Opinion : Transition : Mon Colonel, on vous voit venir ! (Alpha O. Telli Diallo)
18 janvier 2022Primo : réhabiliter l’un des hommes d’État les plus controversés dans le monde. Secundo : user de toutes les ruses, même maladroites, pour vous éterniser au pouvoir. N’oubliez jamais une chose : le 5 septembre 2021, ce que tous les Guinéens ont applaudi des deux mains, c’est la chute d’un dictateur criminel et clique. Nous ne savions plus comment nous en débarrasser, mais nous n’en désespérions. Quant au retour des militaires, même avec des treillis différents, dans les affaires de l’État, un grand nombre de vos compatriotes étaient sceptiques, échaudés qu’ils sont, nous avons essayé cette façon de gestion trois fois et trois fois nous en avons bavé.
La liste de vos faux-pas ne fait que s’allonger. Je n’en citerai que les principaux à mes yeux :
- Le baptême précipité et irréfléchi de notre aéroport.
- Votre lettre-réponse, émotive et précipitée, à une requête polie de notre association, l’AVCB.
- La restitution de biens publics construits par l’Etat à une famille, à la suite d’un simple appel téléphonique, et sans aucune preuve matérielle de propriété. Permettez-moi de vous rappeler que nous, à l’AVCB, avons les décrets et arrêtés des propriétés de nos parents, acquises à la même période. Pourtant tous nos efforts de restitution totale depuis 1984 n’ont pas abouti. Alors montrez-nous ceux de vos protégés.
- Votre annonce d’un «séminaire de réconciliation nationale» dans les mois prochains, à l’image bien connue de nos tables-rondes nationales, comme celles de la santé et de l’éducation. Après une semaine de débats mal planifiés et gérés, les chefs annoncent que tous les problèmes sont réglés. Vous pensez que c’est ainsi que la réconciliation nationale sera réglée en Guinée ? Regardez nos systèmes d’éducation et de santé aujourd’hui, et dites-nous si vous croyez que ces «mamayas modernes» ont servi à quelque chose.
- Votre réponse, impulsive et maladroite, aux sanctions de la Communauté internationale contre vos collègues putschistes du Mali. On sent que vous écoutez peu le peu de conseillers compétents de votre entourage. Les règles de base de la diplomatie et de la coopération internationale ne seront pas réécrites par vous. Demandez à Dadis !
Il y a tellement à dire sur tous ces sujets, mais je me limiterais dans cette première analyse, aux deux premiers points :
Notre pauvre aéroport international
Aucun de vos prédécesseurs n’avait franchi ce pas. Même le plus fantasque d’entre eux, Dadis Camara, n’avait osé le faire. Ils ont parfois fait de « gestes en cachette », comme raser toutes les traces du pont des Martyrs et les vestiges du camp Boiro. Mais avec vous, c’est la réhabilitation totale, bille en tête, sans gants et sans consultations préalables.
Donner à la seule vitrine d’entrée internationale de notre pays, le nom du président africain des plus décriés en matière des Droits de l’Homme ne vous honore pas. Si vous voulez savoir qui était ce personnage, ne consultez pas la bande bien connue de ses partisans de votre entourage, ni nous ses millions de victimes. Nous avons tous en effet nos biais trop importants. Lisez plutôt, et consultez des personnes plus neutres, des universitaires, des historiens, des juristes partout dans le monde. Recherchez ce nom dans les dictionnaires et même sur Wikipédia. Encore plus rapide, faites une simple recherche sur Google avec votre cellulaire, et lisez les articles proposés. Vous verrez que le bilan est partout le même : des actions dites «héroïques» pendant trois ans (1957-1959) suivies de crimes humains et de destruction du tissu économique et social de son pays pendant les 25 années suivantes (1959-1984). Ça fait moins de 10% de considération internationale ! Sachez lire et réfléchir. Chaque fois que l’hôtesse de l’air annoncera, à l’atterrissage d’un avion à Gbessia : « Mesdames et messieurs, vous venez d’atterrir à l’aéroport…», sûr que bien des passagers aura un frisson dans le dos, se remettant avant de débarquer, tout le mal qui a été fait dans notre beau pays.
La lettre-réponse pathétique
Toute réaction impulsive est une grave faute à tous les niveaux de responsabilité, encore plus au sommet du pouvoir. Pourquoi tant de mépris ? Renseignez-vous auprès de vos familles, et vous verrez que vous avez tous des parents, des proches dans les fosses communes. Savez-vous que tous les vrais pères et pairs de notre indépendance, sauf un, sont dans ces fosses ? Savez-vous, par exemple, que Diawadou Barry et Ibrahima Barry dit Barry III, les deux qui ont permis cette indépendance en sabordant leurs partis politiques pour permettre l’union sacrée indispensable au fameux vote du « Non », n’ont trouvé aucune grâce pour cela ? Votre réponse de « souveraineté assumée » veut dire en fait : «Nous avons balayé vos pères et mères sous nos tapis à la Présidence, plus un grain ne déborde. Ils sont rayés définitivement de l’histoire de la Guinée». C’est ça la traduction en actions de vos slogans : Justice-boussole – Refondation de l’Etat – Réconciliation nationale ?
Votre réponse à notre simple demande respectueuse de recours gracieux est aussi un exemple frappant des dysfonctionnements de votre gestion. En moins de 24 heures, nous recevons une réponse cruelle, et sans respect pour la mémoire de nos parents, morts pour les plaisirs malsains d’un homme. Pourquoi n’avoir pris le temps de la réflexion et de la consultation afin de répondre avec tact et dignité ? Ne l’oubliez pas, vous seul serez demain responsable des succès et échec de votre courte transition. Regardez, ceux qui ont entraîné votre prédécesseur à l’humiliation internationale, essaient de vous flatter, et sans finesse, pour retrouver leurs avantages perdus. Le plus ridicule d’entre eux, l’auto-proclamé «griot de tous les chefs», s’époumone dans la presse avec ses insultes et bassesses habituelles, espérant capter votre regard. Fuyez surtout celui-là, il porte malheur partout où il passe !
Mon Colonel, ceux qui ont rédigé cette lettre ne vous veulent pas du bien. En moins de 100 jours, ils vous ont enfermé dans une bulle d’intrigues et de mensonges. Ils l’ont déjà réussi cinq fois avant vous. Lâchez vite les vite, avant qu’ils ne vous enfoncent comme vos prédécesseurs.
D’un compatriote blessé, très déçu de vous.
Alpha O. Telli Diallo
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