(Nairobi) – L’immense projet de mine de fer de Simandou en Guinée présente de graves risques pour les terres, l’eau et l’environnement des communautés concernées, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les sociétés minières développant Simandou ont promis de respecter des normes strictes en matière de droits humains et d’environnement, mais leurs antécédents en Guinée signifient que le projet mérite l’examen le plus minutieux possible.
Simandou, considéré comme le plus grand gisement non exploité de minerai de fer de haute qualité du monde, est développé par des consortiums dirigés par l’entreprise minière anglo-australienne Rio Tinto et par Winning International Group, une société basée à Singapour avec des racines en Chine. Rio Tinto et Winning affirment que le projet génèrera une « source durable de revenus pour la population de la Guinée, pour les générations à venir », sachant que les activités minières fournissaient en 2018 un tiers du budget de l’État guinéen. Mais le projet Simandou menace également l’accès des communautés voisines à la terre et à l’eau, et émettra de grandes quantités de carbone dans l’atmosphère.
« Le projet Simandou est sans précédent pour la Guinée, non seulement par sa taille et sa complexité, mais aussi par la menace qu’il représente pour les droits et l’environnement des communautés locales », a déclaré Jim Wormington, chercheur senior et chargé du plaidoyer pour les entreprises et droits humains de Human Rights Watch. « Une surveillance inadéquate du projet pourrait avoir des effets catastrophiques sur les droits humains et l’environnement. »
Les gisements de Simandou, qui contiennent suffisamment de minerai de fer pour construire plus de 500 000 tours Eiffel, sont restés inexploités pendant des années en raison d’allégations de corruption, de litiges en matière de propriété, de l’instabilité politique de la Guinée et du terrain éloigné et difficile de la région. En août 2022, cependant, les consortiums Winning et Rio Tinto ont convenu de co-développer l’infrastructure ferroviaire et portuaire du projet, l’exploitation minière devant commencer d’ici 2025.
Le gouvernement chinois considère que le développement de Simandou est essentiel pour diversifier et assurer son approvisionnement en minerai de fer, principale matière première pour la fabrication d’acier. La Chine produit davantage d’acier que tout autre pays et le consortium de Rio Tinto comprend Baowu Steel, le premier producteur mondial.
Toutefois, pour extraire le minerai de fer de Simandou, il faudra défricher des zones de forêt et déloger des communautés. La voie ferrée planifiée du projet, nécessaire pour transporter le minerai à des fins d’exportation, s’étendra sur 600 kilomètres à travers la Guinée. Rio Tinto et Winning affirment que cela créera un « couloir stratégique » qui aura des retombées économiques bénéfiques pour la région, au-delà de l’exploitation minière. Mais une évaluation des effets environnementaux et sociaux de 2021 commanditée par le consortium de Winning montre que la construction de cette voie ferrée exige de raser plus de 100 km2 de terres et de détruire des habitats qui sont essentiels à des espèces menacées comme le chimpanzé ouest-africain.
En ce qui concerne la montagne elle-même, l’étude d’impact environnemental et social commanditée par Winning portant sur sa portion de Simandou envisage des puits de mine qui s’étendront sur près de 20 km à travers le relief montagneux. L’évaluation a calculé que, rien que pour les sites de Winning, la déforestation due à l’exploitation minière pourrait libérer jusqu’à 271 300 tonnes de dioxyde de carbone, équivalent à la combustion de 300 millions de livres (soit 150 000 tonnes) de charbon selon une estimation de Human Rights Watch calculée avec un outil développé par l’Agence américaine de protection de l’environnement (US EPA).
L’étude de Winning estime qu’au cours de son existence, censée durer 22 ans, la mine produira plus de 19 millions de tonnes de dioxyde de carbone, l’équivalent de la combustion de 21 milliards de livres (10 millions tonnes) de charbon, selon une estimation de Human Rights Watch calculée avec l’outil US EPA. Rio Tinto et WCS ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils étaient encore en train d’évaluer l’empreinte carbone globale du projet, mais qu’ils s’efforçaient de la réduire autant que possible.
Les deux études d’impact commanditées par Winning pour le chemin de fer et leur mine montrent par ailleurs que la construction forcera des centaines de foyers à quitter leur domicile. Même pour les villages qui ne seront pas relogés, les études avertissent que la déforestation et la perte de terres risquent de mettre en péril les activités agricoles, de chasse et de pêche des communautés, ce qui aura des répercussions négatives sur la sécurité alimentaire des familles. Les évaluations avancent également que le projet pourrait impacter négativement les ressources en eau déjà fragiles des communautés, les reliefs de Simandou représentant une source d’eau vitale pour les rivières locales.
Le gouvernement guinéen a approuvé sous condition les études d’impact environnemental et social du chemin de fer de Simandou en juillet 2021 et la construction de l’infrastructure ferroviaire a déjà commencé. Le gouvernement guinéen doit encore examiner et approuver l’étude d’impact de Winning pour ses sites miniers. Rio Tinto met actuellement à jour ses études d’impacts pour ses opérations minières et sa portion de la voie ferrée.
Les consortiums de Rio Tinto et Winning, dans une lettre conjointe du 23 septembre à Human Rights Watch, se disaient engagés à développer Simandou conformément aux normes internationales de performances environnementales et sociales et à respecter les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
Toutefois Rio Tinto est déjà copropriétaire d’une mine de Guinée qui extrait de la bauxite, le minerai nécessaire à la fabrication d’aluminium. En 2019, treize villages voisins ont accusé la mine « de se saisir de terres et de détruire leur environnement et leurs moyens de subsistance », et donc d’avoir violé les conditions fixées par un prêt de 200 millions USD accordé par la Banque mondiale. La Banque mondiale supervise à présent un processus de médiation qui tente de résoudre les plaintes de ces communautés. Rio Tinto a déclaré que l’entreprise suivait de près l’approche de la mine en matière de protection environnementale et de droits humains et que le consortium détenteur de la mine, dont Rio Tinto, observait le processus de médiation.
Par ailleurs le consortium Winning contrôle une entreprise minière qui est le plus gros exportateur de bauxite de Guinée. En 2018, Human Rights Watch avait documenté les impacts destructeurs de cette société sur les terres et l’environnement des communautés dans ses environs. L’entreprise a déclaré en septembre 2022 à Human Rights Watch que ses activités d’extraction de bauxite étaient auditées chaque année par le gouvernement guinéen et qu’une société externe avait revu et mis à jour son plan d’évaluation et de gestion des impacts environnementaux et sociaux.
Pourtant, la société a refusé à plusieurs reprises de fournir des copies des évaluations corrigées ou du plan actualisé, tandis que les organisations non gouvernementales guinéennes continuent à rapporter des impacts négatifs sur les terres ou les sources d’eau des communautés.
Le gouvernement militaire de la Guinée, qui a pris le pouvoir lors d’un coup d’État en septembre 2021, reçoit une part de 15 % aussi bien des activités minières de Simandou que de la société de chemin de fer qui transportera le minerai à exporter. La hiérarchie militaire guinéenne, critiquée par des groupes de la société civile parce qu’elle a retardé les élections indispensables pour revenir à un gouvernement civil, a interdit en mai 2022 les protestations publiques dans tout le pays et déployé l’armée pour réprimer les manifestations défiant l’interdiction. Les forces de sécurité guinéennes ont fréquemment fait usage d’une force excessive et souvent fatale pour réprimer des manifestations, notamment en tuant six personnes en 2012 suite à un mouvement de protestation dans une mine de fer de la même région que Simandou.
Dans leur lettre conjointe à Human Rights Watch, Rio Tinto et le consortium Winning reconnaissent que le projet Simandou « sera bâti et opéré dans un environnement unique qui présente des défis importants ». Les sociétés affirment qu’elles sont en train de mener une évaluation des risques portant sur les impacts du projet sur les droits, de mettre en place un régime d’audit indépendant pour surveiller le respect des normes en matière de performances environnementales et sociales, et d’entamer des discussions pour harmoniser leurs procédures de dépôt de plaintes et réclamations.
Le 23 septembre, une déclaration émanant d’une coalition de dix organisations de la société civile guinéenne a salué l’engagement de ces entreprises vis-à-vis des normes internationales, tout en se disant préoccupée par les « risques élevés » de non-respect des normes sociales, environnementales et de gouvernance.
« En dépit de la promesse de Rio Tinto et du consortium Winning de respecter les droits humains, leurs précédents en Guinée suscitent des interrogations majeures sur leur capacité à le faire », a conclu Jim Wormington. « Les communautés guinéennes attendent de voir si les engagements de ces entreprises se traduiront par une véritable protection de leurs terres, de leur environnement et de leurs droits. »