Mort du prince Philip, époux de la reine Elizabeth II
9 avril 2021
Consort de la reine Elizabeth II, le prince Philip, duc d’Edimbourg, mort vendredi 9 avril à l’âge de 99 ans, a marqué son temps par une personnalité pour le moins complexe. De souche allemande, mais de religion orthodoxe, Philip est né prince de Grèce et du Danemark, le 10 juin 1921, sur l’île de Corfou. Il est le cinquième enfant, mais le seul fils, du prince André de Grèce et de la princesse Alice de Battenberg.
A la suite de l’exil de ses parents, il est ballotté de pensionnat en pensionnat dans toute l’Europe, notamment à Saint-Cloud, en France, et en Allemagne.
Entre l’âge de 8 et de 15 ans, il n’a pas vu sa mère, schizophrène, ne recevant pas non plus de courrier de sa part. En 1939, pistonné par son oncle, Lord Mountbatten, l’aristocrate de nationalité grecque entre dans la marine britannique comme cadet et prend une part active à la seconde guerre mondiale.
Le 20 novembre 1947, le jeune prince, blond et séduisant, épouse la princesse héritière Elizabeth rencontrée pendant ses études au collège naval de Darmouth. Arrière-arrière-petit-fils de la reine Victoria, par sa fille Alice qui avait épousé un grand-duc allemand, il était aussi l’un des lointains cousins d’Elizabeth. Pour ce mariage d’amour, il renonce à sa nationalité et à ses anciens titres nobiliaires, prend le nom de Philip Mountbatten et embrasse l’anglicanisme, la religion d’Etat.
Tout au long de sa vie, malgré cette conversion, le prince a gardé certaines valeurs inculquées par sa foi orthodoxe, comme le sens de la hiérarchie, le conservatisme en matière de mœurs et les préoccupations écologiques. En février 1952, la mort prématurée de son beau-père, le roi George VI, met fin à une carrière d’officier de la Navy qui le passionnait.
« Cet homme charmeur et distingué a été l’élément central de la démocratisation de la monarchie contre l’establishment. Ses origines étrangères expliquent sans doute son ouverture d’esprit. Intelligent, résolu, efficace, il a mis un peu de sel dans la vie de la reine, femme conservatrice et traditionnelle, sans jamais tenter de lui faire de l’ombre », souligne le biographe royal, Robert Lacey.
Bain de foule
Après l’accession au trône d’Elizabeth en 1952, l’époux de la souveraine a pourtant du mal à s’effacer derrière sa femme, contraint désormais à marcher deux pas derrière elle. Il ne parvient pas toujours à masquer sa frustration lorsque les officiels de Buckingham Palace, qu’il compare à « une bande de chemises amidonnées », gardent hors de portée les documents officiels.
L’intéressé insuffle un peu de nouveauté à la cour, alors compassée, en envoyant ses enfants, dont Elizabeth II lui a confié l’éducation, à l’école au lieu de les confier à des précepteurs. En 1969, il ouvre la royauté à la télévision, et la laisse filmer sa vie quotidienne dans le reportage « Royal Family », qui remporte un vif succès. C’est également lui qui a contraint la reine, dont la timidité est légendaire, à pratiquer le bain de foule.
Très tôt féru de défense de l’environnement, Philip a dirigé le World Wide Fund, le fonds mondial de préservation de la nature, de 1981 à 1996. C’est notamment grâce au prince que la Loire est restée le dernier fleuve sauvage d’Europe. On lui doit également la création, en 1956, du Duke of Edinburgh Awards Scheme pour venir en aide à la jeunesse en difficulté.
Parallèlement, ce novateur passe pour un réactionnaire bon teint, réputé pour son mauvais caractère et son machisme. Pour ses détracteurs, c’est un homme incontrôlable, borné, habitué à n’en faire qu’à sa tête. Le duc d’Edimbourg cultive un humour qui dérape parfois vers le mauvais goût, voire le racisme : en 1986, lors d’une visite à Pékin, il déclare à des étudiants anglais qu’ils auraient des yeux bridés s’ils restaient longtemps en Chine. Le Foreign Office avait été contraint de rattraper cette gaffe par de plates excuses.
Titulaire du duché d’Edimbourg, il n’avait pas pour autant épargné les Ecossais. A un moniteur d’auto-école de Glasgow, cet adversaire de la langue de bois demande comment il parvient à empêcher les autochtones de boire du whisky pour obtenir leur permis de conduire.
Il avait choqué en affirmant, un peu plus tard, qu’il n’y avait plus de vrais pauvres en Grande-Bretagne. Patriote invétéré, l’ancien lieutenant de la Royal Navy, qui s’était distingué lors du conflit dans le Pacifique, s’était opposé, en vain, à son épouse et au gouvernement à propos de l’octroi de l’Ordre de la Jarretière à l’empereur Akihito du Japon.
Muflerie et idées courtes
En contrepartie de l’utilisation des médias pour leurs relations publiques, les Windsor ont dû accepter d’assouvir une curiosité de plus en plus irrévérencieuse, au point de devenir otages du droit à l’information et du culte de la célébrité. Curieusement, Philip a échappé à leur inquisition permanente. Les tabloïds sont toujours restés très discrets sur la vie privée du couple par souci, sans doute, de protéger la souveraine, chef de l’Etat, du Commonwealth, de l’église anglicane et des forces armées.
Lorsqu’un journaliste, en 1996, avait osé l’interroger sur ses prétendues aventures extraconjugales, le duc avait répondu, imperturbable : « Pendant près d’un demi-siècle, je n’ai pas pu faire un pas sans avoir un garde du corps à mes trousses. Comment aurais-je fait pour cacher une aventure sentimentale ? »
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En 2001, Philip avait affirmé en privé que son fils Charles ne ferait pas un bon roi. L’héritier du trône d’Angleterre, évidemment, avait modérément apprécié les propos désobligeants d’un paternel qu’il jugeait autoritaire, cruel et brutal. Ne l’avait-il pas envoyé étudier dans son ancien collège, Gordonstoun, un pensionnat écossais dont le régime ressemblait plus à celui d’une prison que d’une école ?
Sa muflerie envers ses belles-filles, la princesse Diana ou Sarah, duchesse d’York, atteste ce manque de considération. Il collait à la peau de cet amateur de romans policiers et de musique militaire une réputation de cultiver surtout des idées courtes. Son ton péremptoire sur une voix enrouée de basse semblait d’avance interdire toute contradiction.
Mais ceux qui le connaissaient bien assuraient qu’on se trompait lourdement sur son compte. Personne ne contestait son sens du devoir, son dévouement à la fonction et l’intelligence de son rôle. Face aux critiques, le prince Philip aimait d’ailleurs citer Rudyard Kipling, le chantre de l’Empire, son auteur favori, glorifiant ceux qui savent « faire face au triomphe et au désastre et traiter de la même manière ces deux imposteurs ».
Par: Huffingtonpost.fr