Présidentielle 2022 : pourquoi Emmanuel Macron a accusé Marine Le Pen d’avoir Vladimir Poutine comme « banquier » lors du débat
21 avril 2022Cette séquence, qui a marqué le débat de l’entre-deux-tours mercredi soir, fait référence au prêt que la candidate d’extrême droite a contracté auprès d’une banque russe en 2014. Et que le parti continue de rembourser.
Marine Le Pen venait de saluer les « efforts » d’Emmanuel Macron « pour trouver au nom de la France la voie de la paix » dans la guerre en Ukraine quand l’intéressé a attaqué sec. « Vous dépendez du pouvoir russe et vous dépendez de Monsieur Poutine », a alors lancé le président sortant, mercredi 20 avril, en plein débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle. « Vous parlez à votre banquier quand vous parlez de la Russie, c’est ça le problème. »
Pour financer sa campagne pour les élections régionales et départementales de 2015, le Front national a en effet sollicité une banque russe, la First Czech-Russian Bank, plus connu sous le sigle FCRB, pour obtenir 9 millions d’euros. C’était en septembre 2014 et Marine Le Pen dirigeait déjà le parti d’extrême droite. « Tout le monde le sait, c’est de notoriété publique », a d’ailleurs évacué la candidate du Rassemblement national lors du débat.
A l’époque, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, expliquait et justifiait le montage financier par le refus des banques françaises de prêter de l’argent au Front national. C’est le député européen Jean-Luc Schaffhauser, ex-consultant pour Dassault Aviation, qui sert d’intermédiaire.
« Il m’a indiqué que je pouvais prendre contact avec cette banque russe. (…) C’est une opération parfaitement normale et assez classique. »
Wallerand de Saint-Just, trésorier du Front national
sur franceinfo
Jean-Luc Schaffhauser aurait en fait présenté Marine Le Pen à Alexander Mikhailovich Babakov lors d’un voyage secret en Russie dès février 2014, soit plusieurs mois avant de trouver un accord sur le prêt. Mediapart décrit à l’époque ce « puissant » député nationaliste comme le « conseiller du président Poutine en charge de la coopération avec les organisations russes à l’étranger ». Le site d’investigation croit savoir qu’elle avait d’ailleurs profité de ce déplacement pour rencontrer Vladimir Poutine.
Une banque proche du Kremlin
Actuellement emprisonné près de Moscou, Alexeï Navalny a rappelé dans une série de messages publiés mercredi sur Twitter que « cette banque est une agence de blanchiment d’argent bien connue qui a été créée à l’instigation de Poutine ». Avant de s’interroger : « Ça vous plairait si un homme politique français obtenait un prêt auprès de la Cosa Nostra ? » L’opposant russe accuse Marine Le Pen d’avoir vendu à Vladimir Poutine « de l’influence politique » en échange de ce prêt. Selon lui, la transaction n’a pu se faire « sans un accord politique secret« . « C’est de la corruption« , a-t-il accusé.
Marine Le Pen assure de son côté ne pas avoir eu d’autres choix que de demander ce prêt à la Russie en raison des difficultés rencontrées par son parti pour en obtenir un en France. « Ce qui est scandaleux, c’est que les banques françaises ne prêtent pas », expliquait-elle dans Le Monde en novembre 2014. Le Front national (devenu depuis le Rassemblement national) affirme avoir démarché une quinzaine établissements bancaires français.
Lors du débat, la candidate à l’Elysée a d’ailleurs redit ses difficultés de l’époque. « C’est malhonnête de m’empêcher d’obtenir un prêt dans une banque française et de me reprocher ensuite de partir à l’étranger pour en chercher un », a-t-elle lancé à Emmanuel Macron. Ce à quoi le chef de l’Etat a rétorqué : « En 2015, je vous ai empêchée de trouver un prêt dans une banque française ? Je n’étais pas ministre des Finances. (…) Personne n’est jamais intervenu. »
Le RN n’a toujours pas remboursé
En 2016, soit deux ans après avoir accordé un prêt au Front national, la First Czech-Russian Bank fait faillite. Aviazaptchast, une entreprise spécialisée dans les pièces détachées pour avion dirigée par d’anciens militaires proches des services secrets, hérite du crédit, qui arrive à échéance en septembre 2019. Mais le parti n’est pas en mesure de rembourser le capital emprunté et Aviazaptchast finit par déposer une plainte contre le RN pour défaut de remboursement.
En 2020, le Rassemblement national obtient finalement un délai : il a désormais jusqu’en 2028 pour honorer sa dette. « C’est long à rembourser et nous remboursons sous le contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne » qui « est extrêmement sévère et rigoureuse », a d’ailleurs rappelé la candidate lors du débat.
« Nous sommes un parti pauvre (…) mais je n’ai jamais considéré que c’était déshonorant. »
Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national
lors du débat d’entre-deux-tours
Emmanuel Macron a ainsi estimé que ce prêt rendait Marine Le Pen dépendante du pouvoir russe, en pleine guerre en Ukraine. « Beaucoup de vos choix s’expliquent par cette dépendance, a taclé le président sortant. C’est pour ça que, dès qu’il y a des positions difficiles et courageuses à prendre, ni vous ni vos représentants ne sont là. » L’intéressée s’est alors défendue : « Monsieur Macron, c’est faux et c’est assez malhonnête. Je suis une femme absolument et totalement libre. »
Des positions prorusses affirmées
Au moment de la signature du prêt en 2014, Marine Le Pen répondait déjà dans Le Monde que « ces insinuations sont outrancières et injurieuses. Au motif que l’on obtient un prêt, cela déterminerait notre position internationale ? Cela fait longtemps que nous sommes sur cette ligne [prorusse]« . En 2016, le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus estimait dans les colonnes du quotidien du soir que « c’est parce que, dans certains cercles proches du pouvoir, on a compris que le FN voyait la Russie de Vladimir Poutine comme un modèle sociétal et un allié stratégique qu’il est possible qu’il bénéficie de cette aide ».
Le 31 mars, sur France 2, Marine Le Pen a d’ailleurs répondu sans hésiter à la question de savoir si Vladimir Poutine pouvait « redevenir un allié de la France » une fois la guerre terminée : « Oui, bien entendu. » « Je l’ai toujours dit, une grande puissance peut être en même temps un allié dans un certain nombre de territoires, un adversaire ou un concurrent », a poursuivi la candidate du Rassemblement national.
Cette année, pour financer sa campagne, ce n’est pas vers la Russie mais vers la Hongrie que Marine Le Pen s’est tournée. Elle a ainsi souscrit un prêt de 10,6 millions d’euros sur une durée de 16 mois auprès de la banque MKB Bank Nyrt, a appris franceinfo fin janvier. Un établissement qui appartient à Lorinc Mészaros, un ami personnel du Premier ministre Viktor Orban, dont Marine Le Pen est proche. Quelques jours plus tôt, la leader d’extrême droite avait regretté d’avoir dû essuyer une cinquantaine de refus pour financer sa campagne. « Cette situation devrait scandaliser tous les gens attachés à la démocratie », avait-elle dénoncé.