Un nouvel organe de propagande
En parallèle, la Russie a lancé en septembre 2023 la plateforme African Initiative, pour poursuivre les opérations de déstabilisation et de propagande portées par Wagner via « le projet Lakhta ». L’African Initiative se présente comme une agence de presse dont le but est « la construction d’un monde multipolaire juste, sans néocolonialisme », « un monde où les pays d’Afrique peuvent être véritablement indépendants de la France », développe son rédacteur en chef, Artyom S.Kureev, auprès de franceinfo. Selon le média d’investigation russe The Insider, ce dernier est membre du FSB, le service des renseignements intérieurs russes.
« Certaines sources occidentales disent que je suis un haut fonctionnaire du FSB, d’autres que je suis un officier du renseignement militaire. Je suis moi-même vraiment confus ! »
Artyom S.Kureev, rédacteur en chef d’African Initiativeà franceinfo
Artyom S.Kureev nie tout lien avec Evguéni Prigojine. « Je n’ai jamais travaillé avec lui, mais je connais beaucoup de super personnes de son équipe ! » précise-t-il, admettant avoir embauché l’ancienne attachée presse de l’organisation. En revanche, le directeur d’African Initiative, Viktor Lukovenko, est un proche de Wagner, développe Jeune Afrique. Né en 1985, Viktor Lukovenko a milité au sein de l’extrême droite russe et a passé cinq ans en prison pour un meurtre raciste. A sa libération, il a été recruté par les réseaux d’Evguéni Prigojine. A son sujet, Artyom S.Kureev insiste : « Il n’a jamais été mon patron, c’est un très bon expert de l’Afrique ! »

L’African Initiative soutient des médias locaux, organise des événements culturels et diffuse des messages sur les chaînes Telegram Afrikanistika, ou encore Smile and Wave. Selon une note du département d’Etat américain publiée en février, elle recrute aussi « dans la population africaine, des journalistes, des blogueurs et des membres du public chargés (…) de renforcer l’image de la Russie et de dénigrer celle d’autres pays. » Une affirmation démentie par Artyom S.Kureev. « Le recrutement des journalistes est absolument le même en France et en Russie. Nous recherchons des journalistes talentueux, des étudiants de dernière année à l’université », assure-t-il.
La fin du « déni plausible » pour Moscou ?
Cette nouvelle stratégie dans les pas de Wagner peut-elle réussir ? « Pour Moscou ce n’est pas risqué, car il n’y a pas vraiment de nouvelles ressources politiques ou économiques investies », analyse pour franceinfo l’historien britannique Mark Galeotti. L’Africa Corps, comme l’African Initiative, s’appuie sur des structures déjà en place. En revanche, « quoi que l’on pense d’Evguéni Prigojine, c’était un très bon négociateur qui avait réussi à monter tout un empire » capable d’étendre l’influence de la Russie. Cette puissance passait par l’exploitation des ressources naturelles des pays partenaires – or, diamants, bois – via une myriade d’entreprises contrôlées par le mercenaire. « La question est de savoir si ce business pourra continuer sans lui », reprend Mark Galeotti.

Les liens publics entre l’Africa Corps et le gouvernement russe risquent en revanche de signer la fin du « déni plausible » qui prévalait pour Wagner, reprend Filip Bryjka. « En niant tout lien avec l’organisation, le Kremlin pouvait rejeter toute responsabilité pour les exactions commises par ses membres ». Le groupe paramilitaire a notamment été accusé de violences contre les civils en Centrafrique et au Mali. « Mais je pense que la Russie continuera à brouiller les frontières pour se soustraire à ses responsabilités », déplore l’analyste. Moscou entend d’ores et déjà étendre ses partenariats. Lors de sa tournée en Afrique en juin, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov s’est rendu en Guinée, au Congo-Brazzaville et au Tchad, dernier allié de la France au Sahel.