Vote après vote, Israël peut compter sur son allié américain. Comme ce 8 décembre au Conseil de sécurité de l’ONU, où le représentant des Etats-Unis a été le seul à s’opposer d’une main levée à une résolution appelant au cessez-le-feu dans la bande de Gaza, pilonnée par l’armée israélienne depuis deux mois. De quoi provoquer la colère de l’Autorité palestinienne, irriter les Occidentaux, suscitant au passage l’indignation d’ONG telles que Médecins sans frontières (MSF) ou Amnesty International, comme l’a rapporté le magazine américain Time.
Quatre jours plus tard, lors d’une assemblée générale cette fois, les Etats-Unis ont à nouveau voté contre un appel à un « cessez-le-feu humanitaire » à Gaza, ce qui n’a pas empêché l’adoption de la résolution – non-contraignante – à une écrasante majorité par les Nations unies (153 votes pour, 10 votes contre et 23 abstentions).
« Ce vote américain est loin d’être une surprise », explique à franceinfo Brahim Oumansour, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste du Moyen-Orient. « Depuis l’émergence du conflit israélo-palestinien, les Etats-Unis se sont opposés à une dizaine de résolutions qui allaient contre les intérêts d’Israël », souligne-t-il.
Reste que, depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, Washington souffle le chaud et le froid face à ses partenaires. Après avoir promis d’aider l’Etat hébreu sur tous les fronts début octobre, le président américain appelle désormais à la retenue. « Je veux qu’ils [l’armée israélienne] se concentrent sur la préservation de la vie des civils [palestiniens]. Pas qu’ils s’arrêtent contre le Hamas, mais qu’ils fassent davantage attention », a-t-il par exemple déclaré le 14 décembre, cité par CNN.
Une alliance nouée en pleine guerre froide
Ces propos, froidement accueillis par l’état-major israélien, détonnent dans la bouche de Joe Biden, « un président très classique dans son soutien indéfectible à Israël », souligne Brahim Oumansour. Depuis plus d’un demi-siècle, c’est en effet une politique très généreuse que Washington mène vis-à-vis d’Israël, parfois à l’encontre de ses propres intérêts.
Tout n’a pourtant pas commencé sous les meilleurs auspices entre les deux pays. Proclamé en 1948, l’Etat d’Israël a été immédiatement reconnu par Washington, mais a fait l’objet d’un embargo américain sur les ventes d’armes. Et ce, malgré l’éclatement de la guerre israélo-arabe la même année. Ce n’est qu’en 1962 que le président démocrate John Fitzgerald Kennedy, fraîchement élu, a changé de cap en devenant « le premier à utiliser le terme d’alliance pour décrire la relation entre Israël et les Etats-Unis », explique Pascal Boniface, directeur de l’Iris, dans une vidéo d’analyse mise en ligne fin novembre.
En plein réchauffement de la guerre froide, l’embargo qui visait Israël a alors été levé, étape majeure du rapprochement voulu par Kennedy « pour renforcer la présence américaine au Proche-Orient dans le cadre de la rivalité avec l’Union soviétique », détaille Pascal Boniface. A cette époque, Moscou coopérait notamment avec deux pays voisins d’Israël : l’Egypte et la Syrie.
« Pour les Etats-Unis, soutenir Israël permettait d’endiguer le communisme au Proche-Orient, tout en empêchant une autre puissance régionale de se former. »
Brahim Oumansour, chercheur à l’Irisà franceinfo
Au fil des années 1960 et 1970, de peur de se fâcher avec les pays arabes, Washington a épaulé avec discrétion l’Etat hébreu, impliqué dans plusieurs guerres successives. Jusqu’au début des années 1990, les Etats-Unis ont ainsi multiplié les dons et ventes d’armes, ainsi que des prêts financiers à taux préférentiels.
Plusieurs milliards d’aide militaire chaque année
Depuis les mandats de Bill Clinton à la Maison Blanche (de janvier 1993 à janvier 2001), le soutien de Washington à l’Etat israélien a pris une nouvelle forme : celle des « mémorandums d’entente » (ou MOU, pour « Memorandum of Understanding »), des accords de coopération militaire et financière étalés sur dix ans. Le dernier en date est entré en vigueur en 2019 sous Donald Trump, et court jusqu’à l’année 2028.
Ces accords de long terme ont permis à l’armée israélienne de mettre la main sur du matériel dernier cri. Avions de chasse F-35, hélicoptères de combat, missiles balistiques… Les armes fournies par les Américains affluent en continu vers l’Etat hébreu, au nom du principe de « l’avantage qualitatif militaire » (« Qualitative Military Edge »), qui prévoit « qu’Israël doit toujours être mieux armé que les autres pays et capable de se défendre contre ses voisins », détaille Brahim Oumansour.
Parmi les systèmes cofinancés par les Etats-Unis, figure le « Dôme de fer », ce réseau de batteries anti-aériennes capable d’intercepter les roquettes tirées par des groupes terroristes sur les villes israéliennes. Au total, d’après une note (en PDF) du Congrès américain datant du 1er mars 2023, les Etats-Unis ont envoyé plus de 150 milliards de dollars d’aide à Israël depuis les années 1940, dont la majeure partie (plus de 78%) a servi à acheter des armes et du matériel militaire.
Dans les grandes lignes, les Etats-Unis justifient leur soutien à Israël en invoquant « des objectifs stratégiques communs au Moyen-Orient » ainsi qu’« un engagement (…) en faveur des valeurs démocratiques », comme l’a rappelé le Congrès américain en mars. Pour Washington, la région a toujours été hostile.
« En 1979, la révolution iranienne a fait perdre aux Etats-Unis leur principal allié dans le golfe arabo-persique, ce qui les a conduits à renforcer encore leur partenariat avec Israël. »
Pascal Boniface, directeur de l’Irisdans une vidéo d’analyse publiée sur YouTube
A partir des attentats du 11-Septembre, l’invasion américaine en Afghanistan puis en Irak a également gravement écorné l’image des Etats-Unis dans le monde arabo-musulman. Tout comme la tolérance accordée aux colonies israéliennes en Cisjordanie. « A quelques exceptions près, les Etats-Unis n’ont jamais dénoncé la colonisation », souligne le chercheur Brahim Oumansour, malgré les appels à une solution à deux Etats, encore lancés par Joe Biden ces dernières semaines.
« Israël reste un socle de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient »
Autre « paradoxe » pointé par l’expert de l’Iris : dans la région, Washington s’est isolé tout en se constituant un puissant partenaire. « Israël reste un socle de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient », explique le chercheur, qui cite « l’autonomie croissante de l’industrie de défense israélienne » ainsi que « la force des services de renseignement » du pays, sur lesquels les Etats-Unis peuvent s’appuyer.
Après tant d’investissements et de coopération, tout changement de politique s’avèrerait aujourd’hui coûteux pour Washington. « Si les Américains venaient à lâcher Israël, le risque serait que le pays se rapproche d’autres puissances, comme la Russie ou la Chine, avec lesquelles il signe aussi des accords bilatéraux », note le spécialiste. D’ailleurs, malgré les mises en garde des dernières semaines et l’appel répété pour une aide humanitaire accrue à Gaza, l’administration américaine a confirmé, lundi 18 décembre, qu’elle allait continuer de fournir des armes à son allié historique.
Malgré des dissensions entre les gouvernements Nétanyahou et Biden ces derniers mois, sur la question du nucléaire iranien ou des réformes judiciaires en Israël, les attaques du 7 octobre ont « déclenché un réalignement immédiat entre Washington et Tel Aviv », note Pascal Boniface.
Il n’y a pas que dans les couloirs de l’ONU que les relations entre les deux pays font l’objet d’intenses débats, à la lumière de ce qui se déroule depuis près deux mois et demi dans la bande de Gaza. Dans la sphère politique américaine, le conflit israélo-palestinien mobilise des groupes importants et se révèle être un enjeu électoral spécifique.
Une brûlante question nationale aux Etats-Unis
Depuis sa création en 1963, le Comité sur les affaires publiques des Etats-Unis et d’Israël (Aipac), un puissant lobby pro-israélien, tente par exemple de peser dans le débat national en injectant de larges sommes d’argent dans les campagnes de tous bords. Ses messages trouvent un écho dans la communauté juive du pays, mais aussi chez de nombreux élus du Parti républicain.
« L’électorat républicain est en grande partie issu de la droite chrétienne américaine, qui est très sioniste pour des raisons religieuses », explique Laurence Nardon, directrice de programme à l’Institut français des relations internationales (Ifri), dans son podcast « New Deal ». « Ainsi, les responsables républicains sont pro-israéliens et pro-Nétanyahou », ajoute-t-elle.
Favori de la droite pour la prochaine élection présidentielle américaine, Donald Trump ne déroge pas à la règle. « Je suis d’abord pour Israël », déclarait fin octobre l’ex-président au journal conservateur Free Beacon, appelant au passage à muscler l’aide militaire en faveur de l’Etat hébreu.
De quoi plaire à sa base électorale. Dans une récente enquête du Pew Research Center, 59% des républicains interrogés estiment qu’Israël adopte « la bonne approche » dans son opération militaire à Gaza. Parmi ces soutiens, près de la moitié jugent que l’armée israélienne, accusée par le Hamas d’avoir tué près de 20 000 personnes depuis sa riposte dans l’enclave palestinienne, « ne va pas assez loin ».