Guerre en Ukraine : Dmtry Utkin , le tortionnaire de Wagner

Guerre en Ukraine : Dmtry Utkin , le tortionnaire de Wagner

19 mai 2023 Non Par LA RÉDACTION

C’est un homme discret dont on parle peu, mais qui joue un rôle clé dans la guerre en Ukraine, à la tête du groupe Wagner. Dmitry Utkin s’est formé à la barbarie en s’inspirant notamment des méthodes de Daech.
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Dmitry Utkin, alias Wagner, l’un des fondateurs de la société militaire privée d’Evgueni Prigojine. (CAPTURE D'ÉCRAN TWITTER)

Il porte deux tatouages situés à la base de son cou. Deux tatouages qui, à eux seuls, contredisent le discours de Vladimir Poutine sur la supposée nazification de l’Ukraine. Ces tatouages (le symbole de la SS mais aussi un aigle et une croix gammée) disent tout de la personnalité de Dmitry Utkin. L’homme qui est aussi surnommé Wagner ou « le neuvième », et qui porte le matricule M-0209, aurait soufflé le nom du compositeur préféré d’Adolf Hitler à Evgueni Prigojine pour baptiser sa société militaire privée. Ce géant chauve russe, qui n’est pas sans rappeler le bourreau Kurtz du film de Francis Ford Coppola Apocalypse Now, assume sa filiation avec le IIIe Reich et sa fascination pour la violence extrême. Selon le journaliste Romain Gubert, auteur d’un hors-série sur la Russie, l’ancien président russe Dmitri Medvedev dit de lui qu’il est le « diable incarné ».

Un homme « invisible »

Un « diable » qui, à l’instar de Vladimir Poutine et de nombreux officiers ou hauts gradés, est visé par les sanctions de l’Union européenne. Lui sont reprochés de « graves atteintes aux droits de l’Homme, des exécutions et assassinats extrajudiciaires sommaires ou arbitraires » ainsi que des « actes de torture ». Mais si les faits visés sont très graves, celui qui en est responsable est cependant difficile à identifier sur le terrain. « Il existe très peu de photos de lui, relève Alexandra Jousset, co-autrice d’un documentaire sur Wagner produit par l’agence Capa. Il voyage toujours dans les avions russes, mais on a du mal à savoir où ils sont. On nous a envoyé une pseudo-photo de lui à l’inauguration d’une statue à Bangui [en novembre 2021, NDLR]. Mais il est presque impossible d’être certain que ce soit lui. Il a toujours le visage un peu caché, une casquette. C’est un personnage assez énigmatique. »

L’apprentissage syrien

Âgé de 53 ans, le lieutenant-colonel de réserve Utkin est né dans l’Oural. Après un passage dans les services secrets militaires russes (GRU), il s’est trouvé en conflit avec la direction générale du renseignement militaire. Il rejoint la milice « Slavonic Corps » (en français, le corps slave). À cette époque, en Russie, il risque jusqu’à huit ans de prison pour mercenariat, profession interdite par la loi. Les mercenaires sont en effet mal vus par le Kremlin, sauf lorsqu’ils servent l’intérêt de l’État dans un pays ami. Et c’est ce qu’il se passe en 2014. Bachar al-Assad demande à la milice de Dmitry Utkin d’assurer la sécurité de ses puits de pétrole. C’est ainsi qu’il va se former aux méthodes les plus cruelles. Car il va bientôt combattre aux côtés de l’armée syrienne. Soldats et miliciens russes assiègent les villes, torturent et affament les populations, pillent, détruisent, et violent. Kamal Redouani, auteur chez Arthaud de Inside Daech et des Nouveaux chiens de guerre, se souvient que « le groupe d’Utkin a pendu et brûlé un homme, un déserteur syrien. Ils ont découpé son corps et l’ont démembré. Je ne sais pas comment un être humain peut faire ça ». Selon le registre des gels des avoirs publié par Bercy« quatre membres du groupe Wagner » étaient impliqués dans cet assassinat commis en juin 2017 dans le gouvernorat de Homs, en Syrie. D’après un ancien membre du groupe Wagner cité dans ce même document, « Dmitry Utkin a personnellement ordonné que le déserteur soit torturé à mort et que l’acte soit filmé ».

Outre son implication dans des crimes de guerre, Dmitry Utkin va se convertir à une autre technique de propagande théorisée par Daech : le tournage et la diffusion de vidéos d’assassinats. « Plus ils publient de vidéos ultraviolentes à travers les réseaux, notamment sur des chaînes Telegram, et plus ils se rendent compte que leur aura grandit, explique encore Alexandra Jousset. Ils réalisent que les gens connaissent leurs noms, qu’ils sont devenus une marque, qu’on fait des sujets sur eux, et que des journalistes comme vous et moi s’intéressent à eux. » La Syrie a servi, de fait, de laboratoire à Dmitry Utkin pour développer les méthodes de terreur par l’image, qu’il emploiera ensuite en Ukraine.

La fusion avec Wagner

De retour de Syrie, le chef de guerre en devenir est envoyé dans le Donbass à la tête de 300 hommes pour épauler le soulèvement séparatiste prorusse. Il y sera présent en mars 2014, au moment où la Crimée est annexée. Le conflit dans le Donbass est le terreau de milices privées. Dmitry Utkin aurait alors rejoint comme commandant l’armée privée d’Evgueni Prigojine. C’est donc sous sa bannière qu’il retourne en Syrie en mars 2016, afin d’aider les forces syriennes et russes à reprendre la ville de Palmyre à Daech. Une fois cette mission accomplie, en décembre 2016, il se verra décerner une récompense (l’Ordre du courage) des mains de Vladimir Poutine. Cette cérémonie donne lieu à l’une des rares photos de lui qui soit aujourd’hui publique. On le voit dépasser d’une tête son supérieur, le Colonel Troshev, qui commandait les hommes de Wagner en Syrie.

 

De gauche à droite : Andrey Bogatov, Andrei Troshev, Vladimir Poutine, Aleksandr Kuznetsov et Dmitry Utkin (les 4 commandants de Wagner), Kremlin 2016. (CAPTURE D'ÉCRAN VK)

 

Il supervisera ensuite les opérations de Wagner en Ukraine. Son nom sera cité une nouvelle fois, sans que son implication ne soit clairement établie, lorsqu’une vidéo insoutenable est diffusée sur internet mi-novembre 2022. Un ancien combattant de Wagner fait prisonnier par les troupes ukrainiennes a été repris par ses ex-camarades qui le considèrent alors comme un « traître ». On voit sa tête scotchée contre un mur, écrasée à coups de masse.

Peu après, le 23 novembre 2022, le Parlement européen vote pour classer la Russie « État promoteur du terrorisme » et invite le Conseil des 27 à ajouter le groupe Wagner à la liste des organisations terroristes. En réaction à ces sanctions, une nouvelle vidéo sera postée sur un groupe Telegram pro-Kremlin. Dans une mise en scène macabre, un homme costumé exhibe une masse frappée du sceau de Wagner, dont le manche est taché de rouge. La référence à la première vidéo semble évidente. Le Parlement de Strasbourg démentira avoir reçu l’objet, mais nombreux sont les médias dans le monde à s’en être fait l’écho.

La masse ensanglantée "à envoyer au Parlement européen" par le groupe Wagner. (CAPTURE D'ÉCRAN TWITTER)

Peu après cet épisode, la trace de Dmitry Utkin se perdra. « Uktin est apparemment toujours en Ukraine, estime pour sa part Marc Nexon, auteur du livre Le dernier des soviétiques (Éd. Grasset). Un déserteur, ancien combattant de Wagner, Andreï Medvedev, qui a fui en Norvège, affirme qu’il devait lui rendre des comptes lorsqu’il était en Ukraine en 2022. Il serait donc toujours dans les parages. » Mais où précisément ? En Occident, personne ne le sait.

C’est un homme discret dont on parle peu, mais qui joue un rôle clé dans la guerre en Ukraine, à la tête du groupe Wagner. Dmitry Utkin s’est formé à la barbarie en s’inspirant notamment des méthodes de Daech.
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Dmitry Utkin, alias Wagner, l’un des fondateurs de la société militaire privée d’Evgueni Prigojine. (CAPTURE D'ÉCRAN TWITTER)

Il porte deux tatouages situés à la base de son cou. Deux tatouages qui, à eux seuls, contredisent le discours de Vladimir Poutine sur la supposée nazification de l’Ukraine. Ces tatouages (le symbole de la SS mais aussi un aigle et une croix gammée) disent tout de la personnalité de Dmitry Utkin. L’homme qui est aussi surnommé Wagner ou « le neuvième », et qui porte le matricule M-0209, aurait soufflé le nom du compositeur préféré d’Adolf Hitler à Evgueni Prigojine pour baptiser sa société militaire privée. Ce géant chauve russe, qui n’est pas sans rappeler le bourreau Kurtz du film de Francis Ford Coppola Apocalypse Now, assume sa filiation avec le IIIe Reich et sa fascination pour la violence extrême. Selon le journaliste Romain Gubert, auteur d’un hors-série sur la Russie, l’ancien président russe Dmitri Medvedev dit de lui qu’il est le « diable incarné ».

Un homme « invisible »

Un « diable » qui, à l’instar de Vladimir Poutine et de nombreux officiers ou hauts gradés, est visé par les sanctions de l’Union européenne. Lui sont reprochés de « graves atteintes aux droits de l’Homme, des exécutions et assassinats extrajudiciaires sommaires ou arbitraires » ainsi que des « actes de torture ». Mais si les faits visés sont très graves, celui qui en est responsable est cependant difficile à identifier sur le terrain. « Il existe très peu de photos de lui, relève Alexandra Jousset, co-autrice d’un documentaire sur Wagner produit par l’agence Capa. Il voyage toujours dans les avions russes, mais on a du mal à savoir où ils sont. On nous a envoyé une pseudo-photo de lui à l’inauguration d’une statue à Bangui [en novembre 2021, NDLR]. Mais il est presque impossible d’être certain que ce soit lui. Il a toujours le visage un peu caché, une casquette. C’est un personnage assez énigmatique. »

L’apprentissage syrien

Âgé de 53 ans, le lieutenant-colonel de réserve Utkin est né dans l’Oural. Après un passage dans les services secrets militaires russes (GRU), il s’est trouvé en conflit avec la direction générale du renseignement militaire. Il rejoint la milice « Slavonic Corps » (en français, le corps slave). À cette époque, en Russie, il risque jusqu’à huit ans de prison pour mercenariat, profession interdite par la loi. Les mercenaires sont en effet mal vus par le Kremlin, sauf lorsqu’ils servent l’intérêt de l’État dans un pays ami. Et c’est ce qu’il se passe en 2014. Bachar al-Assad demande à la milice de Dmitry Utkin d’assurer la sécurité de ses puits de pétrole. C’est ainsi qu’il va se former aux méthodes les plus cruelles. Car il va bientôt combattre aux côtés de l’armée syrienne. Soldats et miliciens russes assiègent les villes, torturent et affament les populations, pillent, détruisent, et violent. Kamal Redouani, auteur chez Arthaud de Inside Daech et des Nouveaux chiens de guerre, se souvient que « le groupe d’Utkin a pendu et brûlé un homme, un déserteur syrien. Ils ont découpé son corps et l’ont démembré. Je ne sais pas comment un être humain peut faire ça ». Selon le registre des gels des avoirs publié par Bercy« quatre membres du groupe Wagner » étaient impliqués dans cet assassinat commis en juin 2017 dans le gouvernorat de Homs, en Syrie. D’après un ancien membre du groupe Wagner cité dans ce même document, « Dmitry Utkin a personnellement ordonné que le déserteur soit torturé à mort et que l’acte soit filmé ».

Outre son implication dans des crimes de guerre, Dmitry Utkin va se convertir à une autre technique de propagande théorisée par Daech : le tournage et la diffusion de vidéos d’assassinats. « Plus ils publient de vidéos ultraviolentes à travers les réseaux, notamment sur des chaînes Telegram, et plus ils se rendent compte que leur aura grandit, explique encore Alexandra Jousset. Ils réalisent que les gens connaissent leurs noms, qu’ils sont devenus une marque, qu’on fait des sujets sur eux, et que des journalistes comme vous et moi s’intéressent à eux. » La Syrie a servi, de fait, de laboratoire à Dmitry Utkin pour développer les méthodes de terreur par l’image, qu’il emploiera ensuite en Ukraine.

La fusion avec Wagner

De retour de Syrie, le chef de guerre en devenir est envoyé dans le Donbass à la tête de 300 hommes pour épauler le soulèvement séparatiste prorusse. Il y sera présent en mars 2014, au moment où la Crimée est annexée. Le conflit dans le Donbass est le terreau de milices privées. Dmitry Utkin aurait alors rejoint comme commandant l’armée privée d’Evgueni Prigojine. C’est donc sous sa bannière qu’il retourne en Syrie en mars 2016, afin d’aider les forces syriennes et russes à reprendre la ville de Palmyre à Daech. Une fois cette mission accomplie, en décembre 2016, il se verra décerner une récompense (l’Ordre du courage) des mains de Vladimir Poutine. Cette cérémonie donne lieu à l’une des rares photos de lui qui soit aujourd’hui publique. On le voit dépasser d’une tête son supérieur, le Colonel Troshev, qui commandait les hommes de Wagner en Syrie.

 

De gauche à droite : Andrey Bogatov, Andrei Troshev, Vladimir Poutine, Aleksandr Kuznetsov et Dmitry Utkin (les 4 commandants de Wagner), Kremlin 2016. (CAPTURE D'ÉCRAN VK)

 

Il supervisera ensuite les opérations de Wagner en Ukraine. Son nom sera cité une nouvelle fois, sans que son implication ne soit clairement établie, lorsqu’une vidéo insoutenable est diffusée sur internet mi-novembre 2022. Un ancien combattant de Wagner fait prisonnier par les troupes ukrainiennes a été repris par ses ex-camarades qui le considèrent alors comme un « traître ». On voit sa tête scotchée contre un mur, écrasée à coups de masse.

Peu après, le 23 novembre 2022, le Parlement européen vote pour classer la Russie « État promoteur du terrorisme » et invite le Conseil des 27 à ajouter le groupe Wagner à la liste des organisations terroristes. En réaction à ces sanctions, une nouvelle vidéo sera postée sur un groupe Telegram pro-Kremlin. Dans une mise en scène macabre, un homme costumé exhibe une masse frappée du sceau de Wagner, dont le manche est taché de rouge. La référence à la première vidéo semble évidente. Le Parlement de Strasbourg démentira avoir reçu l’objet, mais nombreux sont les médias dans le monde à s’en être fait l’écho.

La masse ensanglantée "à envoyer au Parlement européen" par le groupe Wagner. (CAPTURE D'ÉCRAN TWITTER)

Peu après cet épisode, la trace de Dmitry Utkin se perdra. « Uktin est apparemment toujours en Ukraine, estime pour sa part Marc Nexon, auteur du livre Le dernier des soviétiques (Éd. Grasset). Un déserteur, ancien combattant de Wagner, Andreï Medvedev, qui a fui en Norvège, affirme qu’il devait lui rendre des comptes lorsqu’il était en Ukraine en 2022. Il serait donc toujours dans les parages. » Mais où précisément ? En Occident, personne ne le sait.