La France dénonce une vaste campagne de désinformation en provenance de Russie
13 juin 2023La France a accusé ce mardi 13 juin la Russie de mener une vaste opération d’ingérence numérique en publiant de faux articles de grands quotidiens français hostiles à l’Ukraine, des agissements relevant de la « guerre hybride » de Moscou et « indignes d’un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies ».
« Les autorités françaises ont mis en évidence l’existence d’une campagne numérique de manipulation de l’information contre la France impliquant des acteurs russes et à laquelle des entités étatiques ou affiliées à l’État russe ont participé en amplifiant de fausses informations », a dit la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna dans une déclaration lue par sa porte-parole. Celle-ci ajoute que Paris était en « lien étroit » avec ses alliés « pour mettre en échec la guerre hybride menée par la Russie ».
Cette campagne documentée dans un rapport du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale intitulé RRN : une campagne de manipulation de l’information complexe et persistante a visé plusieurs sites de médias, mais aussi celui du ministère des Affaires étrangères et d’autres sites gouvernementaux, en créant des sites miroirs. Jusqu’ici, la France a suivi une doctrine prudente en matière d’attribution d’attaques numériques. « L’implication d’ambassades et de centres culturels russes qui ont activement participé à l’amplification de cette campagne, y compris via leurs comptes institutionnels sur les réseaux sociaux, est une nouvelle illustration de la stratégie hybride que la Russie met en œuvre pour saper les conditions d’un débat démocratique », a déclaré la ministre.
Deuxième phase d’une campagne déjà connue
L’opération dévoilée par le gouvernement est plus précisément « la seconde phase d’une campagne déjà connue, mais avec des modes d’action plus sophistiqués destinés à contourner les contre-mesures et être moins visibles », explique à l’AFP une source sécuritaire impliquée dans le dossier. Il s’agit de l’opération Doppelgänger – dans certains folklores européens, un Doppelgänger est le double maléfique d’une personne – déjà documentée en 2022 notamment par l’organisation européenne EU DisinfoLab et le géant américain Meta.
Fin septembre, la maison mère de Facebook a annoncé avoir démantelé sur sa plateforme une opération « d’influence secrète » provenant de Russie pour amplifier la visibilité de ces articles issus de sites pirates, pour laquelle ses promoteurs, deux sociétés de conseil en marketing et technologie de l’information, avaient dépensé 105 000 dollars. « Meta espérait que son rapport mettrait fin aux opérations, ce ne fut pas le cas », explique la source sécuritaire.
Au moins quatre quotidiens français, Le Parisien, Le Figaro, Le Monde et 20 Minutes ont été victimes de l’opération, mais d’autres grands médias ont aussi été visés, notamment allemands (FAZ, Der Spiegel, Bild, Die Welt…) Les hackers produisaient de faux articles sur une page en tout point identique à celles du site officiel de ces médias, mais avec un nom de domaine différent, par exemple .ltd au lieu de .fr.
Une attaque « très bien coordonnée et structurée »
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La copie est tellement poussée qu’un clic sur les liens hypertexte qu’elle contient renvoie sur les autres articles du vrai journal. La pratique est baptisée « typosquattage ». Ces faux articles sont ensuite diffusés via les réseaux sociaux en essayant de pousser leur viralité, qui semble rester faible pour l’instant. « On a trouvé des dizaines de noms de domaines achetés par les Russes pour faire du typosquattage. On n’a pas affaire à des gens qui agissent à dose homéopathique. Ils sont au début d’un processus d’industrialisation », explique à l’AFP la source sécuritaire.
« On ne connaît pas leur objectif final. Est-ce que c’est du micro-ciblage de certaines populations ? Est-ce que c’est pour une campagne permanente de basse intensité ? Ou en vue d’une action massive à un moment précis ? », ajoute-t-elle, précisant que l’ensemble est « très bien coordonné et structuré ». La structure initiale de l’opération est baptisée RRN, du nom du site pro-russe RRN.world, pour Reliable Recent News (auparavant appelé Reliable Russian News), un site créé quelques mois après le début de la guerre en Ukraine qui a partagé de nombreuses intox, notamment sur une soi-disant mise en scène du massacre de Boutcha.
Outre le typosquattage, elle se livre à d’autres opérations d’influence, comme la production de dessins animés anti-Zelensky ou de narratifs pro-russes et de désinformation via certains sites dits de « réinformation ». Cette opération vient s’inscrire dans une pratique déjà longue et documentée d’actions d’influences menées par la Russie. Dans le cas de l’invasion de l’Ukraine, Moscou mise sur les fausses informations pour saper le soutien des opinions publiques occidentales.
Les actions d’ingérence, une guerre psychologique et d’information
Guerre hybride, guerre déportée, ou encore lutte informationnelle… Les termes ne manquent pas pour désigner les actions d’ingérence, d’influence, c’est-à-dire les narratifs destinés à porter des coups sous le seuil de l’affrontement. À l’issue de la guerre froide, qui a laissé l’Union soviétique exsangue, la Russie s’est rapidement tournée vers ces actions subversives qui, selon ses stratèges, permettent de remporter des victoires à moindre coût.
« La guerre informationnelle, quand elle arrive dans la pensée stratégique dans les années 1990, est analysée immédiatement de façon psychologico-subversive. Pour eux, la guerre informationnelle, c’est : « On peut gagner sans lutte armée, on peut gagner sans guerre ». Ensuite, ce concept est militarisé. Il est compris, il est analysé dans le cadre de la lutte armée, en tant que soutien aux actions de combat. On voit le triomphe de la confrontation psychologico-informationnelle et cela a une portée dans l’esprit des théoriciens militaires, dans l’esprit des élites politiques communautaires russes phénoménales ? C’est une condition qui permet de détruire des États entiers, de reformater des sociétés, etc. », analyse Dimitri Minic, chercheur à l’Ifri.
Ces dernières années, la désinformation russe a été à l’œuvre en Afrique, notamment au Sahel, pour colporter un sentiment anti-Français. Elle apparait aujourd’hui en France et en Europe, cette fois pour saper le soutien des opinions publiques à l’Ukraine.
(Avec AFP)