Dix ans après, l’heure est toujours à la reconstruction pour les jeunes Nigériannes séquestrées de nombreuses années. Elles étaient 276 lycéennes, pour la plupart chrétiennes, enlevées dans la nuit du 14 au 15 avril 2014 au sein de leur internat public de Chibok par le groupe armé Boko Haram. Ces enlèvements avaient créé le mouvement d’ampleur #BringBackOurGirls.
Au fil des ans, beaucoup sont parvenues à se libérer, mais 82 lycéennes de Chibok sont toujours portées disparues, selon le dernier décompte d’Amnesty International.
Pour celles qui ont réussi à s’échapper, il a fallu passer par plusieurs mois de soins nutritionnels et psychologiques, ainsi que par un programme de déradicalisation. Leur réintégration à la vie normale est bien difficile pour ces jeunes femmes privées de leur jeunesse et pourtant victimes de stigmatisation. Franceinfo a recueilli les témoignages de deux anciennes otages, devenues jeunes mamans, aujourd’hui elles poursuivent des études et leur reconstruction.
Discrimination
Depuis que sa fille Patience l’a rejointe à Yola, dans l’est du Nigeria, Amina Nkeki a retrouvé le sommeil.
Patience est née d’un père présumé combattant de Boko Haram. Et à chaque fois qu’Amina recevait un coup de fil de sa famille restée à Chibok, c’était pour entendre parler du calvaire vécu par Patience à l’école. « Elle revenait en pleurant, raconte sa mère Amina, les gens l’appelaient, ‘enfant de Boko Haram’. C’est injuste qu’elle ait à subir cela. Je lui ai dit que ce n’était pas vrai et qu’il ne fallait pas s’en préoccuper. » La scolarité de Patience se déroule désormais sans incident.
En revanche, Amina se sent toujours stigmatisée. Avec son statut d’ex-otage de Boko Haram, la jeune maman bénéficie d’un soutien pour étudier à l’université, où elle se rend à reculons. « Lorsque nous avons des travaux dirigés, souvent nous ne savons pas comment commencer ou comprendre la question, explique Amina. Lorsque nous leur posons la question, certains nous écoutent, mais d’autres, lorsqu’ils apprennent que nous sommes les filles de Chibok, tournent le visage et s’en vont. »
Toutes les rescapées ne sont pas accompagnées
Jummai Mutah déplore cette discrimination qu’elle vit également. Mais la jeune femme s’estime chanceuse malgré tout. Selon elle, beaucoup de ses camarades de Chibok récemment libérées de Boko Haram ne sont pas accompagnées convenablement. « Avant de retrouver une vie normale, nous avons été suivis par des psychologues. Ils nous ont aidé à verbaliser des choses de notre captivité qui nous hantaient à ce moment-là. Ces filles sont isolées dans un centre à Maiduguri [au nord-est du Nigeria, non loin de Chibok], elles n’ont personne qui les encourage à oublier ce qui s’est passé. C’est impossible qu’elles retrouvent comme ça leur état d’esprit d’avant la captivité. » Des jeunes mamans sont en grande détresse, après sept à huit ans de captivité, et complètement démunies pour élever leurs enfants nés durant leur séquestration.