2023. Une année capitale sur le plan démographique. Selon les scénarios de l’ONU, l’Inde est en passe de devenir le pays le plus peuplé au monde, avec 1,4 milliard d’individus. Elle ravit donc sa place de numéro un à la Chine, qui régnait en maître depuis l’Antiquité. Les projections des Nations Unies sont sans appel : à l’horizon de 2050, les Indiens seront 1,668 milliard contre 1,317 milliard de Chinois. Si l’on revient deux siècles en arrière, en 1850, la Chine concentrait un tiers de la population de l’humanité, à hauteur de 430 millions de personnes, contre 200 millions en Inde.
Le croisement des courbes démographiques entre l’Inde et la Chine est à considérer à la lumière des statistiques mondiales. En 2023, le cap des 8 milliards d’humains va constituer un nouveau record en la matière. Huit milliards contre 7 milliards en 2010, 6 milliards en 1998 et 2,5 milliards en 1950 : la progression est exponentielle. À noter que l’ONU table sur le cap des 10 milliards de personnes à l’orée des années 2060. En attendant, huit pays contribueront pour plus de la moitié à l’augmentation de la population de la planète au cours des prochaines décennies : l’Inde bien sûr, mais aussi le Congo, l’Égypte, l’Éthiopie, le Nigeria, le Pakistan, les Philippines et la Tanzanie.
Le boom démographique de l’Inde s’accompagne aussi d’un boom économique. Avec un âge moyen de 28 ans pour population (soit dix ans de moins qu’en Chine), le pays dispose d’extraordinaires réserves de main d’œuvre. Le voilà sur orbite pour devenir « la » place forte de l’économie mondiale, au même titre que la Chine actuellement. Voilà les Indiens prompts à rappeler qu’avant la révolution industrielle et la colonisation, la civilisation hindoue pesait à son apogée (au IV et Ve siècle) pour un tiers de la production mondiale (de biens divers et variés).
Retour à une « politique nationale de population » en Inde ?
La croissance de l’économie indienne ne signifie pas que les autorités accueillent sans sourciller cette avalanche de bras et de matière grise. Delhi, par le biais de l’entourage du Premier ministre Narendra Modi, réfléchit ostensiblement à contrôler les naissances. L’intéressé ayant souligné en particulier qu’avoir « des familles de petite taille » était « un acte de patriotisme ». L’année dernière, l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé de l’Inde, a annoncé un projet de loi assorti d’une série de mesures discriminatoires. Comme l’interdiction pour une personne qui a un troisième enfant de pouvoir prétendre à un emploi public. En contrepartie, la décision est déjà appliquée, les familles n’ayant qu’un seul enfant disposent de soins et d’éducation gratuits pour lui.
Mais l’idée du contrôle des naissances en Inde réveille des souvenirs très douloureux. En l’occurrence, après l’échec du programme de planification familiale décrété dans les années 1950 (avec le renforcement des méthodes contraceptives), le Premier ministre Indira Gandhi passa à la vitesse supérieure en 1976. La « politique nationale de population » devient alors coercitive avec une inflation de stérilisation (pour les hommes et les femmes) : plus de 8 millions en 1976-1977, soit le double de la fourchette initialement prévue. À dire vrai, dès les années 1960, la campagne de stérilisations avait été mise sur les rails, mais alors sans contrainte et moyennant rémunération pour les volontaires.
En 1977, ces stérilisations forcées sont si mal vécues par la population indienne que le phénomène explique pour une part la défaite du parti du Congrès (mené par Indira Gandhi) aux élections législatives. La même Indira Gandhi revient au pouvoir en 1980, pour une année difficile puisque le Premier ministre échappe à un attentat en avril tandis que son fils cadet, Sanjay Gandhi, présenté comme son héritier politique se tue dans un accident d’avion le 23 juin. Au cours des années 1980, les campagnes de stérilisation reculent (avec la fin officielle des objectifs chiffrés en 1996) ; ce qui n’empêche pas le phénomène d’être toujours pratiqué en Inde – un demi-siècle plus tard -, dans le sillage de certains États régionaux dogmatiques. Tout ceci expliquant que l’opinion publique soit devenue ultra-sensible sur le plan du contrôle démographique.
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