Ghana, Guinée : concilier business et environnement, l’autre défi du secteur minier
13 novembre 2021
(Agence Ecofin) – Au cours des derniers mois, au Ghana, le gouvernement a intensifié la lutte contre les mineurs artisanaux illégaux, accusés notamment de polluer les sols et les plans d’eau par leurs méthodes de production d’or. Si cette décision peut témoigner de l’importance accordée à la préservation de l’environnement, les autorités du continent semblent souvent plus promptes à s’attaquer aux petits pollueurs qu’aux grandes compagnies cotées en bourse qui, bien souvent, menacent autant, sinon davantage, l’écosystème des régions où elles opèrent.
L’exploitation minière occupe une place centrale dans l’économie de plusieurs pays africains. Au Ghana par exemple, le secteur représentait environ 9% du PIB en 2019 et constitue le premier contributeur fiscal avec des recettes qui ont atteint 4,17 milliards de cedis l’an passé (680 millions $). De plus, les politiques publiques mises en place depuis quelques années dans les principaux pays disposant de ressources minières tendent à accorder une place de plus en plus importante au secteur minier dans la marche vers le développement. C’est le cas en RDC avec ses gisements de cuivre, de cobalt et de lithium, mais aussi au Zimbabwe avec le platine, l’or et les diamants, ou encore en Algérie et en Guinée avec le fer. Dans ce contexte, il est délicat pour les gouvernants de prendre des mesures qui auront pour effet de ralentir cet élan ou pire, de bloquer le développement de projets capables de rapporter chacun des centaines de millions de dollars. Le double discours d’Accra à propos des conséquences de l’activité minière sur l’environnement illustre bien ce dilemme.
Alors que le gouvernement a lancé l’armée aux trousses des mineurs illégaux qui utilisent, il est vrai, des produits toxiques comme le mercure ou le cyanure pour traiter l’or, Accra se mobilise dans le même temps pour le développement d’un projet minier dans la forêt d’Atewa, classée pourtant réserve forestière depuis 1926. Des travaux de déboisement ont été lancés dans la réserve en 2019, afin d’ouvrir la voie aux machines de forage. L’opération intervenait quelques mois après la conclusion d’un accord de 2 milliards $ pour extraire les importantes réserves de bauxite d’Atewa, et avant les études d’impacts environnementaux et sociaux du projet.
Alors que la forêt fournit de l’eau à 5 millions de personnes, cette action a suscité les réactions de plusieurs écologistes, avec notamment l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui a appelé le gouvernement à suspendre définitivement l’exploitation minière à Atewa. Depuis, il existe peu d’informations sur la suite que le gouvernement entend donner à ce dossier, mais il semble peu probable de le voir reculer, compte tenu de l’importance de ces gisements dans la stratégie qu’il essaye de mettre en place avec la production de la bauxite et sa transformation locale en aluminium.
En Guinée, de l’or dans une aire protégée
Un autre cas de conflit évident entre les lois nationales et les actes des gouvernants est observé depuis quelques mois en Guinée. Il concerne la junior minière Predictive Discovery, active sur le projet aurifère Bankan. La société australienne, qui y possède plusieurs permis d’exploration (Kaninko, Saman, Bokoro et Argo), a annoncé le 30 septembre dernier une première estimation de ressources minérales. Bankan hébergerait 72,8 millions de tonnes de ressources minérales inférées titrant 1,56 g/t d’or, soit 3,65 millions d’onces d’or. Vu l’excellent cours actuel de l’or, une découverte aussi importante devrait donner rapidement lieu à des études sur les coûts et les revenus qui seront liés à l’exploitation de cette ressource.
Mais quelques semaines plus tard, Mongabay, une organisation œuvrant pour la préservation des forêts tropicales à travers le monde, a sonné l’alerte à travers la publication d’une enquête sur le projet. Elle y dénonce la construction prochaine d’une « mine d’or illégale » qui menacera alors la survie d’une espèce animale déjà en danger d’extinction, celle du chimpanzé verus ou chimpanzé d’Afrique occidentale en l’occurrence. Le projet Bankan se situe en effet dans l’une des zones tampons du Parc national du Haut Niger en Guinée, à 20 km environ de la zone centrale de conservation, abritant les animaux en question et d’autres espèces, ainsi qu’une flore diversifiée.
Le chimpanzé verus, une espèce en danger d’extinction.
Si l’activité de Predictive Discovery se déroule en dehors de la zone de conservation, elle n’en demeure pas moins contestable puisqu’il s’agit malgré tout d’une « aire protégée où l’exploitation des gisements miniers n’est pas autorisée », selon les déclarations de Predictive Discovery elle-même. La société a néanmoins ajouté, dans un communiqué diffusé peu après la publication de l’enquête de l’Ong Mongabay, que l’exploration aurifère dans cette zone tampon se fait avec l’accord des autorités, aussi bien celles du ministère des Mines, que celles du ministère de l’Environnement, contredisant donc les déclarations faites à Mongabay par Sangban Kourouma, directeur préfectoral de l’Environnement à Kouroussa, région abritant le projet. « Le ministère de l’Environnement n’était pas au courant de la licence délivrée par le ministère des Mines à Mamou Resources [filiale locale de Predictive, ndlr], ce qui a créé un problème entre les deux [ministères] », a-t-il indiqué.
Peu importe, de toute façon, puisque désormais, Predictive Discovery affirme disposer du « soutien de tous les ministères concernés, y compris le ministère de l’Environnement ». Il faut reconnaitre que la tentation est grande quand on sait qu’au prix actuel du métal jaune, l’or de Bankan représente une manne financière potentielle de plus de 6,5 milliards de dollars.
Il faut reconnaitre que la tentation est grande quand on sait qu’au prix actuel du métal jaune, l’or de Bankan représente une manne financière potentielle de plus de 6,5 milliards de dollars.
Ce chiffre a même suffi à entrainer une hausse de 33% de l’action de Predictive Discovery, après l’annonce de l’estimation de ressources minérales sur son actif guinéen.
Quels moyens de pression pour les populations ?
Les cas suscités de développements de projets miniers au détriment de la préservation de l’environnement, listés plus haut, ne sont que quelques exemples d’un phénomène qui n’est pas caractéristique du secteur minier africain, mais qu’on peut retrouver dans d’autres régions du monde. L’année dernière, Rio Tinto a ainsi provoqué un scandale en faisant exploser à la dynamite la grotte historique de Juukan Gorge en Australie, afin d’agrandir une mine de fer. Il s’agissait pourtant d’un site vieux de 46 000 ans et considéré comme sacré pour des peuples aborigènes du pays.
La destruction du site de Juukan Gorge a suscité une vive émotion en Australie.
Même pour les cas où la construction d’une mine ne remet pas en question l’existence d’une réserve protégée ou ne met pas les populations en danger, les négligences de certaines compagnies minières durant la phase d’exploitation aboutissent plus tard à des catastrophes, comme l’a démontré en 2019 la rupture du barrage de Brumadinho, au Brésil. Le géant minier Vale a omis de signaler des anomalies sur l’installation, provoquant la mort de plus de 270 personnes, selon les autorités.
Face à ces diverses menaces, les marges de manœuvre sont assez restreintes pour les populations affectées. Les organisations internationales peuvent certes constituer un relais pour les plaintes locales, mais elles ne disposent, en dehors d’exhortations, d’aucun véritable moyen de pression sur les compagnies qui bénéficient généralement du soutien des gouvernants. Dans ces situations où les communautés, affectées par les destructions irréversibles que l’exploitation minière risque de causer à leur cadre de vie, ne peuvent plus compter sur l’Etat pour les protéger, elles doivent prendre le taureau par les cornes et tenter d’empêcher les compagnies d’arriver à leurs fins. Cela se traduit ainsi par des manifestations de protestations répétées sur les sites des projets. Même si les autorités réussissent à contenir ces manifestations, elles retardent le calendrier de développement des projets.
A Madagascar, par exemple, les protestations et sorties des organisations de la société civile ont poussé le gouvernement à suspendre en 2019 le développement du projet de sables minéraux Toliara, dont le développement serait, à en croire les détracteurs, à l’origine de problèmes comme des litiges fonciers ou des impacts sociaux et environnementaux.
Pour éviter ces retards, qui dans les cas extrêmes se transforment quasiment en blocage du calendrier de développement, de plus en plus de compagnies minières essaient de coopérer avec les populations locales afin d’obtenir leur aval. Le concept de « permis social d’opérer » prend ainsi une place croissante dans l’industrie minière.
Emiliano Tossou