La communauté internationale n’a pas tardé à réagir au retour au pouvoir des talibans. Si certains regrettent leur victoire, d’autres affichent une position plus ambivalente.
Vingt ans après leur départ forcé du pouvoir, les talibans sont à nouveau à la tête de l’Afghanistan. Dimanche 15 août, les fondamentalistes islamistes sont entrés dans la capitale. La prise de Kaboul marque la fin d’une opération éclair. « La guerre est finie », ont-ils clamé dimanche, revendiquant la victoire. « À présent, nous devons montrer que nous pouvons servir notre nation et assurer la sécurité et le confort dans la vie », a déclaré dans la foulée le mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateur du mouvement, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux.
Les talibans défendent une application stricte de la charia, la loi islamique, allant jusqu’à bafouer les droits humains. Ils avaient été chassés en 2001, après avoir refusé de livrer aux Américains Oussama Ben Laden, le leader d’Al-Qaïda, responsable de l’attentat du 11 septembre, qui se cachait dans le pays. Une coalition internationale, menée par les Etats-Unis, avait alors réussi à prendre le contrôle de l’Afghanistan, lors d’une offensive éclair. Deux décennies plus tard, les Américains ont retiré leurs troupes et les talibans ont rapidement reconquis le pays, au grand dam de la communauté internationale. Si les Occidentaux – Union européenne et Etats-Unis en tête – ne cachent pas leur préoccupation, d’autres pays adoptent une position plus ambiguë, voire conciliante vis-à-vis des nouveaux hommes forts du pays : c’est notamment le cas de la Chine, de la Russie, du Pakistan ou encore de la Turquie.
La Chine entretient depuis 2019 des échanges avec les talibans
La Chine a été le premier pays à faire un pas vers les talibans. Lundi 16 août, Pékin a déclaré vouloir entretenir des « relations amicales » , déclarant respecter « le droit du peuple afghan à décider de son propre destin et de son avenir ». L’annonce faite par une porte-parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying, devant la presse était prévisible : le pays, qui partage 76 km de frontières avec l’Afghanistan, n’a pas évacué son ambassade, qui « continue de fonctionner normalement ».
Pékin avait entamé dès septembre 2019 des discussions avec les talibans, dont une délégation avait été reçue à l’époque en Chine. Le n°2 des talibans, le mollah Abdul Ghani Baradar, s’était notamment entretenu avec le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi.
Pourtant, début juillet, la Chine avait rapatrié un peu plus de 200 de ses ressortissants d’Afghanistan et avait vivement critiqué le retrait des troupes américaines, le jugeant « irresponsable ». Pékin souhaite avant tout éviter une guerre civile chez son voisin et espère poursuivre ses projets économiques, dans le cadre de son grand projet d’infrastructures des « Nouvelles routes de la soie ». Mais faute de sécurité, les investissements chinois sont restés modestes : ils s’élevaient à 4,4 millions de dollars en 2020, selon le ministère chinois du Commerce.
L’ambassadeur russe veut poursuivre un dialogue
La Russie fait également partie des pays qui n’ont pas fermé la porte à une reconnaissance du régime taliban. « La reconnaissance ou non va dépendre des agissements du nouveau régime », a fait savoir, lundi 16 août, l’émissaire du Kremlin pour l’Afghanistan, Zamir Kaboulov, au micro de la radio Echo de Moscou. Le pays fait partie des rares à ne pas avoir évacué son ambassade durant le week-end, après l’entrée des talibans à Kaboul.
Plus tard dans la journée, le ministère russe des Affaires étrangères a confirmé avoir établi des « contacts de travail avec les nouvelles autorités » à Kaboul. « La situation à Kaboul et en Afghanistan se stabilise. Les talibans procèdent au rétablissement de l’ordre public et ont confirmé des garanties de sécurité pour les civils locaux et les missions diplomatiques », s’est félicité le ministère.
Bien que considérée comme organisation « terroriste » par la Russie, Moscou entretient des relations directes avec les talibans dont les émissaires ont été reçus dans la capitale russe ces derniers mois et ces dernières semaines. L’ambassadeur de Russie à Kaboul, Dmitri Jirnov, va même rencontrer les talibans mardi, a fait savoir l’émissaire russe. De leur côté, les talibans « ont une nouvelle fois garanti qu’ils ne toucheront pas à un cheveu d’un diplomate russe », s’est réjoui l’ambassadeur sur la chaîne publique russe de télévision Rossiya-24.
Pour les Russes, cette volonté de dialogue vise avant tout à s’assurer que les talibans ne fassent des émules dans la région. Moscou souhaite éviter à tout prix une déstabilisation de sa zone d’influence en Asie centrale et la réimplantation d’un terrorisme international sur son flanc sud : « Si nous voulons la paix en Asie centrale, il faut nous entendre avec les talibans », résume ainsi Nikolaï Bordiouja, ex-secrétaire général de l’Organisation du traité de sécurité collective, une alliance militaire régionale dominée par la Russie.
Le Pakistan, soutien de longue date des talibans
Le Pakistan, voisin de l’Afghanistan, est vu comme un soutien de longue date des talibans. De nombreux membres du mouvement ont été initialement formés dans des madrasas (écoles coraniques) au Pakistan et certains officiels du mouvement y sont retournés après la débâcle de 2001. Par ailleurs, le pays faisait partie des trois seuls Etats, avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, à avoir reconnu le gouvernement des talibans quand il était au pouvoir entre 1996 et 2021.
Le gouvernement pakistanais est par ailleurs accusé d’avoir aidé, notamment via l’ISI (Inter-Services Intelligence), ses services secrets, à la progression récente des talibans. Jeudi 15 juillet, l’ex-premier vice-président afghan, Amrullah Saleh, reprochait sur Twitter au Pakistan de fournir un « appui aérien rapproché aux talibans dans certaines zones », rapporte Le Monde (article payant). Quelques mois plus tôt, il déclarait même, dans les colonnes du journal, que « sans le Pakistan, les talibans ne pourraient pas tenir plus de six mois ». L’ex-président afghan Ashraf Ghani ne mâchait pas lui non plus ses mots et accusait même son voisin d’envoyer des milliers de jihadistes soutenir les insurgés afghans.
Le gouvernement d’Islamabad a jusqu’à présent rejeté en bloc ces accusations, et ne s’est pour l’instant pas prononcé sur la position qu’il allait tenir à l’encontre du pouvoir taliban. Moeed Yusuf, conseiller pakistanais sur les questions de sécurité, refusait ainsi de dire début août si le Pakistan reconnaîtrait un gouvernement taliban installé par la force, affirmant que son gouvernement souhaitait davantage voir un gouvernement « inclusif » s’installer à Kaboul, rapportait le 10 août ABC News (en anglais).
La Turquie laisse planer le doute
La Turquie, qui essaie depuis une vingtaine d’années de reconstituer son influence en Asie centrale, adopte elle aussi une position ambiguë. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’en est pris en juillet directement aux talibans, qualifiant leur récente avancée éclair d’« occupation » du territoire afghan, rappelle La Croix (article payant). Le pays a déployé plusieurs centaines de militaires sur place, et proposé aux Etats-Unis de prendre en charge la sécurité de l’aéroport de Kaboul après leur retrait, en échange d’un soutien logistique et financier.
Toutefois, après la prise de Kaboul, Ankara a annoncé qu’elle souhaitait œuvrer avec le Pakistan à une stabilisation de la situation dans le pays, afin d’enrayer un afflux de réfugiés en provenance de ce pays en guerre. « La Turquie est confrontée à une vague migratoire croissante d’Afghans qui transitent par l’Iran. Nous allons continuer de fournir des efforts pour permettre le retour de la stabilité dans la région, à commencer par l’Afghanistan », a déclaré le président turc, se disant prêt à rencontrer le chef des talibans pour des discussions