Visée par de lourdes sanctions économiques occidentales et des embargos sur ses hydrocarbures en raison de son offensive contre l’Ukraine, la Russie ne recule devant rien pour faire sortir son or noir. C’est un commerce de l’ombre. Pas vraiment illicite, mais tout est fait pour que ces échanges passent sous les radars. Les navires qui s’y prêtent n’hésitent pas à éteindre leurs transpondeurs pour charger discrètement la marchandise. Il s’agit parfois d’échanges entre deux navires, au large des côtés ou au fond de baies isolées.
Les tankers concernés battent pavillon de pays n’appliquant pas de sanctions contre la Russie, comme le Vietnam par exemple. Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime, identifie parfaitement les destinataires potentiels : « On a deux grands acheteurs, l’Inde et la Chine, malgré des routes maritimes qui sont quand même très longues, remarque l’expert. Normalement, pétrole et charbon [russes] vont en Europe, mais là ils se retrouvent à faire pratiquement un demi-tour du monde. »
Le vice-Premier ministre russe en charge de l’Énergie, Alexandre Novak, précise même que les livraisons à l’Inde ont été multipliées par 22 l’an dernier. « On peut imaginer aussi d’autres pays qui n’ont pas forcément de problème avec la Russie et qui peuvent trouver opportun d’acheter leur pétrole », ajoute Paul Tourret. Le Sri Lanka et le Pakistan en sont des destinataires.
Un commerce de l’ombre qui inquiète les voisins de la Russie
Les navires qui se livrent à ce « dark shipping » (commerce de l’ombre) sont identifiés depuis longtemps par les experts du commerce maritime. Ils aidaient déjà le Venezuela et l’Iran à exporter leurs stocks. Ils se sont maintenant réorientés vers la mer Baltique et la Russie. Ils sont reconnaissables par leur niveau d’assurance largement insuffisant. Ils représentaient 19% du trafic dans la région avant la guerre. Aujourd’hui, c’est près de la moitié. Une activité en constante progression malgré les freins que tentent de mettre les régulateurs du commerce maritime. « Les pays occidentaux ont voulu « désassurer » [ces bateaux], les contraindre à sortir du système conventionnel d’assurance », précise Paul Tourret. Cela pour que propriétaires et armateurs assument d’éventuels dégâts en cas d’accident.
Car il s’agit, la plupart du temps, de bateaux anciens, mal entretenus avec des équipages peu formés à la navigation dans les eaux glacées de la Baltique. Une situation qui inquiète les pays voisins. La Finlande notamment qui à force de voir passer ces navires au large de ses côtes multiplie ces derniers temps les exercices anti marée noire.