Editos: Les militaires ne sont pas la solution

Editos: Les militaires ne sont pas la solution

16 juin 2023 Non Par LA RÉDACTION

Par Zyad Limam – Publié en juin 2023
 

La guerre au Soudan est particulièrement tragique. Cruelle. Ce pays immense, comme sur un fil permanent, qui a connu dans sa jeune histoire 17 coups d’État, sans parler de la partition avec son sud et les multiples guerres civiles, est dévasté. Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdane Daglo, dit Hemedti, les deux généraux qui ont pris le pouvoir en 2021 pour mettre fin à la transition démocratique, s’affrontent maintenant sans merci. Évidemment, on peut chercher les enjeux stratégiques (l’or, l’eau du Nil, « la ligne politique », les calculs ethno-tribalistes, les interventions de l’extérieur…), mais in fine, c’est bien deux militaires qui luttent pour le pouvoir et ses avantages, qui envoient leurs troupes s’entretuer. Les civils trinquent, le Soudan sombre, il faudra des années pour reconstruire. Et l’espoir démocratique porté par la révolution qui avait fait tomber un autre général, le tristement célèbre Omar el- Béchir, semble s’être évaporé sous les bombes…

Dans le domaine des putschs, l’Afrique est championne du monde. Une étude menée par des chercheurs américains a dénombré plus de 200 coups d’État sur le continent depuis 1950, la moitié d’entre eux étant qualifiés de succès (c’est-à-dire ayant duré plus de sept jours…) : 45 pays sur 54 auront connu au moins une tentative depuis leur indépendance. Au «classement », l’Afrique devance son « dauphin », l’Amérique latine et ses 145 occurrences.

Le rythme semblait s’être nettement ralenti depuis la fin de la guerre froide. Pourtant, entre août 2020 et septembre 2022, outre le Soudan, l’Afrique francophone a connu cinq coups : au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso (deux en huit mois). Au Sahel, le djihadisme, ajouté à la désespérance économique et à la mal-gouvernance, aura emporté les institutions. Avec les répercussions de la pandémie de Covid-19, les impacts de la guerre en Ukraine, le rebond de la dette et de l’inflation, les tensions sociales, et des élites politiques dépassées et sans solution, d’autres États pourraient se retrouver «fragilisés ». La nouvelle donne géopolitique mondiale, l’apparition de nouveaux acteurs, comme le groupe paramilitaire Wagner, accentue les risques. Certains pourraient être tentés par la solution magique du militaire providentiel. Avec des chefs, sanglés dans l’uniforme, qui pourraient promettre monts et merveilles à une jeunesse nombreuse, en colère, en rupture, brandir les grands mots, l’impérialisme, le néocolonialisme, les traîtres, la rénovation…

La réalité, pourtant, a la vie dure. La faiblesse ou l’incurie de certains régimes ne justifie rien. Et les régimes militaires ne résolvent pas les crises. Ni celle qui a légitimé leur prise du pouvoir, ni les autres. Au Sahel, la situation sécuritaire s’est fortement dégradée. La guerre civile menace, la crise économique s’aggrave. Là ou ailleurs, d’une manière générale, le putsch se révèle une machine à perdre pour le pays. Le militaire n’est pas un politique, ni un économiste. Difficile de tenir les promesses (souvent irréalistes). Et le putsch est par nature autoritaire, les libertés publiques régressent. L’arbitraire devient la règle. On promulguera de nouvelles constitutions qui ne seront pas plus respectées que les précédentes. Et la jeunesse, qui peut avoir été un temps séduite, est aussi une jeunesse connectée, ouverte sur le monde, soucieuse de préserver ses libertés. L’impatience s’installe. Le putsch génère sa propre instabilité, il en appelle généralement un autre, favorisé par l’instabilité et les frustrations générées par le premier. Ou l’appétit d’un autre galonné. Et ainsi de suite… Bref, si les coups pouvaient régler les problèmes du continent, ça se saurait.

En Afrique, la solution reste et demeure politique. La « séparation des missions » est une nécessité. Les militaires sont des militaires. Ils portent un rôle, crucial, défendre les frontières, au service de la nation. Le pouvoir doit être forcément civil, l’expression de la modernité et de la diversité de la société. Le pouvoir doit être légitime, reconnu comme tel. Le débat doit être possible, les libertés démocratiques doivent progresser (de 10 % par an, comme le disait Béchir Ben Yahmed au président Bourguiba…). Et surtout, la bonne gouvernance est au centre de tout. Barack Obama parlait des institutions comme étant la clé du développement. Mais sans leadership, les institutions sont fragiles.

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