Guinée : « Il est urgent que des poursuites soient diligentées »
16 septembre 2022JUSTICE. Maîtres Bourdon et Brengarth, avocats des Guinéens qui ont saisi la justice française d’une plainte contre le colonel Mamadi Doumbouya, chef de la junte, explique.
Propos recueillis par Malick Diawara
Si le temps politique en Guinée suit un cours imprimé par la volonté du chef de la junte, le colonel Mamadi Doumbouya, le temps judiciaire se charge pour celui-ci, en l’occurrence en France. Le 8 septembre dernier, une plainte a été déposée à Paris pour « complicité de torture » et « homicides volontaires », selon une source proche du dossier. « Les circonstances de ces faits permettent de mettre en évidence la participation du colonel Mamadi Doumbouya dont on peut penser qu’il a a minima participé par le biais des ordres donnés aux militaires dont il contrôle les agissements », soulignent les plaignants qui ont demandé à la procureure de Paris d’ouvrir une enquête. « Celle-ci est d’autant plus indispensable au regard de l’absence de toute perspective crédible de poursuites à l’endroit de la junte militaire en Guinée, en l’absence d’indépendance des juridictions nationales », estiment-ils.
Au-delà des familles de trois personnes, « tuées par balle » dans des manifestations contre la junte, et de celle d’une personne décédée en détention, entre fin juillet et mi-août 2022, les plaignants sont des membres du Front national de défense de la constitution (FNDC), une coalition d’opposition composée de partis, de syndicats et d’organisations de la société civile. Pour les défendre, ils ont choisi deux avocats du barreau de Paris du cabinet Bourdon & Associés : Maîtres William Bourdon et Vincent Brengarth. Ceux-ci se sont confiés au Point Afrique.
Le Point Afrique : L’actualité politique guinéenne est partie pour avoir un pendant judiciaire à Paris. Pouvez-vous nous faire l’économie de cette affaire qui justifie que vous ayez été saisis ?
Maîtres Willam Bourdon et Vincent Brengarth :Il s’agit d’une nouvelle action judiciaire d’importance entreprise pour le FNDC, qui prolonge les initiatives précédentes. Nous avons été saisis par ce collectif et par des victimes des crimes commis en Guinée à l’occasion des manifestations des jeudi 28 et vendredi 29 juillet et mercredi 17 août 2022.
Devant l’absence de toute possibilité crédible que des investigations soient ordonnées en Guinée, nous avons fait le choix de saisir la justice française. Il est urgent que des poursuites soient diligentées pour stopper la spirale mortifère de la junte au pouvoir. Les autorités judiciaires françaises en ont légalement la possibilité. Suffisamment d’éléments existent pour qu’elles en apprécient positivement l’opportunité, en dépit de l’existence de considérations purement politiques qui pourraient y faire obstacle.
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Sur quoi votre action va-t-elle se fonder ?
Selon les informations en possession des plaignants, le colonel Mamadi Doumbouya aurait la nationalité française en plus de la nationalité guinéenne, ce qui est de nature à fonder la compétence des juridictions françaises. Or, en tant que membre du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) et président de la Transition, nous considérons, en l’état des éléments transmis par le FNDC et les familles, qu’il ne fait aucun doute que le colonel Mamadi Doumbouya occupe un rôle central dans la répression actuellement à l’œuvre en Guinée contre la société civile. Aucune immunité ne nous semble au surplus pouvoir être excipée dans ce cas de figure particulier.
En effet, Monsieur Mamadi Doumbouya ne saurait être considéré à proprement parler comme un Président de la République, en l’absence de tout processus démocratique et compte tenu des conditions par lesquelles il a pu accéder au pouvoir, à la faveur d’un coup d’état militaire : autrement dit par la force des armes plutôt que par la voie des urnes. Cette plainte a été déposée des chefs de complicité d’homicides volontaires ainsi que de tortures, ce qui nous apparaît restituer son possible rôle dans la direction des opérations.
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Quels sont les voies et recours que vous comptez mettre en oeuvre ?
Désormais, nous attendons de connaître la position du parquet du tribunal judiciaire de Paris sur le point de savoir s’il entend ou non ouvrir une enquête préliminaire et donc diligenter des actes d’investigations. D’autres recours sont également en voie de préparation.
Quelles pourraient en être les conséquences notamment pour le colonel Mamadi Doumbouya au regard des éléments de nationalité française que vous avez évoqués ?
La nationalité française de Monsieur Doumbouya pourrait entraîner la compétence des juridictions françaises. Autrement dit, et sous réserve des investigations qui pourraient être ordonnées, il pourrait être amené à être entendu et à rendre des comptes, devant ces juridictions, des crimes qui ont été commis. En tout état de cause, les juridictions françaises peuvent également être compétentes en vertu du principe de la compétence universelle.
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A la croisée du politique et du judiciaire, cette affaire jette une ombre sur le mode et le cadre d’utilisation de la violence légale. Quelles réflexions cela vous inspire-t-il sur la gouvernance en Guinée, en particulier, et en Afrique en général ?
Le recours débridé à la violence dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre est malheureusement une maladie connue affectant les Etats autoritaires. Il traduit une parfaite conscience de ces Etats d’employer tous les moyens pour se maintenir au pouvoir, y compris par l’usage d’une force inadaptée et disproportionnée. La répression en Guinée, qui s’adosse aux interdictions de manifestations, montre une incapacité à accepter l’expression d’une dissidence. C’est un profond recul par rapport à l’aspiration démocratique initialement exprimée par la junte et finalement une annonce de pur affichage. Un certain nombre des pays instrumentalisent également les graves crises mondiales que nous traversons – crise sanitaire, menace contre le terrorisme, guerre en Ukraine –, et l’attention très partagée de la communauté internationale sur ces différent sujets, pour durcir encore plus l’utilisation de la force.
Le Point