La junte malienne n’a pas dit son dernier mot. Après avoir réclamé le « retrait sans délai » de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) au Conseil de sécurité de l’ONU le 16 juin, les militaires maliens, arrivés au pouvoir par deux coups d’Etat en août 2020 et mai 2021, ont cette semaine engagé un bras de fer avec la diplomatie onusienne.
Selon plusieurs sources diplomatiques, mardi 27 juin, Bamako s’est opposé au projet de résolution de l’ONU qui prévoyait un départ d’ici à la fin de 2023 des casques bleus, déployés au Mali depuis dix ans pour restaurer l’autorité de l’Etat et protéger les civils. Le vote de la résolution, initialement prévu le 29 juin, a ainsi été reporté à vendredi 30 juin afin de donner plus de temps aux parties pour trouver un compromis.
Ce projet de texte consulté par Le Monde prévoyait un départ d’ici à la fin de l’année des quelque 15 000 militaires, policiers et civils déployés sur les douze bases de l’ONU au Mali, principalement implantées dans le nord et le centre, là où les conflits djihadistes ne cessent de s’intensifier depuis le début de la guerre en 2012. Ce texte permettait également à la Minusma de conserver des capacités limitées de protection des civils jusqu’à son retrait et laissait entendre que la liquidation totale de la mission ainsi que le transfert de certaines de ses compétences aux agences onusiennes présentes dans le pays ne pourrait être bouclé d’ici la fin de cette année.
« Il faut au minimum dix-huit mois pour acter le retrait intégral d’une mission aussi importante », prévient une source onusienne, à New York. Selon celle-ci, la junte malienne, censée rendre le pouvoir aux civils à l’issue d’élections en février 2024 et qui a fait de la défense de la souveraineté malienne son mantra, a « essayé de raccourcir la durée du retrait ».
Derrière l’insistance malienne, la Russie
« Mardi, les Maliens sont sortis du bois pour demander un retrait de la Minusma en trois mois. C’est totalement irréaliste, précise un diplomate occidental en poste à Bamako. Ils cherchent à compliquer le retrait de la mission, pour la contraindre à laisser le plus de matériel possible sur place et pour montrer au peuple qu’ils peuvent défier les Nations unies. »
Mais, comme le souligne une source proche des négociations à New York, la plupart des membres du Conseil de sécurité n’ont « aucune envie de laisser du matériel à la junte vue la façon dont elle a viré la Minusma. Encore moins pour que ces équipements militaires se retrouvent entre les mains de Wagner ». Les mercenaires du groupe paramilitaire privé russe, quelque 1 600 hommes selon nos sources, sont déployés dans le pays depuis la fin de 2021.
Selon plusieurs sources onusiennes, derrière l’insistance malienne à ce que le retrait de la Minusma se déroule en trois mois se cache la Russie. Avant même que le Mali ne formule cette exigence, Moscou a « lourdement insisté pour qu’un budget de fonctionnement de seulement trois mois soit voté pour la mission » puis a « menacé de bloquer le budget entier des opérations de maintien de la paix » de l’ONU – qui doit être approuvé par son assemblée générale d’ici à vendredi soir, si cette demande n’était pas satisfaite.
Alors que la junte conduite par Assimi Goïta ne cesse de rompre avec ses partenaires occidentaux au profit d’un rapprochement avec la Russie, la défiance de Bamako vis-à-vis de l’ONU constitue une étape supplémentaire dans ce divorce. En 2022, les autorités maliennes avaient déjà demandé un départ « sans délai » de forces internationales, ciblant cette fois l’opération antiterroriste française « Barkhane ». Les autorités maliennes l’ont accusée, comme aujourd’hui les casques bleus, d’avoir échoué à améliorer la sécurité dans le pays. Six mois après l’ultimatum malien, en août, les quelque 2 400 soldats français qui étaient alors déployés sur le territoire avaient fini par plier bagage, sans incident.
Le rapport onusien sur le massacre de Moura
Dès lors, le divorce avec la Minusma semblait difficilement évitable. Ces derniers mois, le Mali a en effet multiplié les actes de défiance à l’encontre de la mission onusienne. Les capacités de mouvement de ses casques bleus ont été entravées, son porte-parole puis son directeur de la division des droits humains ont été expulsés du pays. Le 1er juin, une enquête judiciaire pour « espionnage, atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat et complot militaire » a également été ouverte contre les enquêteurs onusiens et leurs « complices » ayant participé au rapport de l’ONU sur le massacre de Moura, un village dans lequel au moins 500 personnes ont été tuées par l’armée malienne et Wagner en mars 2022.
Comme lui, un autre membre de la mission craint que l’épreuve de force imposée par Bamako à l’ONU n’en soit qu’à son commencement. « Ils ne vont pas s’arrêter là. On attend simplement de savoir quelle sera la prochaine attaque, à quelle sauce on va être mangé », soupire-t-il, décrivant une « ambiance morose dans les camps » onusiens, marquée également par « l’inquiétude » face aux tensions qui pourraient « dégénérer en incidents » entre militaires maliens et casques bleus, si aucun compromis sur le plan de retrait de la Minusma n’est trouvé à New York le 30 juin.
Un nouveau projet de résolution a été présenté à la partie malienne le 28 juin. Dans ce document auquel Le Monde a eu accès, le Conseil de sécurité « décide de mettre fin au mandat de la Minusma […] à compter du 30 juin ». Le timing de retrait de la mission reste inchangé mais il est précisé que sa « liquidation […] commencera le 1er janvier 2024 ». Le nouveau texte limite aussi dans le temps l’autorisation donnée aux casques bleus de « répondre aux menaces imminentes de violence à l’encontre des civils » et à « contribuer à l’acheminement de l’aide humanitaire » en indiquant qu’ils ne pourront le faire que jusqu’au 30 septembre.
Signe qu’un accord avec Bamako semblait avoir été trouvé jeudi soir, le vote de la résolution a bien été programmé ce vendredi. Mais à New York, la prudence restait de mise car le Mali a habitué le Conseil aux revirements de dernière minute. Dans les faits, une résolution pourrait être adoptée avec une majorité de neuf votes sur quinze par les membres du Conseil de sécurité, à la condition qu’aucun des cinq Etats disposant d’un siège permanent ne pose son veto, même sans l’accord de Bamako. Mais pour le Conseil, un compromis avec la junte demeure essentiel pour garantir aux casques bleus un retrait sans incident.
Dans le cas contraire, comme le relève l’International Crisis Group (ICG) dans une note intitulée « Minusma : négocier un départ sans accroc » publiée le 27 juin, la mission se retrouverait « dans une situation de flou qui paralyserait ses activités et pourrait aussi être dangereuse pour son personnel ».