Guerre en Ukraine : trois questions sur le déploiement d’armes nucléaires tactiques russes en Biélorussie

Guerre en Ukraine : trois questions sur le déploiement d’armes nucléaires tactiques russes en Biélorussie

27 mars 2023 Non Par LA RÉDACTION

Moscou va stationner des armes nucléaires sur le territoire de son allié biélorusse. Une mesure présentée comme une riposte à la livraison de munitions à uranium appauvri, promise par Londres à l’Ukraine.
Un exercice militaire conjoint entre la Russie et la Biélorussie dans le ciel de Minsk, le 25 août 2021. (ANADOLU AGENCY / AFP)

Vladimir Poutine agite une nouvelle fois l’épouvantail de l’arme nucléaire dans le contexte du conflit ukrainien. Lors d’un entretien à la télévision russe diffusé samedi 25 mars, le chef d’Etat a annoncé le déploiement d’armes nucléaires tactiques en Biélorussie. « Il n’y a rien d’inhabituel ici : les Etats-Unis font cela depuis des décennies. Ils déploient depuis longtemps leurs armes nucléaires tactiques sur le territoire de leurs alliés », a justifié le dirigeant russe, ajoutant avoir l’accord de Minsk pour cette opération. « A partir du 3 avril, nous commençons à former les équipages. Et le 1er juillet, nous terminerons la construction d’un entrepôt spécial pour les armes nucléaires tactiques sur le territoire de la Biélorussie », a détaillé Vladimir Poutine.

 

Le président russe présente cette décision comme une réponse à l’envoi de munitions à uranium appauvri à l’Ukraine par Londres, évoqué par la vice-ministre de la Défense britannique le 20 mars. De quelles armes parle-t-on exactement ? Quelles seront les conséquences de leur déploiement ? Franceinfo revient sur ce sujet en trois questions.

1 Qu’est-ce qu’une arme nucléaire tactique ?

Si la distinction paraît un peu artificielle pour les spécialistes, on oppose les armes nucléaires dites stratégiques, conçues pour la destruction d’objectifs à l’aide notamment de missiles balistiques, aux armes nucléaires tactiques. L’emploi de ces dernières se limite théoriquement au champ de bataille. Une arme nucléaire tactique est ainsi une bombe nucléaire de puissance « réduite », utilisée par exemple pour cibler des unités de l’armée adverse, comme une colonne de chars.

En Biélorussie, on peut supposer que « de ‘petites’ armes d’une puissance d’environ 10 à 50 kilotonnes viendront équiper les bombardiers Soukhoï biélorusses« , s’avance auprès de franceinfo Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans l’armement. Il s’agit donc d’une faiblesse toute relative : à titre de comparaison, la bombe atomique larguée sur Hiroshima en 1945 possédait une puissance d’approximativement 16 kilotonnes.

2 Pourquoi la Russie désire déployer ces armes nucléaires en Biélorussie ?

Vladimir Poutine présente le déploiement d’armes nucléaires en Biélorussie comme une riposte aux annonces britanniques du 20 mars concernant des livraisons de munitions à uranium appauvri à l’Ukraine. En réalité, cette décision semble avoir été déjà préparée il y a près de neuf mois de cela. « Dans les prochains mois, nous allons transférer (…) des systèmes de missile tactique Iskander-M, qui peuvent utiliser des missiles balistiques ou de croisière, dans leurs versions conventionnelle et nucléaire », avait ainsi annoncé le président russe le 25 juin 2022, à l’issue d’une rencontre avec son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko« [Vladimir] Poutine avait également déclaré qu’il allait modifier les avions d’attaque biélorusses pour qu’ils soient capables d’emporter des armes nucléaires tactiques », rappelle Stéphane Audrand.

Le stationnement d’armes nucléaires en Biélorussie n’est heureusement pas forcément synonyme d’une utilisation prochaine. « Les hypothèses d’emploi des armements nucléaires restent très improbables, et leur déploiement ne change en fait pas grand-chose à la situation mondiale », estime le spécialiste en armements. En revanche, la livraison de ces armes est le signe d’une alliance renforcée entre Minsk et Moscou. « Le partage d’armes nucléaires est la plus grande preuve de confiance qui puisse exister entre deux pays, fait remarquer Stéphane Audrand. Moscou restera le seul propriétaire et décideur de l’emploi de ces armes », souligne-t-il cependant.

Pour l’Ukraine, la présence d’armes nucléaires russes en Biélorussie est une preuve que « le Kremlin a pris [le pays] comme otage nucléaire », a écrit sur Twitter le 26 mars le secrétaire du Conseil de sécurité ukrainien Oleksiï Danilov, ajoutant que cette décision constituait un « pas vers la déstabilisation interne » de la Biélorussie.

3 Que sont les munitions à uranium appauvri, dont la livraison à l’Ukraine est dénoncée par Moscou ?

Dans son intervention à la Chambre des Lords, lundi, la vice-ministre de la Défense britannique, Annabel Goldie, a précisé que le Royaume-Uni fournirait à l’Ukraine des obus à uranium appauvri. Ces munitions sont réputées comme particulièrement efficaces contre les véhicules blindés. « L’uranium appauvri est un sous-produit de l’enrichissement du combustible nucléaire utilisé pour les centrales nucléaires, explique Stéphane Audrand. C’est un métal extrêmement dense, avec lequel on produit des pénétrateurs pour les obus contre les chars. »

« L’uranium appauvri est très peu radioactif, moins que l’uranium naturel que l’on trouve naturellement dans le sol », continue le spécialiste. A la manière des autres munitions conventionnelles qui dispersent des métaux lourds, « son emploi n’engendre qu’une pollution chimique, et pas radioactive », souligne encore Stéphane Audrand.

La toxicité radiologique des munitions à uranium appauvri fait cependant débat. De nombreuses études ont conclu à l’absence de preuves établissant sa nocivité, mais ces résultats restent contestés. Les d’obus à uranium appauvri génèrent en effet, quand ils touchent leur cible, de la poussière d’uranium ainsi que des fragments de métal. Selon les études auxquelles l’Agence internationale de l’énergie atomique a été associée, « le risque radiologique auquel étaient exposés les populations et l’environnement n’était cependant pas important dans les cas où la présence d’uranium appauvri avait provoqué une contamination localisée de l’environnement sous forme de petites particules libérées au moment de l’impact. »

En revanche, avertissent les Nations Unies, « lorsque des fragments de munitions à uranium appauvri ou des munitions complètes de ce type sont découverts, les personnes qui entrent en contact direct avec ces objets pourraient subir les effets des rayonnements ». « Les munitions contenant de l’uranium appauvri ne sont pas absolument pas considérées comme des armes nucléaires », tient toutefois à souligner le spécialiste. Pour Stéphane Audrand, justifier le déploiement d’armes nucléaires par la livraison de munitions à uranium appauvri comme le fait Moscou, relève de la « propagande ». « Ces armes n’ont rien de commun ou d’équivalent », insiste-t-il.