Il faut l’admettre : Dmitri Medvedev est un homme créatif. Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’ancien président russe multiplie les déclarations choc sur l’actualité internationale, ce qui lui vaut l’attention des médias du monde entier. Peut-être parce que son style sied peu à un ancien locataire du Kremlin. Comme lorsqu’il compare le mandat d’arrêt international lancé contre Vladimir Poutine à du « papier toilette ». Ou lorsqu’il qualifie les dirigeants du G7 d’« idiots », ironise sur un « quatrième Reich » des pays occidentaux, menace de lâcher une bombe nucléaire sur Londres ou encore de frapper la Cour pénale internationale avec un missile hypersonique. Quant à la Pologne, il la considère comme un « chien maléfique » prêt à « avaler les restes » de l’Ukraine.
Ses menaces sont d’ailleurs le plus souvent dirigées contre les « drogués nazis fous » et les « cafards » au pouvoir en Ukraine, un « régime nazi » à pourfendre. L’ancien locataire du Kremlin agrémente parfois sa logorrhée d’images, comme lorsqu’il publie sur Telegram un montage* présentant Volodymyr Zelensky sous les traits d’Adolf Hitler. A l’occasion, Dmitri Medvedev verse également dans le vocabulaire mystique. « Le but est d’arrêter le souverain suprême de l’enfer, quel que soit le nom qu’il utilise – Satan, Lucifer ou Iblis », lançait-il à l’automne, quand la thématique de la « désatanisation » de l’Ukraine était en vogue.
Avant le début de la guerre, il accusait déjà les dirigeants ukrainiens d’être « des gens faibles qui ne cherchent qu’à se remplir les poches », dans le journal Kommersant*. Peu après le début de l’invasion, il s’est offert un nouveau terrain de jeu en créant sa chaîne Telegram. Plus d’un million de personnes sont désormais abonnées aux publications de « Dimon », qui s’est progressivement imposé comme l’un « des politiciens les plus grossiers et radicaux de Russie », selon les mots* du journaliste indépendant Ivan Davydov, début novembre. Cinq mois plus tôt, l’intéressé avait justifié* ses coups de sang vulgaires adressés au pouvoir de Kiev.
« La réponse, c’est que je les déteste. Ce sont des salauds et des dégénérés. Ils veulent la mort de la Russie. Tant que je vivrai, je ferai tout pour les faire disparaître. »
Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe
sur Telegram
Dmitri Medvedev n’a pas toujours eu les ailes d’un faucon. Au contraire, il a longtemps été considéré comme une figure politique modérée, par opposition à la ligne dure des siloviki de l’armée ou des services de sécurité.
Héritier d’un courant libéral qui a fait long feu
Champion universitaire d’haltérophilie, passionné de photographie, cet ancien professeur de droit et juriste a rencontré Vladimir Poutine dans les années 1990, dans l’entourage d’Anatoli Sobtchak, maire de Leningrad (redevenue quelques mois plus tard Saint-Pétersbourg). Dmitri Medvedev devient directeur de campagne du futur chef d’Etat lors de la présidentielle de 2000, puis son directeur de cabinet. A cette époque, il rejoint également le conseil de surveillance de la puissante compagnie Gazprom.
« Sa rhétorique, depuis le début de la guerre en Ukraine, surprend par sa violence, car elle est à l’opposé du personnage qui rencontrait Bill Gates et était bien vu par les élites occidentales. »
Olga Gille-Belova, maîtresse de conférences en civilisation russe contemporaine à l’université de Bordeaux
à franceinfo
En 2008, Vladimir Poutine doit passer la main après deux mandats successifs à la tête de la Russie. Dmitri Medvedev prend la relève, sans grande marge de manœuvre. « Il porte l’héritage d’un courant libéral économique en perte de vitesse, mais qui existe encore », souligne Olga Gille-Belova, maîtresse de conférence en civilisation russe contemporaine à l’université de Bordeaux. Le président russe veut alors « réinitialiser » les relations avec les Etats-Unis de Barack Obama et vante les vertus d’une « modernisation », fondée sur l’innovation technologique. « Il tente aussi de proposer quelques mesures de libéralisation politique, et les grandes manifestations de 2011 et 2012 lui sont d’ailleurs reprochées, comme un effet indésirable de son discours. »
A cette époque, Dmitri Medvedev adule son iPhone offert par Bill Gates, visite les locaux de Twitter et confie son amour de jeunesse pour les groupes Led Zeppelin et Black Sabbath. Mais la modernisation russe reste en grande partie autoritaire, décidée par les élites. « Une blague circulait alors : Medvedev s’installe dans une belle voiture, très heureux, puis finit par demander où se trouve le volant. On lui répond qu’elle est entre des mains fiables », raconte la chercheuse Cécile Vaissié, professeure à l’université de Rennes. Après le retour de Vladimir Poutine au Kremlin, Dmitri Medvedev est nommé chef du gouvernement, et retrouve un rôle d’homme de paille.
« Une caricature de ce qu’est devenue la Russie »
En 2017, la fondation de l’opposant Alexeï Navalny révèle son immense patrimoine immobilier, dans une enquête sur la corruption des élites. « Il avait nié les accusations, mais avait dû faire profil bas après ces révélations », qui avaient provoqué des manifestations dans plusieurs villes du pays. On y brandissait un petit canard, en référence à la mare installée dans l’une de ses demeures cossues. « Ces années-là, il a perdu ce qui lui restait de crédibilité », analyse Cécile Vaissié. Beaucoup de photos* et de vidéos circulaient en ligne pour le ridiculiser. » Pour ne rien arranger, il a été surpris plusieurs fois en train de dormir, lors de cérémonies et d’allocutions officielles.
Trois ans plus tard, Dmitri Medvedev quitte la Maison Blanche de Moscou, résidence du Premier ministre et siège du gouvernement russe. « Certains ont interprété sa démission comme la fin de sa vie politique, et il semblait ne plus avoir aucun poids », relève Olga Gille-Belova.
Toujours à la tête du parti Russie unie, Dmitri Medvedev prend alors la vice-présidence du Conseil de sécurité, un poste créé pour lui. Son périmètre est plutôt flou, d’autant que le secrétaire Nikolai Patrouchev tient fermement les rênes du conseil consultatif. « Il est très difficile de connaître le rôle politique de Dmitri Medvedev aujourd’hui, poursuit la chercheuse, mais il est toujours présent dans l’entourage de Vladimir Poutine. »
En témoigne sa nomination à la tête d’une commission militaro-industrielle, fin décembre. Dmitri Medvedev a pour mission de doper la production d’armements. Ce qu’il prend très à cœur. Fin mars, en réunion, il se lance dans la lecture d’un télégramme rédigé par… Joseph Staline*. En 1941, le dictateur menaçait le directeur d’une usine afin qu’il fournisse assez de pièces pour les chars, promettant de « l’écraser comme un criminel » en cas d’échec.
Dmitri Medvedev demande à l’assistance « de se souvenir des paroles du généralissime » et de s’en inspirer. Ambiance autour de la table… « Pendant sa jeunesse, à l’époque de la Perestroïka, je ne pense pas qu’il avait imaginé citer Staline dans un contexte officiel », résume Cécile Vaissié. « C’est presque une caricature de ce qu’est devenue la Russie. »
Un personnage « isolé »
« C’est un personnage très controversé, qui n’a pas de pouvoir ou d’autonomie propre », explique Olga Gille-Belova. « La radicalisation de son discours permet d’effrayer l’opinion publique occidentale, mais elle est également destinée au public russe, y compris aux élites conservatrices militaires. » Cette communication pour le moins agressive lui permet également de sortir de l’oubli. « Sa popularité a augmenté avec cette rhétorique virulente, pourtant éloignée de son registre habituel. » Mi-avril, près de 39% des Russes interrogés lui faisaient confiance, selon une enquête de l’institut VTsIOM*, contre 25% au début de la guerre.
« Il reste une forme de bras droit ou d’ombre de Vladimir Poutine. »
Olga Gille-Belova, maîtresse de conférences en civilisation russe contemporaine à l’université de Bordeaux
à franceinfo
« Transformer la popularité en influence n’est pas facile en temps de paix, et ça l’est encore moins en temps de guerre », nuance toutefois Alexandra Prokopenko (en anglais), chercheuse au département russe de la Fondation Carnegie pour la paix internationale. « Dmitri Medvedev est isolé et n’a plus aucun soutien », ajoute Cécile Vaissié. Il a déçu l’intelligentsia et les soutiens d’un Etat nationaliste sont déjà acquis à Vladimir Poutine. Il ne lui reste plus qu’à réciter son petit rôle politique. « C’est sa ‘krysha’ (« toit »), sa protection », analyse le politologue Mark Galeotti dans l’hebdomadaire britannique The Spectator (en anglais), reprenant un terme criminel « utilisé en politique et dans les affaires ».
Conscient qu’il joue son avenir en parallèle de la guerre en Ukraine, Dmitri Medvedev s’est dit* « prêt à aider (son) pays là où il sera utile ». Il l’a prouvé, en décembre dernier, en rencontrant le président chinois, Xi Jinping, à Pékin. En attendant, il dispose encore de beaucoup de temps libre, qu’il met à profit pour commenter l’actualité internationale. Tout récemment, il a notamment soutenu l’indépendance du Texas*, encouragé le piratage de Netflix*, prédit la fin de l’euro*, considéré Elon Musk comme le futur visage des Etats-Unis* et appelé* à « détruire impitoyablement » une hypothétique mission des casques bleus en Ukraine. Tout un programme.