Une situation confuse. Des militaires putschistes ont annoncé, mercredi 26 juillet dans la nuit, avoir renversé le président du Niger, Mohamed Bazoum, au pouvoir depuis 2021. Dans une allocution, le colonel-major Amadou Abdramane a décrété la suspension des institutions et la fermeture des frontières en raison de « la dégradation continue de la situation sécuritaire » dans le pays.
Malgré sa séquestration, Mohamed Bazoum a rejeté le coup d’Etat, tout comme le ministre des Affaires étrangères nigérien. De son côté, la France a condamné « toute tentative de prise de pouvoir par la force ». Le Niger demeure en effet l’un des derniers alliés de Paris au Sahel, région minée par la pauvreté et les attaques jihadistes répétées. Franceinfo explique pourquoi cette tentative de putsch inquiète la France.
Parce que le pays accueille le cœur du dispositif militaire français contre le jihadisme au Sahel
Après avoir mis fin à l’opération antiterroriste Barkhane, la France s’est repliée au Niger à l’été 2022. Actuellement, Paris y déploie 1 500 militaires. « La plupart sont basés dans un centre dans l’enceinte de l’aéroport de Niamey, et quelques soldats sont déployés aux frontières avec le Burkina Faso et le Mali », décrit Rémi Carayol, journaliste indépendant, auteur de l’ouvrage Le mirage sahélien : La France en guerre en Afrique. Serval, Barkhane et après ? (ed. La Découverte).
Sur la base aérienne projetée de Niamey, la France déploie en permanence cinq drones Reaper et au moins trois avions de chasse Mirage. « Ça permet de rayonner rapidement sur toutes les zones d’importance », expliquait auprès de France 2 le commandant Claude, pilote de drone, en juillet 2022.
Contrairement à l’opération Barkhane au Mali, où l’armée française pouvait opérer seule, les soldats français sont cette fois-ci toujours accompagnés par l’armée nigérienne. Un changement de paradigme nécessaire, après le départ houleux de la France du Mali. Les forces françaises y avaient été chassées sous la pression de la junte de Bamako, qui avait fait appel – bien qu’elle s’en défende – aux mercenaires russes de Wagner.
Ce transfert de la France au Niger a été adoubé par le président Mohamed Bazoum. Il a appelé à un engagement de la France dans son pays, notamment pour lutter contre l’Etat islamique au Grand Sahara. Une opération conjointe, baptisée Almahaou, a spécialement été mise en place pour lutter contre l’insécurité dans la région de Tillaberi (Nord-Ouest), cible régulière d’attentats jihadistes, rapporte France 24.
Parce que le Niger occupe une position d’influence face à la Russie
Le Niger fait figure de dernier allié de la France, et plus largement des Occidentaux, au Sahel. Les militaires putschistes qui ont pris le pouvoir au Mali et au Burkina Faso ont contraint la France à quitter leur territoire et se sont depuis tournés vers d’autres partenaires, notamment la Russie. Dans ces pays, Moscou, via l’intermédiaire de la milice Wagner, déploie une intense propagande anti-française et occidentale.
Au Mali, les premières manifestations anti-françaises ont débuté dès 2013 et se sont poursuivies jusqu’au retrait de l’armée française sous les slogans « À bas la France », « France dégage ». Des mobilisations ont également eu lieu au Burkina Faso. En octobre 2022, l’ambassade de France à Ouagadougou a été prise pour cible par des assaillants opposés à la présence française dans le pays.
Au Niger, même si l’Etat soutient la France, une partie de la population s’oppose à la présence française. En septembre 2022, plusieurs manifestations organisées par le mouvement M62, qui regroupe plusieurs organisations de la société civile, ont appelé au départ de la France. « Le Sahel est confronté à une guerre terroriste inventée par la France », a ainsi dénoncé Abdoulaye Seydou, le leader du mouvement, accusant Niamey de suivre les « diktats » de Paris.
Parce que Paris y possède des intérêts économiques et énergétiques
Au-delà de la question sécuritaire, la France détient des intérêts économiques au Niger. « La question de l’uranium est loin d’être négligeable », analyse Rémi Carayol. Le pays est le troisième producteur d’uranium au monde, et ce minerai est essentiel au fonctionnement des centrales nucléaires. Pendant plus de quarante ans, Orano (ex-Areva) a exploité des mines d’uranium, y laissant d’ailleurs des tonnes de déchets radioactifs à l’air libre.
Aujourd’hui, l’entreprise est toujours investie dans plusieurs mines, comme celle de Somaïr ou de Cominak, et travaille sur le projet Imouraren, « la mine de demain », comme le présente Orano sur son site. « Toutefois, depuis la catastrophe de Fukushima, les mines du Niger ont perdu de leur intérêt, et l’exploitation de l’uranium est moins viable », relativise Rémi Carayol.
Parce que le Niger est un pays allié de l’Occident en matière de politique migratoire
Le Niger « est un allié des Occidentaux dans la lutte contre l’immigration irrégulière », rappelle Rémi Carayol, le pays étant un point de transit important des migrations de l’Afrique vers l’Europe. Depuis le sommet de La Valette en 2015 sur la migration, le Niger est devenu un partenaire clé de l’UE dans sa politique migratoire, pointent trois chercheurs dans un article (document PDF) paru dans la revue Anthropologie et développement en 2020.
En raison de l’instabilité de la Libye et de la fermeture des routes migratoires de l’ouest saharien, l’UE a petit à petit investi le Niger pour gérer les demandes d’asile des exilés africains. « Cette stratégie d’externalisation des frontières de l’Europe vers le sud permet d’éviter que les migrants n’atteignent les côtes européennes », précise Rémi Carayol.
En septembre 2022, par exemple, plus de 600 migrants, originaires d’une dizaine de pays africains, sont arrivés dans le nord du Niger après avoir été refoulés d’Algérie. En juillet 2022, l’Organisation internationale des migrations avait annoncé avoir secouru 50 migrants ouest-africains, dont des femmes et des enfants, bloqués dans le nord désertique du Niger, près de la frontière libyenne.
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