La transition s’éternise en Guinée : “Avis de tempête sur Conakry”

La transition s’éternise en Guinée : “Avis de tempête sur Conakry”

26 avril 2024 Non Par LA RÉDACTION

 

La société civile et l’opposition guinéennes sont en ébullition, note la presse ouest-africaine. La faute en incombe à une transition militaire qui n’en finit pas de durer, sans avoir organisé les élections qui auraient permis un retour à un gouvernement civil. Depuis le Burkina Faso, “Le Pays” revient sur la création d’une nouvelle coalition politique, décidée à demander des comptes à la junte.

Des soldats de la junte escortant leur chef, Mamadi Doumbouya, à Conakry, le 17 septembre 2021.
Des soldats de la junte escortant leur chef, Mamadi Doumbouya, à Conakry, le 17 septembre 2021. PHOTO JOHN WESSELS/AFP

La cocotte-minute guinéenne menace à nouveau d’exploser. C’est, du moins, le sentiment qui se dégage de la naissance de la nouvelle coalition politique, dénommée Union sacrée, créée le 22 avril dernier, à la suite d’une concertation à huis clos d’un consortium de formations politiques et d’organisations de la société civile.

Les conjurés ont décidé d’“unir leurs efforts pour contraindre le CNRD [Comité national du rassemblement pour le développement, nom pris par la junte militaire de transition proclamée en Guinée après le coup d’État du 5 septembre 2021 qui a renversé le président Alpha Condé] à respecter ses engagements d’organiser les élections nécessaires au retour à l’ordre constitutionnel avant la fin de l’année 2024”.

Et pour ce faire, l’Union sacrée entend “user de tous les moyens légaux, y compris les manifestations dans les rues et sur les places publiques, pour exiger l’organisation des élections”.

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À défaut d’obtenir la satisfaction de sa plateforme revendicative, la nouvelle plateforme politique guinéenne se réserve le droit d’exiger le départ de la junte et la mise en place d’une transition civile capable d’organiser, dans un délai raisonnable, des élections crédibles afin de permettre au peuple guinéen de choisir librement ses dirigeants.

C’est dire, en un mot comme en mille, que l’opposition au Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) se met en ordre de bataille pour arracher à Mamadi Doumbouya [qui a mené le coup d’État de 2021 et qui est président du CNRD et de la transition] et à ses compagnons le pouvoir politique qu’ils ont usurpé par les armes.

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Un pays fatigué

Pourquoi, alors que la junte vient de mettre en place un nouveau gouvernement [en mars 2024] pour plus de résultats, le thermomètre politique menace-t-il de s’affoler ?

La principale raison est que les Guinéens sont fatigués d’être menés en bateau par un régime qui s’apprête à fêter son troisième anniversaire aux commandes du pays sans apporter de véritables réponses aux préoccupations des populations.

Et même si, sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le CNRD s’est doté d’une feuille de route pour le retour à l’ordre constitutionnel normal, rien ne prouve que celle-ci sera respectée, surtout que certaines questions préalables à l’organisation des élections n’ont pas, pour l’instant, été clairement abordées.

Il s’agit de la révision constitutionnelle, de la relecture du code électoral et du toilettage du fichier électoral. La classe politique, de ce fait, s’impatiente et commence même à se désillusionner ; elle qui, dans l’ensemble, avait accueilli avec une forte dose d’enthousiasme et d’optimisme l’arrivée de la soldatesque sur la scène politique pour mettre fin aux dérives dictatoriales du président Alpha Condé.

Et la classe politique guinéenne est d’autant plus désillusionnée que, contrairement aux autres pays frères de la sous-région [Mali, Burkina Faso ou Niger], où les hommes en treillis ont pris le pouvoir, il n’y a pas de problèmes sécuritaires qui puissent entraver l’organisation d’un scrutin libre et transparent en Guinée. La seconde raison de l’impatience de la classe politique est qu’elle est, sans doute, lassée de la politique spectacle de Doumbouya.

Elle aspire donc à un autre mode de gouvernance après bientôt trois ans de régime alliant, parfois maladroitement, populisme et tyrannie.

La nécessité de se parler

Mais si l’on peut comprendre cette impatience de l’opposition guinéenne, l’on peut cependant se demander si elle a les moyens de sa politique. Rien n’est moins sûr dans la mesure où le monstre que l’Union sacrée veut abattre se repaît des divisions de la classe politique guinéenne.

L’on sait déjà que l’Union sacrée, portée sur les fonts baptismaux au siège de l’UFDG [Union des forces démocratiques de Guinée], ne mobilise pas toute l’opposition, dont une partie est au gouvernement.

Le nouveau Premier ministre [Amadou Oury Bah] est, en effet, un politique qui se réclame de l’opposition. C’est dire donc que, pour réussir le pari de l’unité d’actions pour contraindre la junte au pouvoir à lâcher du lest, l’opposition devra se battre d’abord contre elle-même pour expurger de ses rangs les germes de la division.

Et ce pari est loin d’être gagné tant les clivages politiques sur fond de tensions ethniques sont énormes en Guinée. Cela dit, même si la nouvelle coalition politique naît avec le péché originel de la division, il n’en demeure pas moins que sa force de frappe est réelle. Rien que l’UFDG, à elle seule, peut réveiller le volcan guinéen. Son expérience dans les luttes politiques antérieures en Guinée le prouve bien.

Réveil des vieux démons

C’est donc dire que la météo politique en Guinée pourrait sérieusement se troubler et il faut craindre le réveil des vieux démons guinéens, qui ne sommeillent que d’un œil. Et cela est particulièrement vrai que la junte pourrait être galvanisée dans la répression des manifestations que le contexte régional est favorable aux régimes militaires qui semblent tirer leur légitimité de la crise sécuritaire.

Allons-nous alors vers un nouveau massacre comme celui du 28 septembre [2009. Ces massacres font suite à une manifestation de partisans de l’opposition guinéenne contre le projet de Dadis Camara, alors au pouvoir, de se présenter à l’élection présidentielle de 2010. Cette manifestation a été réprimée dans le sang par l’armée] ?

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Les Guinéens vont-ils à nouveau ramasser des macchabées dans les rues comme lors des grandes manifs qui ont écrit l’histoire du pays en lettres de sang ? Le risque, en tout cas, est grand et il faut le prévenir.

Et c’est donc naturellement que les regards sont tournés vers la Cedeao et son médiateur, Yayi Boni. Mais avant que la communauté sous-régionale ne se mette en branle, les Guinéens doivent trouver les mécanismes intérieurs pour se parler. Et à cet effet, les leaders communautaires et religieux, qui avaient déjà désamorcé une précédente crise, ont leur mot à dire.

Courrier International

 

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