Se dirige-t-on vers une confrontation en Afrique de l’Ouest ? La ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, a déclaré samedi 5 août sur franceinfo qu’il fallait « prendre très au sérieux la menace de recours à une intervention » militaire par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) au Niger.
Cette force régionale qui, regroupe 15 pays, s’est dite prête à intervenir contre les putschistes qui ont renversé le pouvoir le 26 juillet. Leur ultimatum pour le retour au pouvoir du président Mohamed Bazoum expire dimanche. Alors que le Niger est plongé dans une crise depuis ce coup d’Etat, franceinfo fait le point sur l’intervention militaire envisagée par la Cédéao.
1Comment cette opération militaire est-elle préparée ?
La Cédéao, qui a déjà imposé des sanctions financières et commerciales contre Niamey, avait donné le 30 juillet sept jours aux putschistes pour rétablir dans ses fonctions le président Mohamed Bazoum, renversé le 26 juillet, sous peine d’utiliser « la force ». Alors que cet ultimatum expire ce dimanche, les chefs d’Etat-major des pays de la Cédéao ont préparé une possible riposte lors d’une réunion, vendredi, à Abuja, au Nigeria.
« Tous les éléments d’une éventuelle intervention ont été élaborés », a ainsi déclaré le commissaire chargé des Affaires politiques et de la Sécurité, Abdel-Fatau Musah. Au programme : les ressources nécessaires, mais aussi la manière et le moment du déploiement de la force. « La Cédéao ne va pas dire aux putschistes quand et où nous allons frapper », a prévenu le dirigeant, évoquant une « décision opérationnelle qui sera prise par les chefs d’Etat » du bloc ouest-africain.
L’usage de la force par la Cédéao n’est que « la dernière option sur la table ». La résolution du conflit par la voie diplomatique continue d’être privilégiée. Mais les négociations semblent au point mort. La délégation de la Cédéao envoyée dans la nuit de jeudi à vendredi à Niamey en est repartie au bout de quelques heures seulement, sans avoir rencontré le chef de la junte, le général Abdourahamane Tiani, ni le président renversé et assigné à résidence.
2Qui pourrait y participer ?
« Plusieurs de ces pays disposent de forces robustes et ont fait savoir qu’ils étaient prêts à intervenir si c’était nécessaire », a soutenu Catherine Colonna samedi sur franceinfo. A ce jour, seuls « le Nigeria, le Sénégal et la Côte d’Ivoire se sont dits prêts à envoyer des soldats » qui pourraient intervenir au sein de la force commune de la Cédéao, a expliqué sur la chaîne franceinfo le journaliste Kalidou Sy, ancien correspondant de France 24 au Sahel. Beaucoup de pays membres de la Cédéao n’ont de leur côté pas annoncé publiquement leur participation ou non à cette intervention militaire. Le Tchad, qui n’appartient pas à la Cédéao mais partage une frontière avec le Niger, a annoncé qu’il n’y participerait pas.
« Sur le plan militaire, la Cédéao n’est aujourd’hui que la somme de ses composantes, analyse dans Libération Elie Tenenbaum, directeur du Centre des Etudes de Sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Il est difficile d’imaginer une opération pensée, planifiée et commandée par un état-major commun qui n’existe que sur le papier. » Les putschistes ont de leur côté promis une « riposte immédiate » à « toute agression » du bloc ou d’un de ses pays. De leur côté, le Mali et le Burkina Faso, deux pays dirigés par des putschistes à la suite d’un coup d’Etat en 2020 et 2022, ont annoncé dans un communiqué commun qu’une intervention contre Niamey serait assimilée à une « déclaration de guerre » à leur encontre. Ces deux Etats, encore membres de la Cédéao mais suspendus, ont été rejoints par la Guinée.
3Quels sont les risques d’une telle intervention ?
Même si la Cédéao est déjà intervenue militairement par le passé – avec sa force militaire Ecomog fondée en 1990, au Liberia, en Sierra Leone, en Guinée-Bissau, en Côte d’Ivoire, au Mali et en Gambie – sa capacité à se mobiliser reste incertaine. « Une opération de restauration du pouvoir se heurterait à trois obstacles, sur les plans opérationnels, stratégiques et politiques, juge le chercheur Elie Tenenbaum. Les armées de l’Afrique de l’Ouest cumulent les difficultés sur le plan matériel et sont orientées sur la sécurisation de leur propre territoire, et non pas sur une gestion de crise à l’extérieur de leurs frontières. »
« On ne sait pas combien de temps durerait une intervention militaire et quelles en seraient les conséquences », note de son côté le journaliste Kalidou Sy. Pour le rédacteur en chef Afrique à TV5 Monde Ousmane Ndiaye, interrogé par la chaîne franceinfo, « une intervention militaire pourrait faire courir des risques pour les populations civiles ». Au regard du droit international, la question du cadre légal d’une intervention se pose également sans un vote du Conseil de sécurité à l’ONU.
4Quelle est la position de la France ?
La France « appuie avec fermeté et détermination les efforts de la Cédéao pour faire échouer cette tentative de putsch », a écrit samedi, dans un communiqué, le ministère des Affaires étrangères, tandis que la ministre Catherine Colonna s’est entretenue avec le Premier ministre du Niger, Ouhoumoudou Mahamadou.
« Nous soutenons pleinement, comme tous nos partenaires, les efforts des pays de la région pour restaurer la démocratie au Niger », a ainsi rappelé sur franceinfo Catherine Colonna. Interrogée sur une éventuelle aide de la France à cette intervention militaire, la cheffe de la diplomatie française affirme que « nous n’en sommes pas là » et que ce sera aux « chefs d’Etat des pays de la région de prendre la décision d’intervenir et de fixer le cadre de cette éventuelle intervention ».
Alors qu’environ 1 500 militaires français sont présents au Niger, un départ de ces soldats n’est pas non plus « à l’ordre du jour », selon Catherine Colonna. Depuis le coup d’Etat du 26 juillet, la France a par ailleurs « suspendu [sa] coopération militaire et [sa] coopération civile » avec le Niger.