Niamey, le coup et ses conséquences
14 septembre 2023Le coup d’État perpétré le 26 juillet 2023 contre le régime civil et de nature démocratique du président Mohamed Bazoum au Niger est une tragédie. La date restera. Opération, dit-on, de convenance et d’opportunité menée par le chef de la garde présidentielle, le général Abdourahmane Tiani, elle va entraîner une profonde déstabilisation d’un pays clé pour l’architecture régionale. Tout début août, le président est toujours séquestré par la garde supposée le protéger. Des Brutus et des Juda sans vision stratégique, comme prisonniers dans l’espace temps, avec leurs déclarations martiales. Et leurs communiqués numéro un, deux, trois… Rien ne pouvait justifier une telle manœuvre, qui va stopper un processus actif de développement et de réformes. Le premier depuis de longues années, malgré ses limites, avec une hausse de la croissance, des investissements extérieurs, l’arrivée du pétrole. Un coup à courte vue qui va isoler le Niger. Fragiliser la lutte contre les terrorismes. Entraîner, probablement, des divisions au sein des forces militaires. La CEDEAO a lancé un ultimatum et enclenché des sanctions d’une rare sévérité. Menacé d’une opération militaire. La foule est manipulée, elle descend dans la rue en brandissant de manière pathétique des drapeaux russes et en s’attaquant aux murs de l’ambassade de France.
À l’heure où ces lignes sont écrites, personne ne sait comment la situation va évoluer. Tout est possible, même le pire, y compris la violence et la guerre. La France va organiser l’évacuation de ses ressortissants et d’autres étrangers bloqués à Niamey. Accentuant l’isolement du régime. Niamey, Bamako et Ouagadougou, dans une alliance kaki de circonstance, menacent de quitter la CEDEAO en cas d’intervention militaire. Mais qui aurait le plus à y perdre? Et comment pourraient survivre ces régimes s’ils entraient en conflit ouvert avec leurs voisins-partenaires de l’UEMOA ? Quelle crédibilité financière, monétaire, pour les trois pays du Sahel central sans « la couverture » essentiellement de la Côte d’Ivoire, mais aussi du Sénégal, du Bénin, du Togo, etc. ? Comment mener de front la bataille contre le terrorisme et la lutte pour le développement sans l’appui, même limité, imparfait, à courte vue, des pays occidentaux? Avec l’aide de Moscou, peut-être?
Rétablir l’ordre constitutionnel au Niger est une urgence majeure. Abandonner le pays à lui-même serait une erreur d’ampleur historique. Comment protéger les autres expériences démocratiques, les progrès économiques en Afrique, et en particulier dans la sous-région, si un militaire peut venir renverser la table à tout moment, sans craindre de véritables sanctions ?
De Niamey à Bamako, le Sahel doit sortir de cette politique des impasses pour affronter la réalité en face. C’est une donnée brutalement incontournable. Le Sahel est l’une des régions les plus pauvres, les plus déshéritées au monde. On peut évidemment évoquer la gouvernance depuis les indépendances, les échecs des pouvoirs en place. Mais les cartes, au départ, ne sont vraiment pas favorables. Des États enclavés, sans accès à la mer, donc structurellement désavantagés héritage de la tristement célèbre conférence de Berlin. Le découpage postcolonial a créé, à partir de la complexité du désert, des sociétés hétérogènes, particulièrement fragiles, avec des fractures culturelles, sociologiques, religieuses, en particulier entre les « nord » et les « sud », entre des populations dites « blanches » et des populations dites « noires ». Et au sein de ces mêmes populations, entre éleveurs, agriculteurs, sédentaires, nomades… À ces marqueurs de tensions, s’ajoutent une nature particulièrement rude et peu de possibilités de développement agricole, qui reste pourtant l’une des premières clés du développement économique. Les effets dévastateurs du changement climatique sont particulièrement visibles dans la région. L’eau se fait plus rare, les terres sont usées, les espaces cultivables diminuent sous l’effet de la sécheresse et de la population. La lutte pour les ressources naturelles devient aiguë.
Résultat : aujourd’hui, la pauvreté de masse est un déterminant de la région. Le PIB par habitant par an reste bien en deçà de la moyenne africaine (environ 2000 dollars) et encore plus de la moyenne planétaire (12600 dollars): 830 dollars au Mali, 530 dol- lars au Niger, 830 dollars au Burkina Faso. D’après le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), l’indice de développement humain (IDH) des pays du Sahel figure parmi les plus faibles au monde. Le Niger est au 189e rang, le Tchad, avant-dernier (juste devant le Soudan du Sud), est au 190e rang, le Burkina Faso au 184e, et le Mali au 186e. Aujourd’hui encore, en 2023, 20 % à 30 % de la population aurait un besoin quasi permanent d’assistance humanitaire, en par- ticulier alimentaire. La croissance ne change pas de manière dynamique ces données. Les années Covid-19 n’ont pas aidé. Et la guerre en Ukraine, avec ses conséquences macro-économiques globales, non plus..
militaires n’ont pas de solution. Ils exercent juste le pouvoir. Ils font les matamores, se dotent d’organismes aux noms ronflants rénovation, sauvegarde et tutti quanti, préparent et font voter comme un seul homme et pour la énième fois de nouvelles constitutions, accusent de tous les maux la France, cet ennemi si pratique, et l’Occident. Ils manipulent les foules, font brandir des drapeaux russes, menacent de s’allier pour faire face aux ingérences étrangères, mais au fond, ils ne règlent rien. Au Mali et au Burkina, la situation est particulièrement difficile. Terrorisme, économie, lutte contre la pauvreté, instabilité… Rien ne change. Au-delà de la capitale, l’insécurité est complète. Et la répression politique s’accentue. Et on ne voit pas comment la junte nigérienne, isolée, coupée de sa région et de son environnement, sans l’appui militaire de la France et des États-Unis, pourra tenir. La sauvegarde ne viendra pas de Moscou ou d’un autre hypothétique allié miraculeux…
Personne n’a de solution miracle pour le défi sahélien. Et cet édito n’a pas la prétention d’en proposer. Mais certains paramètres représentent à tout le moins des pistes de réflexion et d’action. Sans changement de cap, la situation ne pourra qu’empirer. Sérieusement. Avec un risque existentiel pour chacun des pays. Il n’y aura pas de changement de cap sans un retour définitif des militaires dans les casernes et au front, à leur devoir de protection de la nation. Il n’y aura pas de révolution sahélienne sans stabilité politique durable, sans pactes nationaux puissants, engageants pour la sécurité et le développement, où la classe politique, les sociétés civiles, les entreprises et le business, les religieux s’unissent dans cette lutte pour la survie. Il n’y aura pas de changement si l’on n’affronte pas sans tabou la question de la démographie et de son contrôle rapide, si l’on n’émancipe pas les jeunes filles et les jeunes femmes. Il n’y aura pas de renouveau sahélien sans un effort massif sur l’éducation, l’apprentissage, la formation, si l’on ne sort pas cette immense jeunesse des ténèbres de l’analphabétisme et de l’ignorance. Enfin, la France, les pays occidentaux, le reste du monde ont un rôle essentiel, crucial à jouer. En sortant des paradigmes actuels. Au-delà de la sécurité, des armes, de la lutte contre les terrorismes. Le Sahel a besoin d’un apport massif de financements, de transferts de technologies, d’appui au développement (infrastructures, eau, éducation, agriculture…). C’est une cause de longue haleine, nécessaire, qui devrait engager l’ensemble du G7 et du G20, si soucieux, justement, de sécurité et de lutte contre l’émigration massive…
Et la première étape de cette reprise en main, de ce retour de confiance en l’avenir, passe par Niamey.
Source: afrique magazine