Par Diallo Safayiou.
Après 66 années d’indépendance politiques et plusieurs années d’aides publiques au développement, la situation économique de notre pays laisse encore à désirer avec des institutions embryonnaires, faibles et précaires.
Et pourtant, depuis son accession à l’indépendance en 1958, la République de Guinée a expérimenté plusieurs stratégies de développement élaborées par les Institutions Financières Internationales (FMI et Banque Mondiale). Malheureusement, les résultats obtenus ont été toujours en deçà des objectifs fixés en raison d’un mauvais diagnostic du problème mais aussi d’un antidote non adapté à la maladie dont souffre le patient.
Etant donné que l’objectif de toute nation est de parvenir à un développement durable afin d’extraire son peuple de la pauvreté grandissante, la croissance guinéenne est restée faible et volatile sur une très longue période (situation préoccupante).
Les données recueillies auprès de la Banque mondiale révèlent que sur la période 1996-2023, la Guinée a été marquée par une croissance économique de 4,6% en moyenne pour une croissance par habitant de 2,9%. Même si cette croissance est appauvrissante (dépendante des matières premières), elle n’est non plus redistributive (taux de pression fiscal de moins de 15%) et à forte intensité capitalistique (peu de main de main d’œuvre est utilisée car elle est fortement dépendante de nos mines).
Malgré ses réserves minières (plus de 40 milliards de tonnes pour la bauxite où elle est première réserve mondiale avec 25% du stock et 2ème producteur mondial, 4 Mds T de réserves de fer, 700 T d’or et 30 à 40 M T de carats de réserves prouvées de diamants) et la croissance économique qu’elle engendre (7% en 2023), le pays souffre d’une mauvaise répartition de ladite croissance économique entre les différents facteurs économiques qui ont concourus à sa création à tel point que l’on constate un grand fossé entre la classe pauvre et celle riche en l’absence d’une classe moyenne pratiquement. En 2018, le ratio de la population pauvre disposant de moins de $ 1,90 par jour (2011 PPA) en pourcentage de la population était de 13,8%.
De plus, de 1996 à 2022 l’espérance de vie à la naissance est passée de 51 ans à 59 ans avec une moyenne de 56 ans au cours des 26 dernières années. Ce qui relève d’une performance notable. De même, suivant une estimation modélisée de l’OIT, le taux de chômage se situait à 5,3% en 2023 pour une moyenne de 5% sur la période sous revue. Nous marquons toutefois notre étonnement quand nous savons que ce chiffre estimé est loin de la réalité. Car, parmi les milliers de jeunes qui sortent des Institutions d’Enseignement Supérieurs mais aussi celles Techniques et Professionnelles d’année en année, rares sont ceux qui insèrent facilement en raison surtout de l’inadéquation entre Offre de travail et demande d’emploi.
De plus, l’inflation se situait à 7,3% en 2023 en glissement annuel contre 4,5% en 1996 avec un pic de 40% en 2006 (période de mauvaise gouvernance caractérisée par un laisser aller total). Cependant, en dépit d’une longue période de déficit commercial, la Guinée a enfin réussi à renverser la tendance depuis 2017 avec un excédent commercial de 15,1% du PIB en moyenne de 2017 à 2021 (cf. Balance de paiement de la BCRG). Malgré tous les efforts fournis, elle est encore confrontée à une dette massive (avec un encours de GNF 4 510,4 Mds en 2021 contre 1,4 Mds après avoir bénéficié d’une réduction de USD 2,1 Mds de dette multilatérale en septembre 2012 avec l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative des Pays Pauvres Très Endettés).
De l’autre côté, les indicateurs socio-économiques disponibles sur la Guinée indiquent qu’elle se situe au bas du classement de l’Indice du Développement Humain (IDH), occupant le 181ème rang sur 193 pays classés en 2023 contre 178ème sur 189 pays classés en 2019. Selon les autorités guinéennes, un peu moins de la moitié des Guinéens (population estimée à un peu plus de 12 Millions d’habitants en 2021 dont 44% vivent sous le seuil national de pauvreté et 52% de la population guinéenne n’avaient pas accès à l’électricité en 2023). Par ailleurs, l’économie est dominée par le secteur informel, avec une part estimée à 41,5% du PIB et 96% des emplois en 2019.
Ces quelques contre-performances au cours pratiquement des 27 dernières années (de 1996 à 2023) suscitent une remise en cause profonde de notre politique économique. Certes, la rupture brutale des relations entre la France et la Guinée en 1958 dans le processus irréversible des indépendances africaines, a mis la pression sur les nouvelles autorités souveraines du pays face aux énormes besoins de volonté des autorités françaises d’alors de tout mettre en œuvre pour que le pays fasse amende honorable. Ce qui fût d’entrée insupportable et prohibitif pour un jeune Etat sans expérience en la matière.
Cependant, les problèmes économiques que nous rencontrons aujourd’hui ne trouvent pas forcément leur origine dans la manière dont nous nous sommes séparés avec la métropole au moment des indépendances. Elles s’expliquent en majeure partie par le manque de vision et de détermination dont nous avons fait preuve. Nous avons longtemps appliqué des mesures dictées par des institutions internationales (notamment le FMI et la Banque mondiale) qui ne connaissent pas totalement nos réalités quoi que représentées en Guinée.
Pour ne pas abuser du temps du lecteur, nous pensons que l’Etat guinéen ne doit pas continuer sur cette lancée qui n’a produit qu’un mauvais résultat. Car, les réformes imposées par les institutions internationales ne sont pas fondées sur une connaissance rationnelle de notre économie. A notre avis, les autorités guinéennes doivent être en mesure de concevoir elles-mêmes des plans pluriannuels de développement en fonction de nos réalités.
Dans ce contexte, la politique économique via ses principaux instruments de politique conjoncturelle (politique budgétaire, politique fiscale, politique monétaire, politique de change, politique de la dette…) devra être utilisée sans ambiguïté. De même, sur le plan structurel, l’amélioration des conditions du développement du secteur privé et d’importants programmes d’infrastructures pour éliminer les principaux goulots d’étranglement et parvenir enfin à une meilleure croissance économique.
Pour y parvenir, l’amélioration de la transparence des actions de l’État et de la gouvernance, y compris dans le secteur-clé des industries extractives, la réduction des exonérations fiscales et douanières abusives, la modernisation de la gestion des régies financières de l’État constitueront des leviers pour atteindre cette croissance. De même, la lutte contre la pauvreté endémique et le chômage élevé, notamment chez les jeunes, seront aussi indispensables. A cela s’ajoute la redynamisation des infrastructures Economiques et Sociales ainsi que l’accès aux services sociaux qui reste limité pour une large part de la population.
De même, nous devons procéder au renforcement des institutions démocratiques à travers l’organisation des élections libres et transparentes, la lutte contre la corruption et l’indépendance totale de la justice. Dans le même sillage, nous devons veiller à la diversification de l’économie en réduisant la dépendance aux matières premières en développant d’autres secteurs comme l’agriculture, l’industrie et les services.
Il serait également indispensable d’investir dans le capital humain en améliorant l’accès à l’éducation, à la santé et à l’emploi, notamment pour les jeunes. Favoriser la bonne gouvernance : Mettre en place des politiques publiques efficaces et transparentes, lutter contre l’impunité et renforcer la participation citoyenne.