour Ipsos. Si Donald Trump était condamné puis incarcéré, 52% des républicains interrogés ne voteraient pas pour lui.
La suite de ces affaires pourrait aussi jouer sur les électeurs indécis, à l’approche de la présidentielle le 5 novembre, quand il faudra affronter un adversaire démocrate cette fois. « Cela risque d’être une élection très serrée, prédit Hans Noel. Je pense que dans l’ensemble, Trump préférerait que ces problèmes disparaissent. » Après avoir bien capitalisé dessus.