En Guinée, Canal+ coupe la diffusion d’une chaîne critique envers le pouvoir militaire

En Guinée, Canal+ coupe la diffusion d’une chaîne critique envers le pouvoir militaire

13 décembre 2023 Non Par Doura

 

La coupure du signal de Djoma TV intervient dans un contexte où la censure se généralise contre la presse jugée trop critique envers la junte.

La pression s’accentue sur la presse guinéenne. Mercredi 6 décembre, le bouquet Canal+ a coupé le signal de la chaîne Djoma TV au moment de la diffusion d’On refait le monde, une émission de débats politiques parmi les plus regardées et les plus critiques envers la junte qui dirige le pays depuis 2021.

« Nous avons d’abord pensé à une panne, raconte Kalil Oularé, directeur général de Djoma Média, un groupe dirigé par Kabinet Sylla, un homme d’affaires surnommé “Bill Gates” incarcéré depuis un an pour enrichissement illicite. Nous avons ensuite découvert que le signal arrivait bien à Canal+, mais qu’ensuite il était interrompu. Le directeur de Canal+ Guinée m’a ensuite fait savoir que la Haute Autorité de la communication avait demandé à la chaîne de ne plus émettre. »

Trois jours plus tard, cette instance, considérée comme le gendarme du secteur, a publié un communiqué justifiant sa décision par « des impératifs de sécurité nationale ». Celle-ci s’appliquant « à titre conservatoire et jusqu’à nouvel ordre. »

Cette coupure, qui fait suite au brouillage, le 27 novembre, de Djoma FM, la version radio de Djoma TV, intervient dans un contexte où la censure se généralise contre la presse jugée trop critique du pouvoir. En mai, la junte, menée par le colonel Mamadi Doumbouya, a restreint ou bloqué plusieurs sites d’information et des réseaux sociaux populaires, tels que Facebook.

Brouillages de radios
Des associations de défense de la presse, représentant télévisions, radios, journaux et sites d’information privés, ont également dénoncé une descente de police dans la rédaction d’Afric Vision et la saisie de deux de ses émetteurs radio. Au mois d’octobre, alors qu’ils couvraient une manifestation pour défendre la liberté de la presse et s’opposaient au blocage du site d’information Guinée Matin, une douzaine de journalistes ont été violemment interpellés.

Un mois plus tard, ce sont les programmes de la station de radio en continu FIM FM qui ont été brouillés puis ceux d’Espace FM et d’Evasion. Selon un communiqué publié par Reporters sans frontières le 30 novembre, « les brouillages de FIM FM et de Djoma FM sont survenus quelques jours après avoir diffusé des émissions traitant du limogeage et de l’arrestation du ministre de la santé et de l’hygiène publique, Mamadou Phété Diallo, accusé entre autres de “corruption”. Les brouillages d’Espace FM et d’Evasion se sont produits après des émissions abordant les coupures de leurs consœurs ».

Dans un message sur X (ex-Twitter), Ousmane Gaoual Diallo, le porte-parole du gouvernement, a assuré que ces interdictions ne visent « en aucun cas à museler la presse, mais représentent plutôt une réponse immédiate face à des pratiques telles que l’apologie de la haine communautaire, l’accentuation des tensions sociales et politiques et la propagation de discours de division ».

« Faire taire toutes les voix dissonantes »
« Il y a clairement une volonté d’étouffer les médias, rétorque Sékou Jamal Pendessa, secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG). Tout est fait pour limiter le droit à l’information, notamment via les réseaux sociaux qui ne sont accessibles que par VPN. La situation de la presse guinéenne est encore pire qu’à l’époque où Alpha Condé dirigeait ce pays. » Pourtant, rappelle Jeanne Lagarde, chargée de plaidoyer Afrique subsaharienne à RSF, « les autorités s’étaient engagées lors d’une rencontre en octobre 2021 à protéger la liberté de la presse pendant la transition ».

Le durcissement du régime touche plusieurs secteurs. La junte, qui s’est engagée sous la pression internationale à rendre le pouvoir à des civils au terme d’une élection fin 2024, a déjà fait arrêter des dirigeants de l’opposition, comme Fodé Oussou Fofana ou Cellou Baldé, pour avoir organisé une manifestation contre le pouvoir en octobre 2022. « L’objectif des militaires est de faire taire toutes les voix dissonantes, assure un journaliste. Après le champ politique, ils s’attaquent maintenant aux syndicats et à la presse. »

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Sous pression, les médias guinéens tentent de résister. Lundi 11 décembre, le SPPG a lancé une « journée sans presse » afin de soutenir une profession « menacée d’extinction ». « Celle-ci a été moyennement suivie par les télévisions et les radios car les patrons ont privilégié le dialogue avec les autorités », estime Kalil Oularé. De son côté, le groupe Djoma Média va tenter une action en justice pour dénoncer une rupture de contrat abusive par Canal+. « A cause du décrochage de notre chaîne, les annonceurs vont disparaître. Le but de la junte est aussi de nous asphyxier financièrement », déplore-t-il. Contacté par Le Monde, le groupe Canal+ n’a pas souhaité faire de commentaire.

Le Monde