Alpha Condé vient de perdre une nouvelle bataille contre la junte de Mamadi Doumbouya qui l’a chassé il y a dix-neuf mois du palais Sékhoutouréya, siège de la présidence guinéenne qu’il occupa de 2010 à 2021. Un combat funèbre dont l’enjeu était l’organisation des obsèques de son ancienne épouse, Hadja Djéné Kaba, née en 1960 et décédée d’une maladie le 8 avril à l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine.
Contrairement aux souhaits du président déchu qui se battait pour une cérémonie « privée et familiale », celle-ci sera entourée de tous les honneurs. Une mise en scène au goût amer pour Alpha Condé. Elle est ostensiblement organisée par le pouvoir qui l’a déposé au petit matin du 5 septembre 2021. Celui qui a alors laissé diffuser dans la foulée les images peu reluisantes d’un chef d’Etat déchu en jean, chemise ouverte et tee-shirt, vautré sur un canapé, l’air hagard, avant de l’emmener en voiture dans le quartier « 100 % anti-Alpha » de Bambéto à Conakry.
« Toutes les dispositions sont prises pour rendre à Hadja Djéné les hommages aussi bien à Conakry qu’à l’accompagnement du corps à Kankan [sa ville natale dans l’est du pays] avant son enterrement, elle aura droit à tous les honneurs dus à son rang », a expliqué, jeudi 13 avril, Ousmane Gaoual Diallo, le porte-parole du gouvernement.
Alpha Condé ne sera pas là. Il ronge son frein depuis mai 2021 à Istanbul, où cet homme de 85 ans est en convalescence après deux opérations à Abu Dhabi. « Il va très bien », nous glisse l’un de ses proches. Alpha Condé souhaitait que « le cercueil de sa femme passe tout d’abord par la Turquie, pour se recueillir une dernière fois sur le corps », explique notre source. Avant que celui-ci ne prenne la direction de la Guinée, sans lui.
« Le pouvoir a réussi à récupérer la cérémonie »
« Bien évidemment, il est hors de question que le président se rende [à Conakry] », ajoute ce proche. « Alpha Condé exige le retour à l’ordre constitutionnel avant de rentrer en Guinée », explique l’un de ses anciens ministres. « Il considère que n’ayant été démis ni par la rue, ni par les urnes, mais par une poignée de militaires séditieux, le retour à l’ordre constitutionnel implique qu’il termine son mandat », ajoute cette source.
Ce troisième mandat, qui avait été fortement contesté par des manifestants, devait prendre fin en 2026. Un scénario que l’ancien président, poursuivi à Conakry pour « corruption, enrichissement illicite, blanchiment d’argent » durant sa présidence, n’est guère en mesure d’imposer face à une junte militaire qui n’entend pas rendre le pouvoir aux civils avant décembre 2024.
Le putsch a en effet conclu des mois de manifestations populaires, réprimées dans le sang, organisées initialement pour tenter de l’empêcher de modifier à sa guise la Constitution pour briguer ce nouveau mandat. Passant outre, Alpha Condé avait été réélu dès le premier tour en octobre 2020. La grogne montait encore. Jusqu’à ce que les militaires prennent les choses en main un an plus tard, à leur façon.
Mamadi Doumbouya a vu – dans le décès de l’ancienne première dame, qui avait pris ses distances avec son mari bien avant le coup d’Etat et vivait à Paris – l’occasion d’appuyer encore un peu plus sur la tête d’Alpha Condé. « Le pouvoir a réussi à récupérer la cérémonie », confie l’un de ses confidents. « Les militants du RPG [Rassemblement du peuple de Guinée, son parti politique] boycotteront la cérémonie, sauf avis contraire du président », prévient toutefois Karamo Nabé, responsable Europe du RPG.
La voix courroucée d’Alpha Condé
« Toutes ces manœuvres concourent à humilier et à défier davantage le président Alpha Condé », déplore-t-il. « La levée du corps a eu lieu hier [jeudi] à la grande mosquée de Saint-Ouen, il est en chemin vers Conakry, les autorités guinéennes ont repris la main », ajoutait Karamo Nabé, vendredi 14 avril à la mi-journée.
Conakry s’est trouvé une alliée en la personne de Gnalen Kaba, la fille aînée de l’ancienne première dame. Née d’un premier mariage, c’est elle qui était légalement en mesure d’organiser la sortie du corps du territoire français. L’union maritale entre Alpha Condé et Hadja Djéné Kaba avait semble-t-il été célébrée uniquement religieusement et non civilement. Aux yeux de l’administration française, il ne pouvait donc passer outre l’autorité de sa belle-fille, désignée « personne de confiance » par la défunte.
L’ancien président fâché avec Paris avant sa chute y voit un coup tordu de la France. Dans un enregistrement audio devenu viral sur les réseaux sociaux, on reconnaît distinctement la voix courroucée d’Alpha Condé tentant, au téléphone, de convaincre sa belle-fille.
« Ça va être un scandale (…) parce que toute l’Afrique va être au courant que l’Elysée est intervenu. Qu’est-ce que l’Elysée a à faire dans les affaires guinéennes ? La Guinée de Sékou Touré [père de l’indépendance guinéenne, président dictateur de 1958 à sa mort en 1984] qui a dit non à la France. Partout aujourd’hui, on est en train de chasser la France. Comment la Guinée, qui a dit “non”, va se retrouver dans ça. L’Elysée se mêle de l’envoi du corps. » Gnalen Kaba a fermement démenti toute ingérence de la France qui, battue froid par les juntes malienne et burkinabée, entretient des relations dépassionnées avec celle de Conakry. Contacté, l’Elysée dit n’être aucunement intervenu.
Le Monde Afrique