Pour les fans de rugby, le « Crunch » est un rendez-vous immanquable. Chaque année, l’affrontement entre la France et l’Angleterre est le plus attendu lors du Tournoi des six nations, et ce des deux côtés de la Manche. Chaque match est un épisode d’une longue série qui dure depuis 1906, et qui en est déjà à 109 éditions. Mais, cette grande rivalité, dans le prolongement de siècles de querelles entre les deux voisins belliqueux, disparait une fois que le ballon n’est plus ovale.
Avant le quart de finale de la Coupe du monde 2022 entre les deux pays, samedi 10 décembre, aucune des deux sélections ne nourrit de sentiment de revanche à l’encontre de l’autre. Pas d’amertume ressassée. « On ne peut pas dire qu’il y ait une rivalité entre la France et l’Angleterre », tranche le journaliste français Bruno Constant, créateur du podcast 100% foot anglais. Un constat partagé par son confrère anglais, Nigel Adderley, commentateur sur la chaîne TalkSport, actuellement au Qatar, et par le Gallois Tom Williams, qui vient souvent parler foot anglais sur le plateau de Canal+.
Un voisin sympathique plutôt qu’un ennemi naturel
« Il y a plus d’admiration que d’amertume de la part du foot anglais à l’égard des Français », avance Adderley. « C’est vrai que ça manque un peu de piquant », regrette Williams. D’après ce dernier, le terreau est pourtant propice à développer une grande inimitié, mais « il manque l’étincelle ». Bruno Constant attend de son côté, un « marqueur historique », comme ce fut le cas entre la France et l’Allemagne en demi-finales du Mondial 1982, avec le choc entre Harald Schumacher et Patrick Battiston.
La principale raison pour laquelle on ne peut pas parler de rivalité franco-anglaise dans le football est simple : les deux sélections ne se sont jamais affrontées en phase à élimination directe d’une grande compétition internationale. Il y a bien eu des chocs marquants, lors des Coupes du monde 1966 et 1982, et plus récemment à l’Euro, en 2012 et surtout en 2004, avec la victoire arrachée grâce aux deux buts de Zinédine Zidane dans le temps additionnel. Mais toutes ces rencontres ont eu lieu lors de la phase de groupes. « 2004, c’est un souvenir un peu amer pour pas mal de supporters anglais, à l’époque de cette génération dorée incarnée par Wayne Rooney. Mais les Anglais sont sortis du groupe et le match est resté anecdotique dans leur tournoi », explique Tom Williams.
Si l’Angleterre est le 3e adversaire ayant le plus battu les Bleus dans leur histoire (17 fois, derrière les 30 succès de la Belgique et les 18 de l’Italie), les confrontations ont été rares dernièrement. Les deux équipes ne se sont croisées que six fois au 21e siècle, la dernière fois en amical, en juin 2017 (victoire 3-2 de la France). Le match précédent, joué à Wembley quatre jours après les attentats du 13 novembre 2015, avait surtout montré l’amitié et la solidarité du peuple anglais. Le score final (2-0 pour les « Three Lions ») était quasi-anecdotique.
Vers l’ouverture du premier chapitre d’une grande rivalité ?
L’histoire récente a surtout rapproché ces deux grandes nations du football européen. Un homme en est l’instigateur et l’incarnation : Arsène Wenger. « Il a révolutionné Arsenal, qui était un club anglais très traditionnel. Son travail a amené le foot anglais d’une ère à une autre. C’est grâce à lui si des joueurs français fantastiques ont évolué en Premier League, des joueurs comme Robert Pirès, Thierry Henry ou plus récemment Olivier Giroud », insiste Nigel Adderley. 10 des 24 Bleus actuellement au Qatar ont déjà porté les couleurs d’un club anglais, cinq y évoluent encore.
Pour Bruno Constant, rien ne dit que le match de samedi change la donne : « Ca ne reste qu’un quart de finale. Ce n’est pas une demi-finale, au terme de laquelle tu prives ton adversaire d’une finale. Si le vainqueur est ensuite éliminé par le Portugal ou le Maroc, ce sera compliqué de lancer une grande rivalité historique ». Les trois journalistes en conviennent : à moins d’une grande injustice, de l’un ou de l’autre côté, ou d’un incident qui change le cours du match, il ne faut pas s’attendre à ce que « froggies » et « rosbifs » se déclarent la guerre.