Pas à pas, le Rwanda pousse ses pions en Centrafrique, au risque d’une confrontation avec Wagner (rapport)

Pas à pas, le Rwanda pousse ses pions en Centrafrique, au risque d’une confrontation avec Wagner (rapport)

10 juillet 2023 Non Par LA RÉDACTION
Pas à pas, le Rwanda pousse ses pions en Centrafrique, au risque d’une confrontation avec Wagner (rapport)

(Agence Ecofin) – Alors que l’afflux massif des investisseurs rwandais génère une impression d’envahissement économique chez les Centrafricains, un rapport estime que les intérêts miniers détenus par Kigali dans le pays pourraient entrer en conflit avec ceux des mercenaires russes du groupe Wagner.

L’engagement protéiforme du Rwanda en République centrafricaine (RCA) a déjà eu plusieurs effets positifs comme l’amélioration de la situation sécuritaire et le maintien du processus de paix en vie, mais les accords de partenariat « opaques » conclus entre Bangui et Kigali comportent des risques qui pourraient entacher les relations entre les deux pays, selon un rapport publié le 7 juillet par l’International Crisis Group (ICG).

Intitulé « Le rôle croissant du Rwanda en République centrafricaine », le rapport souligne que l’engagement militaire du Rwanda en Centrafrique a commencé en 2013 par le déploiement de 850 soldats dans le cadre d’une mission de paix initialement dirigée par l’Union africaine (UA). Son rôle s’est renforcé à un rythme soutenu au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca), qui a pris le relais en 2014. En 2022, Kigali était le principal contributeur de Casques bleus de la Minusca, avec plus de 2000 soldats et policiers.

Des troupes rwandaises supplémentaires ont été aussi déployées dans plusieurs régions centrafricaines à la demande de Bangui pour aider le gouvernement à repousser des groupes rebelles lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2020. Déployés dans le cadre d’un accord bilatéral, dont les détails ont été tenus secrets, ces troupes, aux côtés de l’armée centrafricaine et des paramilitaires du groupe russe Wagner, ont contribué à repousser les forces de Coalition des patriotes pour le changement (CPC), un groupe rebelle créé par l’ancien président Bozizé.

En plus d’avoir contribué à repousser la CPC en dehors des centres urbains, Kigali soutient aussi la réforme du secteur de la sécurité. Cette réforme lancée en août 2021 consiste à équiper, former et déployer des unités de l’armée et des forces de sécurité centrafricaines.

Dans l’ensemble, les soldats rwandais en Centrafrique, ont une bonne réputation auprès des autorités et de la population centrafricaines. Le rapport indique également le Rwanda est étroitement impliqué dans les tentatives de relance du processus de paix en RCA, en partenariat avec l’Angola. Dans ce cadre, le gouvernement centrafricain et les groupes armés se sont mis d’accord en septembre 2021 sur une feuille de route pour résoudre la crise. Ce plan prévoyait l’exil des chefs rebelles dans les pays voisins ainsi que le cantonnement et le désarmement des combattants. Mais, deux ans plus tard, les avancées restent limitées du fait du climat de méfiance réciproque.

Des intérêts miniers

Kigali contribue d’autre part au renforcement des institutions étatiques en Centrafrique, notamment dans le domaine de la fonction et des finances publiques.

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Des accords économiques ont été par ailleurs signés entre Bangui et Kigali. Ces accords servent deux objectifs importants pour le Rwanda. L’investissement dans l’extraction des richesses minières de la Centrafrique aide d’une part à compenser le manque de ressources naturelles du Rwanda et permet de couvrir les coûts de l’intervention militaire de l’autre.

Des opérateurs économiques privés rwandais investissent également tous azimuts à Bangui. Plus d’une centaine d’entreprises rwandaises sont enregistrées dans le pays aujourd’hui, contre une vingtaine en 2019. Ces entreprises sont actives dans divers secteurs, dont l’agroalimentaire, le transport, de la restauration, l’hôtellerie, l’immobilier et les infrastructures publiques. Des compagnies rwandaises contrôlées par des investisseurs privés ou par le parti au pouvoir, dont Crystal Ventures et Afrika Oko ont aussi lancé des opérations minières dans le pays.

L’International Crisis Group, qui se présente comme une ONG à but non lucratif dont la mission est de prévenir et d’aider à résoudre les conflits, souligne cependant que l’engagement croissant du Rwanda en Centrafrique comporte plusieurs risques. D’autant plus que Bangui n’a jamais publié les textes des accords qu’elle a signés avec Kigali en 2019 et 2021, malgré l’obligation constitutionnelle pour l’Assemblée nationale d’approuver tout partenariat étranger impliquant des ressources naturelles ou des entreprises publiques.

Ces risques sont en premier lieu liés à l’imposant voisin du sud de la Centrafrique, en l’occurrence la République démocratique du Congo (RDC). Le gouvernement congolais ne décolère pas contre le Rwanda pour avoir, entre autres, soutenu les rebelles du M23 qui font des ravages dans l’est de la RDC. Les patrouilles militaires rwandaises le long de la frontière entre la RCA et la RDC provoquent régulièrement des levées de boucliers à Kinshasa. Deux mémorandums internes congolais vus par l’International Crisis Group alertent sur un supposé « encerclement rwandais » du pays.

La plupart des risques sont néanmoins liés à la Centrafrique elle-même. Les chefs de file de l’opposition perçoivent l’aide multiforme du Rwanda comme un soutien direct au président Touadéra, qui est déterminé à rester au pouvoir au-delà de son mandat constitutionnel.

Si les deux pays ne prennent pas de mesures correctives, l’image d’impartialité de Kigali dans le processus de paix pourrait en souffrir, alors que les tensions s’accumulent sur la scène politique centrafricaine. Touadéra ayant mis à l’écart les autres pays de la région, le Rwanda reste avec l’Angola le dernier partenaire qui tente de faciliter une résolution pacifique du conflit.

Des frictions avec Wagner

D’autre part, l’afflux massif des investisseurs et des mineurs rwandais génère chez les Centrafricains une impression d’envahissement économique. Les opérateurs économiques centrafricains suspectent les Rwandais de bénéficier de privilèges indus, en raison de leurs accointances avec les hautes sphères de Bangui. Le fait que les troupes bilatérales rwandaises protègent les intérêts économiques de leur pays, en plus que leurs concitoyens, alimente aussi la perception de concurrence déloyale.

Alors que les tensions couvent, la présence rwandaise croissante pourrait provoquer des réactions violentes de la part des Centrafricains, le pays ayant une longue histoire de révolte populaire contre les pratiques prédatrices des puissances étrangères opérant en connivence avec les autorités nationales.

Le Rwanda pourrait par ailleurs se retrouver en porte-à-faux avec le groupe Wagner, l’autre partenaire sécuritaire majeur de la Centrafrique. Kigali entretient de bonnes relations diplomatiques avec Moscou, mais se méfie de Wagner, qu’il soupçonne de financer la propagande anti-rwandaise qui apparaît aujourd’hui dans les médias centrafricains et sur les réseaux sociaux.

Les frictions entre les forces russes et les troupes rwandaises pourraient augmenter, en raison de la concurrence dans la sphère économique. Les intérêts miniers rwandais pourraient entrer en conflit avec ceux de Wagner. En juillet 2022, des mercenaires russes ont érigé un barrage routier pour arrêter un convoi militaire rwandais qui escortait des mineurs rwandais près de Bambari, dans le centre du pays. Un mois plus tôt, les Russes avaient chassé les troupes rwandaises d’une mine dans la même région. De tels incidents pourraient se reproduire dans les endroits où Russes et Rwandais cohabitent.

Pour réduire ces divers risques, le rapport recommande à Bangui et Kigali de divulguer le contenu de leurs accords bilatéraux et de les soumettre à l’examen de l’Assemblée nationale centrafricaine conformément à ses prérogatives constitutionnelles, afin de lever le voile qui pèse sur le partenariat et d’apaiser les inquiétudes qui en découlent.

Le Rwanda devrait contribuer à la reprise du dialogue entre le gouvernement et les rebelles et lier son soutien militaire à la réforme de l’armée. Quant aux investisseurs rwandais, ils devraient contribuer à la construction de l’économie formelle et améliorer la perception qu’ont les Centrafricains de leurs activités en s’impliquant directement auprès des autorités locales et des communautés. Enfin, le Rwanda devrait éviter de se laisser entraîner dans la guerre d’influence que se livrent les pays occidentaux et la Russie en Afrique alors que Bangui est appelée à veiller à désamorcer les tensions entre Kigali et Wagner.