Au moment où la menace terroriste au nord de la Côte d’Ivoire se fait plus pressante, les autorités ivoiriennes ne doivent pas uniquement considérer la possibilité d’une réponse militaire. Le climat actuel doit servir de premier signal pour désamorcer cette situation avant la survenue d’un acte violent.
Les terroristes en Afrique de l’Ouest défient les paradigmes sécuritaires des États. Le credo religieux et les tactiques de dissimulation se conjuguent à d’autres facteurs, tels que l’implication de civils dans des projets militaires, l’atomisation et la pluralité des motivations. La guérilla mouvante et imprévisible observée en Côte d’Ivoire apparaît comme la conquête de la nouvelle frontière d’un califat déjà à l’œuvre au Sahel et au nord du Nigeria.
Après le choc de l’attaque de Grand-Bassam en 2016, la Côte d’Ivoire de 2021 se trouve confrontée à un jihadisme « discount » et de pure ruralité. À partir de rien, des groupuscules de quelque dizaines de membres mènent l’offensive et multiplient les gestes d’hostilité à l’égard du pouvoir central, alliant la coercition et la séduction, l’enracinement et la volatilité.
Terreau de la discorde
Les actions violentes, quoiqu’en progression continue, se concentrent, encore, dans la région du Bounkani, précisément le département de Téhini, contiguë au Burkina Faso. La zone concentre un ensemble exceptionnel de vulnérabilités – surnatalité, migration climatique, déforestation, orpaillage, destruction des écosystèmes, choc des modes de vie et des pratiques cultuelles – entre immigrants et autochtones. En s’imbriquant, elles composent un terreau idéal pour une exacerbation des discordes et le développement d’un extrémisme violent.
Depuis le début de l’année, les raids et les sabotages visent les positions de l’armée et les soumettent à rude épreuve. Le recours aux mines sur les routes démontre le niveau de préparation et de virulence des terroristes. La chronologie martiale, au lendemain de l’attaque de Kafolo en juin 2020, accrédite la thèse de la duplicité d’une frange de la population transfrontalière.
Les promesses financières des groupuscules en armes expliquent aussi leur succès auprès des habitants d’extraction modeste, en particulier les moins instruits. Bien en amont des combats, l’activisme de certains entrepreneurs ethno-islamistes se sert des rivalités intercommunautaires pour le contrôle des ressources locales, afin d’instiller l’idée d’une insurrection nécessaire.
D’une manière générale, le terrorisme islamiste inscrit insidieusement le combat dans une temporalité longue. Cette notion échappe à la plupart des services de renseignement. En Côte d’Ivoire, l’islamisme pré-jihadiste pose les jalons de l’action violente. L’intolérance se propage et bouleverse, en sourdine, les usages de convivialité et de diversité culturelle.
Un danger sous-estimé
Le septentrion, foyer du jihad en Côte d’Ivoire, se retrouve au cœur de l’effort du contre-terrorisme. Le pays, en danger, fait l’étalage de ses moyens militaires. Les forces régulières privilégient la réponse de l’engagement que l’ennemi leur impose. Pourtant, la menace dans les pays sahéliens et ceux du Golfe de Guinée vient avant tout de la dissémination d’un conditionnement mental encourageant à tuer et mourir au service d’une idée absolue. Aussi, la perspective du passage à l’acte guerrier, de la part d’un civil que rien ne destinait au martyre, se banalise dans certains discours. Il serait réducteur de n’expliquer la propagation du terrorisme uniquement par l’injustice, la corruption, la misère et l’abandon administratif.
Néanmoins, plus qu’au Burkina Faso, au Mali et au Niger, la Côte d’Ivoire possède le capital culturel, grâce à sa dimension multiconfessionnelle et, au brassage ethnique et culturel de sa population, indispensable à son salut. À condition que ses dirigeants s’en persuadent à temps et établissent – ensemble – les termes de l’union sacrée contre un danger largement sous-estimé, la victoire reste à portée.
Si l’État et les élites prennent la mesure du péril qui vient, en couplant approche préventive et gestion des urgences sécuritaires, la partie pourrait être gagnée. Il faudrait au préalable admettre et traiter la montée de l’extrémisme civil, qui précède l’attentat et, surtout, ne pas gommer le lien entre les deux.