Il y a 50 ans, l’indépendance de la Guinée-Bissau: des archives méconnues font revivre ce moment
25 septembre 2023
Le 24 septembre 1973, il y a cinquante ans, le mouvement indépendantiste bissau-guinéen, le PAIGC proclamait unilatéralement l’indépendance du pays. La cérémonie a lieu sur le sol bissau-guinéen, dans le village de Lugadjol, sur les collines de Madina do Boé en zone libérée, où se réunit l’Assemblée Nationale Populaire. Des archives méconnues de la radio Liberté, surnommée à l’époque « la voix du PAIGC » permettent de revenir sur cet épisode.
La zone de Lugadjol a été choisie car les lieux sont difficiles d’accès. Les collines aux flancs raides et la grande forêt dense doivent servir de protection, en cas d’attaque surprise de l’ennemi. La réunion de l’Assemblée Nationale Populaire a lieu à l’air libre, au bas de la colline. Une estrade a été élevée pour les principaux responsables du parti. Les autres s’installent à l’ombre des arbres. Le projet de constitution est adopté. Puis Luis Cabral, membre du comité central du PAIGC et demi-frère d’Amilcar Cabral prend la parole : « Après dix années de lutte armée victorieuse sous la direction de notre glorieux parti, créé et dirigé, dans sa ligne de pensées et d’actions, par notre camarade immortel Amilcar Cabral, nous venons de franchir une étape transcendante de notre histoire. »
Les délégués écoutent un enregistrement d’Amilcar Cabral, le charismatique leader du mouvement assassiné plusieurs mois plus tôt. Puis Joao Bernardo Vieira dit « Nino », le coordonnateur militaire du front sud, procède à la proclamation d’indépendance proprement dite. « Vive l’État souverain de Guinée-Bissau, construit par la lutte héroïque de notre peuple, vive la solidarité internationale des peuples et des forces anti-colonialistes et anti-impérialistes du monde. À bas les agresseurs colonialistes portugais. Après lecture de ce texte, approuvé à l’unanimité par la première Assemblée nationale de notre histoire, celle-ci, exprimant la volonté de notre peuple souverain, proclame solennellement l’État de la Guinée-Bissau. »
À l’issue de cette cérémonie, la présidence est confiée pour une période d’un mois à Carmen Pereira, membre du comité central, le temps de mettre en place une équipe gouvernementale.
En cinquante ans, la Guinée-Bissau a connu quatre coups d’État et dix-sept tentatives de putsch. La dernière d’entre elle a visé l’actuel président Umaro Sissoco Embalo en 2022.
Vincent Foucher, chercheur au CNRS, revient sur les causes de cette instabilité politique, interrogé par Guilhem Fabry : « Un des premiers facteurs, c’est certainement la faiblesse du développement économique qui a des causes structurelles. C’est un petit pays, peu peuplé, où il y a eu peu d’investissements, y à l’époque coloniale. Et donc, on a un secteur privé qui est très faible, ce qui veut dire qu’il n’y a pas vraiment de salut hors de l’État et donc au sein de l’élite, on lutte de manière très vive pour acquérir le contrôle de l’État. Et puis ça, c’est aggravé par un autre facteur qui est l’expérience de la guerre de libération, puisque c’est le seul pays d’Afrique de l’Ouest qui a obtenu son indépendance en l’occurrence du Portugal au terme d’une lutte de libération armée, qui a duré une bonne dizaine d’années. Et donc, de cette expérience militaire découle une question persistante en fait quant au poids des militaires dans la société et au fond, à une sorte de supplément de légitimité à intervenir dans la trajectoire politique du pays. »
Le pays est aujourd’hui une plaque tournante du trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe. Il est d’ailleurs considéré comme un narco-État par l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime. Vincent Foucher explique le lien entre le narcotrafic et la forte instabilité politique que connaît le pays : « On parle beaucoup de narcotrafics à propos de la Guinée-Bissau. Mais il me semble qu’il y a peut-être une illusion d’optique, il y a des luttes factionnelles incessantes. Mais les luttes, elles se font aussi en utilisant les accusations de trafic de drogue et en utilisant par exemple la police et la justice pour poursuivre certaines affaires au détriment de certaines factions qui sont impliquées. Donc, d’une certaine manière, si on arrive à avoir beaucoup d’affaires qui sortent, c’est parce qu’il y a des compétitions politiques, c’est un système très fragile au fond, assez instable. Dans certains pays plus stables, par exemple la Guinée Conakry, il y a peu d’affaires qui sortent parce qu’au fond, les acteurs d’État qui sont impliqués dans le trafic arrivent beaucoup mieux à garder la discrétion sur le trafic. Et donc, on a beaucoup mis en avant la Guinée-Bissau comme point central du trafic. Il y a clairement un peu partout en Afrique de l’Ouest du trafic de cocaïne avec des implications de certains segments des élites d’État, notamment dans le secteur de la sécurité, renseignement, police, armée, gendarmerie. Il y a des petits bouts de l’État comme ça qui sont impliqués dans ce trafic-là un peu partout. En Guinée-Bissau, on en parle parce que cela suscite justement beaucoup d’instabilité et beaucoup de compétition. »
Au moment de l’Indépendance, nous avons nourri un espoir. Les rêves sont brisés en raison d’une mauvaise gestion de la chose publique.
RFI