L’intégralité de l’interview de Cellou Dalein Diallo sur RFI
6 juin 2024
« Je suis prêt à rentrer à Conakry, quels que soient les risques que je prendrai », déclare Cellou Dalein Diallo sur RFI. Depuis deux ans, le numéro 1 de l’opposition guinéenne, qui est poursuivi par la justice de son pays, vit en exil en Afrique de l’Ouest. Mais aujourd’hui, il veut participer sur place au combat des démocrates guinéens pour que le général Doumbouya et les militaires respectent leur parole et remettent le pouvoir aux civils avant la fin de l’année. De passage à Paris, l’ancien Premier ministre guinéen répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Les militaires du CNRD avaient d’abord promis de rendre le pouvoir à la fin de cette année 2024. Mais en mars dernier, sur RFI, le Premier ministre Bah Oury a reconnu que la transition serait prolongée jusqu’en 2025. Est-ce que vous espérez que cet engagement sera tenu 2000 ?
Cellou Dalein Diallo : C’est l’une des sources de ma déception, c’est de ne pas voir respecté justement cet engagement pris devant le peuple de Guinée, devant la Communauté internationale. Moi, je croyais fermement que cet engagement allait être respecté. Mais il y a une tendance à rester aussi longtemps que possible au pouvoir, puisque visiblement le retour à l’ordre constitutionnel est reporté au calendes grecques. Et donc ça, c’est une déception non seulement pour l’UFDG, mon parti, mais pour tout le peuple de Guinée. Et nous ne pouvons pas rester assis et laisser les militaires qui n’ont aucune légitimité, parce que toute leur légitimité était tirée de cet engagement de restituer le pouvoir aux civils dans un délai raisonnable par des élections libres et transparentes. Donc, la population de Guinée est déçue d’abord de la mauvaise gouvernance, de la restriction des libertés. Vous n’êtes pas sans savoir qu’ils ont procédé au retrait des agréments des principales radios et télévisions du pays, parce que celles-là étaient jugées critiques par rapport à leur gouvernance.
Dans la société civile, le FNDC menace d’appeler à des manifestations à Conakry si le calendrier 2024 n’est pas tenu. Est-ce que vous allez vous associer à cette éventuelle menace ?
Non, ce n’est pas le FNDC seul qui menace, il y a eu la naissance de ce qu’on a appelé récemment l’Union sacrée, où les principaux partis, y compris ceux qui allaient soutenir la junte, disent aujourd’hui qu’ils sont déçus et qu’ils se rendent compte que la junte n’est pas de bonne foi. Elle veut garder le pouvoir aussi longtemps que possible et peut-être définitivement. Donc là, aujourd’hui, c’est le peuple de Guinée tout entier qui est déterminé à user de tous les moyens pour contraindre la junte à respecter l’engagement qu’elle a pris devant le peuple de Guinée, devant la communauté internationale.
Et tous les moyens, cela peut vouloir dire des manifestations ?
Tous les moyens légaux, y compris les manifestations dans les rues et sur les places publiques.
Dans le bras de fer entre le pouvoir et l’opposition, le Premier ministre Bah Oury vous accuse, vous l’opposition, de refuser le dialogue et de contribuer au retard dans la préparation des élections.
Bon, vous savez, on multiplie les alibis pour justifier de se maintenir aussi longtemps que possible au pouvoir. Moi, je suis honnête, je voulais apporter notre contribution, mais à un débat crédible. Il faut un arbitrage. C’est pourquoi on avait besoin pour nous d’un facilitateur nommé par la CEDEAO, l’Union africaine ou les Nations unies.
Êtes-vous prêt à rentrer à Conakry ?
Oui, bien sûr. Je suis obligé de rentrer d’ailleurs !
Et vous comptez rentrer dans combien de temps ?
Je ne peux pas vous le dire maintenant, mais c’est sûr que je vais rentrer. Je suis en train de préparer le Congrès national [de l’UFDG] et je souhaite vivement être là en ce moment. Et la date n’est pas encore fixée.
Et même si les poursuites judiciaires contre vous ne sont pas abandonnées, vous êtes prêt à rentrer ?
Oui, je suis prêt à rentrer, même si les poursuites ne sont pas abandonnées. Tout le monde sait qu’elles sont fantaisistes. Mais il faut que je sois là. Quels que soient les risques que je prendrai pour la défense de nos valeurs.
Cellou Dalein Diallo, vous dénoncez le glissement [du calendrier électoral], mais cela ne semble émouvoir que les Guinéens. Le général Mamadi Doumbouya semble pour l’instant trouver grâce auprès de la Communauté internationale.
Oui, il y a un recul dans le soutien que l’Occident en particulier a l’habitude d’apporter à la défense des valeurs de démocratie, d’État de droit, parce qu’on a l’impression que l’Occident, aujourd’hui, est beaucoup plus préoccupé par les guerres d’influence contre la Russie et la Chine que par la défense des valeurs de liberté. Donc, nous le déplorons parce qu’il y a eu beaucoup de violations fragrantes des droits humains. Même les communiqués qui sortent, ils sont timides. On a eu 50 morts depuis que le CNRD est au pouvoir, des jeunes de moins de 15 ans abattus à bout portant. Il n’y a pas eu de condamnations suffisantes. Et on n’a jamais exigé la justice pour ces gens.
Et ces bonnes relations entre l’Occident et le général Doumbouya, est-ce parce que celui-ci a refusé d’entrer dans l’Alliance des États du Sahel, l’AES ?
Je ne connais pas les motifs, je cherche à comprendre.
Est-ce que vous vous êtes parlé avec le général Mamadi Doumbouya depuis le putsch de septembre 2021 ?
Une fois.
En quelle année ?
En 2022.
Et alors ?
Non, ça, ça reste entre nous.
Vous étiez encore à Conakry à l’époque ?
Non, j’étais déjà à l’étranger
Et c’était à votre initiative, j’imagine ?
Non, un ami commun…
…a arrangé cette conversation, comment ça s’est passé ? Plutôt positivement ou négativement ?
(rires) Disons très courtoisement.
Mais il n’y a pas eu de suites ?
Je veux pas vous faire les révélations ici. C’est une discussion entre moi et le président de la transition. Je ne peux pas le révéler dans la presse.
Rfi