Loi Immigration : au moins 110 000 personnes, dont 30 000 enfants, pourraient perdre leurs droits sociaux, selon une étude

Loi Immigration : au moins 110 000 personnes, dont 30 000 enfants, pourraient perdre leurs droits sociaux, selon une étude

21 janvier 2024 Non Par LA RÉDACTION
Des manifestants brandissent des pancartes pour protester contre la loi immigration, le 14 janvier 2024, à Paris. Crédit : Reuters
Des manifestants brandissent des pancartes pour protester contre la loi immigration, le 14 janvier 2024, à Paris. Crédit : Reuters

 

Dans une note publiée ce vendredi 19 janvier, le collectif Nos services publics mesure les conséquences concrètes de la loi Immigration si elle venait à être promulguée en France, notamment son volet sur la « préférence nationale ». Selon le rapport, elle plongerait au moins 110 000 personnes dans la grande pauvreté.

Il s’agit d’une des dispositions du projet de loi Immigration les plus contestées : la « préférence nationale » dans les aides sociales. D’après le collectif d’agents publics Nos services publics, ce volet de la loi pourrait engendrer la perte des droits sociaux de plus de 100 000 personnes, dont 30 000 enfants.

Des chercheurs et des fonctionnaires de l’État ont publié une note de 17 pages vendredi 19 janvier, dans laquelle ils sont catégoriques : la loi Immigration, votée au Parlement le 19 décembre dernier, instaure une « préférence nationale » sur « les prestations familiales et les allocations logement, qui cible de facto les personnes les plus précaires et les enfants ».

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Il s’agit de la première étude à prendre le pouls social des mesures inscrites dans le texte de loi. Elle se fonde sur une contribution transmise au Conseil constitutionnel par plusieurs économistes ainsi que sur les chiffres de l’enquête « revenus fiscaux et sociaux » de l’Insee.

« Création d’inégalité de traitement à situation sociale identique »

Alors que jusqu’à présent, les droits sociaux « étaient des droits universels » comme le rappelle Arnaud Bontemps, co-porte-parole de Nos services publics, au micro de France Info, certaines familles pourraient voir leur revenu disponible diminuer de centaines d’euros par mois, si la loi Immigration était mise en œuvre.

Dans le détail, le texte prévoit de conditionner la quasi-totalité des prestations familiales et des allocations logement à une durée de présence en France : au moins cinq ans de résidence pour les exilés en situation régulière sans emploi, et 30 mois pour ceux qui travaillent – à l’exception de l’Aide personnalisée au logement (APL), une aide financière destinée à réduire le montant du loyer, qui fixe la condition de résidence à trois mois pour les étrangers avec emploi.

Sauf que ce conditionnement, qui concerne uniquement les étrangers non-européens, risque d’aggraver fortement la pauvreté et les conditions de vie des plus précaires, et aura pour conséquence « une création d’inégalité de traitement à situation sociale identique », souligne le collectif.

Dans « l’hypothèse maximale », 700 000 personnes pourraient être concernées

Constat encore plus alarmant : parmi les 30 000 enfants concernés par la préférence nationale, un sur deux pourrait basculer dans l’extrême pauvreté si la loi entrait en vigueur, selon les estimations de l’étude.

Le collectif évoque plusieurs exemples en situation réelle pour bien comprendre. L’un des plus frappants est celui d’Ismaël et Sofia, deux enfants français d’un an, nés en France. Ils ont deux parents, leur foyer est dans la même situation économique. « Néanmoins, parce que les parents d’Ismaël ne sont pas Français, la différence entre ces deux enfants à la fin de chaque mois pour le foyer serait de 500 euros en moins d’allocations familiales et de prestation d’accueil du jeune enfant », décrit Arnaud Bontemps.

Exemple de l'impact de la loi immigration et de la préférence nationale sur Sofia et Ismaël, deux enfants français, selon les calculs de Nos services publics. Crédit : collectif Nos services publics
Exemple de l’impact de la loi immigration et de la préférence nationale sur Sofia et Ismaël, deux enfants français, selon les calculs de Nos services publics. Crédit : collectif Nos services publics

La loi Immigration pourrait donc affecter des enfants français « simplement en raison de leurs origines et de la nationalité de leurs parents », dénonce le porte-parole. Ces quelques exemples illustrent d’autant plus l’impact du projet de loi sur la société : à chaque fois, « la situation de la personne française ne s’est pas améliorée – elle est restée identique. Mais celle des personnes étrangères touchées par la loi s’est très fortement détériorée », précise-t-il.

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Aussi, le chiffre des 110 000 personnes affectées est une fourchette « basse », calculée sur l’hypothèse d’un ménage dont les deux conjoints sont étrangers, explique Arnaud Bontemps. Dans « l’hypothèse maximale », intégrant des familles monoparentales ou des couples dont l’un des conjoints serait Français, 700 000 personnes pourraient être concernées.

Remise en cause du principe d’universalité

Surtout, d’après le collectif, cette logique de préférence nationale est en contradiction totale avec les principes constitutionnels « d’égalité et de non-discrimination » qui composent la République. « Au motif de « décourager » la venue des personnes étrangères au nom d’un « appel d’air » que réfutent tous les travaux sur le sujet, ces mesures remettent fortement en cause le principe d’universalité et accroissent les conditions nécessaires pour bénéficier des mesures de lutte contre la pauvreté », assure le rapport.

Depuis l’adoption de la loi, de nombreuses manifestations ont lieu dans tout le pays pour réclamer son retrait. Car au-delà du bilan comptable dressé par le collectif, plusieurs associations, syndicats et une partie de la gauche dénoncent une bascule « morale » du gouvernement, accusé d’avaliser avec cette loi les thèses de l’extrême droite.

La loi Immigration est actuellement entre les mains du Conseil constitutionnel, qui doit rendre sa décision sur sa constitutionalité le 25 janvier prochain. « Il nous semble que le droit à la dignité universelle, le droit à l’égalité, font partie de la devise républicaine. On espère que le Conseil constitutionnel pourra se prononcer sur ces questions-là », conclut Arnaud Bontemps.

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