Après son départ de Lituanie où il était enfermé en centre de détention, Thomas, un migrant guinéen, s’est battu pour pouvoir déposer un dossier d’asile en France. Dubliné, il a dû attendre plusieurs mois, dans un « stress absolu », que son dossier de protection internationale soit enfin étudié sur le sol français. Il avait peur que la police le renvoie en Lituanie. Il raconte.
Les dates et le nom de la personne interrogée ont été volontairement modifiés pour préserver son anonymat.
Thomas, Guinéen, est resté plusieurs mois en Lituanie, enfermé dans le camp de détention de Pabradé avant de pouvoir en sortir, blessé. Une fois dehors, avec l’aide d’un passeur, il a rejoint l’Allemagne après avoir traversé la Pologne. Il est arrivé dans l’Est de la France à l’hiver dernier.
« Je suis arrivé en France dans la région Est au début du mois de décembre 2022. J’ai tout de suite voulu régulariser ma situation et déposer un dossier d’asile, mais les choses furent très compliquées. Quand je me suis présenté pour la première fois à la préfecture, quelques jours plus tard, on a relevé mes empreintes. On m’a expliqué que j’étais sous procédure Dublin.
On m’a dit : ‘La préfecture vous recontactera’. J’ai compris grâce aux assistants sociaux de la Spada [structure de premier accueil des demandeurs d’asile, ndlr] que la préfecture me recontacterait le mois suivant soit pour renouveler mon récépissé ‘procédure Dublin’, soit pour me signifier que j’allais être transféré vers la Lituanie. J’étais complètement paniqué. Il fallait que je pointe deux fois par semaine au commissariat.
Selon le règlement Dublin, qui régit l’asile sur le sol européen, un exilé ne peut faire sa demande d’asile que dans son premier pays d’entrée en UE. Dans le cas de Thomas, son dossier dépend donc des autorités lituaniennes. Le Guinéen a déposé un dossier dans le pays – qui n’a jamais pris au sérieux sa demande. Thomas a passé un entretien d’asile en prison, menotté, sans l’assistance d’un interprète ou d’un avocat.
En février 2023, quand la préfecture m’a donné un nouveau rendez-vous, c’est la police qui m’a accueilli à l’entrée du bâtiment. Une dame m’a dit : ‘Voilà, ceci est un document qui explique votre transfert, il faut retourner en Lituanie. Tout va bien se passer’.
J’ai protesté. La même dame m’a alors donné un papier avec des noms d’avocats et m’a dit : ‘Vous avez 48h pour faire un recours’. On était vendredi.
J’ai appelé au hasard un numéro d’avocat, je ne connaissais personne. Un homme a répondu et m’a prévenu : ‘Ca va être compliqué’. Je l’ai rencontré le lendemain, un samedi, et je lui ai donné tous mes documents. Une semaine plus tard, j’ai reçu une lettre du tribunal : mon recours avait été rejeté. Je ne m’étais même pas présenté devant le juge ! Je n’étais même pas au courant que mon avocat avait plaidé mon dossier.
‘Mais c’est trop tard, votre recours est déjà fait !’
Quand j’ai reçu cette lettre officielle, j’ai compté : il fallait attendre six mois jour pour jour à partir de ce courrier avant la fin de ma procédure Dublin. Six mois pendant lesquels il faut que je me batte pour ne pas être expulsé vers la Lituanie.
Le délai pour mettre fin à une procédure Dublin est effectivement de six mois à compter de la date d’acceptation de l’État responsable ou, en cas de recours, à compter du jugement de rejet de la juridiction administrative.
J’ai appelé une autre avocate, toujours au hasard sur la liste. Elle m’a dit : ‘Mais c’est trop tard, le recours est déjà fait’. Je l’ai suppliée de me voir, elle m’a reçu le jour-même, et s’est étonnée : ‘Il fallait vous présenter au tribunal, il fallait montrer les vidéos de la détention en Lituanie, vous auriez pu avoir une chance !’ J’étais très en colère contre le premier avocat.
Dans le même temps, en plus de tout ce casse-tête administratif, je devais subir une opération chirurgicale… Je me disais : ‘Comment je vais faire après l’opération pour me déplacer alors que les médecins me demandent de rester tranquille, de changer mes pansements tous les jours’.
Je dormais à l’abri grâce au 115. Je savais que ce n’était pas compatible avec une convalescence.
Et puis, j’avais peur que la police vienne m’arrêter là-bas là. J’ai demandé de l’aide à l’avocate pour trouver un autre endroit où dormir.
L’Ofii
m’a aidé : ils m’ont envoyé une lettre pour me loger dans un hôtel social, on était en mars 2023. J’ai été transféré dans une autre ville, dans un petit appartement.
‘Je n’y retournerai pas, vous ne savez pas ce qu’on a vécu là-bas’
Au mois de juin, j’ai donc été opéré – en urgence. La chirurgienne m’a dit que mon état était sérieux et qu’il ne fallait plus attendre. Je suis rentré dans mon appartement trois jours après et une infirmière passait changer mes pansements.
J’étais extrêmement stressé, j’avais toujours aussi peur. Mes recours étaient épuisés, j’étais alité, je pensais chaque jour que la police allait venir chez moi pour me transférer vers la Lituanie. Au mois d’août, j’ai reçu une nouvelle convocation de la préfecture. Les assistants sociaux m’ont prévenu : ‘C’est sûrement pour le transfert’.
Je leur ai dit : ‘Je n’irai pas. Vous ne savez pas ce qu’on a vécu là-bas… La prison, les maltraitances…’ Si on m’envoie là-bas, je serais dans une cellule, je ne pourrais plus communiquer, on prendra mon portable…
Il me restait trois semaines avant la fin de mon Dublin. Trois semaines… Cette convocation arrivait juste avant la date de fin. J’étais fragile, je ne pouvais pas trop marcher mais j’ai appelé l’hôpital, la chirurgienne qui m’avait opéré pour essayer d’avoir un certificat médical attestant de mon état, de l’impossibilité de me faire expulser. Tout le monde était en vacances…
Chaque matin, je sortais dans la rue, avec tous mes documents médicaux sur moi, pour trouver un médecin. J’avais mal, je boitais, je ne dormais plus, j’ai beaucoup maigri ces trois semaines-là.
Je suis passé de cabinets en cabinets en plein été avant d’en trouver un qui accepte de m’aider. J’avais enfin un certificat qui recommandait de ne pas me renvoyer en Lituanie. Ce document allait-il vraiment m’aider ? Je me disais : ‘Est-ce que je reste dans l’appartement au risque qu’ils viennent me chercher ? Mais si je me déplace et que je me cache quelque part, comment je fais avec mes pansements qu’il faut changer chaque jour ?’ C’était un casse-tête et un stress total pour moi.
J’ai envoyé le fameux certificat au PRD, le lendemain. Et heureusement, ils ont accepté de reporter le rendez-vous.
Les pôles régionaux Dublin (PRD), en préfecture, sont chargés entre autres du renouvellement de l’attestation de demande d’asile, de la notification de la décision de transfert et l’assignation à résidence des demandeurs d’asile dublinés.
Puis la date fatidique est passée.
J’ai reçu un message de mon assistant social : ‘Vous n’êtes plus en procédure Dublin, c’est officiel. J’ai reçu un mail du PRD’.
J’étais tellement content. Maintenant, je peux respirer. Je vais déposer une demande d’asile et j’espère que tout se passera bien. Pour l’instant, je n’ai plus peur qu’on vienne m’arrêter. »
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