Les journalistes, moteurs de la démocratie et du développement
4 mai 2024
À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, notre confrère Haman Mana a, dans une interview accordée à Christophe Boisbouvier, hier vendredi, sur RFI, dressé un état de la liberté de la presse, au Cameroun. En quoi son propos est-il aussi édifiant sur l’état général de la liberté de la presse en Afrique ?
Ce que dit Haman Manade son pays nous ramène à ce que l’on observe dans nombre d’autres, sur le continent, le meilleur, de temps à autre, et le pire, trop souvent, malheureusement. Au-delà du propos, cette interview révèle aussi un journaliste courageux, comme on en compte quelques-uns, ici et là en Afrique. Il en faudra davantage, pour constituer la masse critique, indispensable pour rendre à la presse la place irréversible qu’elle mérite à l’échelle continentale. Mais, qu’ils existent est un motif d’espérance, dans un environnement où le pire, triomphant d’arrogance et de cupidité, a une fâcheuse tendance à vouloir éclipser le meilleur. Pour reprendre cette image contenue dans son interview, « l’eau propre » du journalisme est une réalité, même si elle est sans cesse polluée par « l’eau sale », d’un autre type de journalisme.
Le journaliste africain devait, selon un de nos maîtres, être un agent de développement. Mieux, il pourrait être un agent de l’État de droit, de la démocratie et du développement, partout où la presse joue pleinement son rôle. C’est dire que les journalistes ont leur part de responsabilité dans les retards accumulés dans la consolidation de l’État de droit et de la démocratie, en Afrique, comme dans son non-développement. Une presse libre, saine et courageuse peut avoir, sur le destin des peuples, un effet vivifiant que l’on n’imagine pas.
Mais, distinguer, dans le journalisme, « l’eau propre » de « l’eau sale », n’est-ce pas opposer les membres d’une corporation dont les destins sont liés ?
L’eau sale, ce sont, notamment, ceux que Haman Mana qualifie de « presse à gages ». Des journalistes qui déploient, à des fins mercantiles, leur zèle et leur talent au service de causes douteuses, sinon mafieuses, à l’image des tueurs à gages, dans « le milieu ». Certains dirigeants ont eu beau se draper dans la souveraineté nationale, par leurs pratiques, ils se rapprochent davantage de la mafia qui, sous toutes les latitudes, a toujours eu tendance à infiltrer les États. C’est aussi le rôle d’une presse libre que de débusquer les comportements mafieux.
Haman Mana a eu le courage de citer, notamment, le commanditaire présumé de l’assassinat de Martinez Zogo, et démontré, en attendant qu’il soit jugé, en quoi il s’apparente, par son œuvre journalistique, à ceux que son célèbre compatriote Mongo Beti dénonçait naguère comme des mercenaires de la plume, des Al Capone de la rotative.
Le journaliste « d’eau propre » aurait-il l’exclusivité de ce qui est juste ?
S’il dénonce les détournements et autres scandales financiers, ce n’est pas parce qu’il jalouse le bonheur apparent de ceux qui pillent l’État, mais parce qu’il compatit aux souffrances des populations démunies, qui n’auront pas de dispensaire, pas d’école près de chez elles, parce que les fonds ont été détournés. Il fait, en somme, œuvre de salubrité publique.
Et pour le contrecarrer, le journaliste de la « presse à gages » s’emploie à jeter le discrédit sur son travail, sinon sur sa personne. En Afrique, le bon journalisme peine et vit péniblement, tandis que celui de « l’eau sale » peut toujours compter sur la généreuse part du fruit de la corruption que lui jette une branche gangrenée du pouvoir politique. Ce n’est pas un hasard, si les journalistes que l’on tue ou qui meurent courageusement pour la liberté de la presse sont toujours ceux qui défendent l’intérêt général, tandis que prospèrent librement ceux prêts à tout pour des gains faciles et une gloire à bon marché.
Le sujet qu’aborde Haman Mana est donc d’une réelle gravité, et mérite d’être approfondi, afin que la presse cesse d’être un instrument au service de quelques intérêts égoïstes, pour devenir le moteur de l’État de droit, de la démocratie et du développement des nations.
Jean Baptiste Placca