Bruno Fuchs: «Il est temps pour la France de changer de position et de solder la page post-coloniale»
4 octobre 2024
C’est ce vendredi matin que s’ouvre le XIXe sommet de la francophonie, à Villers-Cotterêts, près de Paris. Au menu, la guerre au Liban, bien sûr, mais aussi le conflit entre la RDC et le Rwanda, ainsi que les relations houleuses entre l’OIF et trois pays sahéliens, le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Pourquoi ces pays restent suspendus de l’organisation alors que la Guinée qui a connu, elle aussi, un coup d’État, vient d’être réintégrée ? Le député centriste français Bruno Fuchs vient de présenter un plan stratégique pour le développement de la francophonie. De retour de Conakry, il répond à Christophe Boisbouvier.
RFI : Bruno Fuchs, au Rwanda il y a quinze ans, en Algérie aujourd’hui, le français est attaqué parce qu’on veut punir la France. Comment mettre fin à cette prise en otage de la langue française ?
Bruno Fuchs : Alors d’abord, il faut montrer que le modèle que propose l’espace francophone, donc le modèle de vie, est un modèle beaucoup plus vertueux : sur la situation des femmes, sur les dettes publiques, sur la capacité à aider l’entrepreneuriat, la fracture numérique… Enfin, il y a beaucoup, beaucoup de sujets sur lesquels personne d’autre ne fait ça. Et concernant la France, on a énormément de choses que d’autres ne font pas, mais qui ne sont pas du tout valorisées ou connues, parce qu’on a un certain nombre de chiffons rouges, en tout cas, qui font qu’on se polarise là-dessus : la présence militaire, la condescendance, la question des visas. Donc, j’ai listé ces sujets-là, il faut les éradiquer, il faut les supprimer et, à partir de là, retrouver une nouvelle relation beaucoup plus partenariale, beaucoup plus respectueuse. Et il est temps à présent pour la France de changer de position, de solder la page de plusieurs époques qui se sont déroulées depuis la période post-coloniale. Et il faut donc régler très clairement la question du franc CFA, la question de la présence militaire, la question des visas, la question de la mobilité. Quand vous êtes en Guinée, que vous êtes avec un partenariat russe depuis les années 60, vous voyez bien que les Russes ont construit zéro écoles, zéro routes, zéro hôpitaux. Ils ne sont là que pour prendre les matières premières pour eux. Donc une fois qu’on aura éliminé ces irritants, ces chiffons rouges, on verra bien que la France, et la francophonie plus largement, a un modèle beaucoup plus vertueux au bénéfice des citoyens. Et là je pense qu’on inversera la logique et les citoyens reviendront plus vers l’espace francophone dans lequel il y a la France, mais pas uniquement la France.
Vous parlez de la mobilité, l’avenir de la francophonie, c’est aussi justement la possibilité de voyager entre pays francophones. Mais à l’heure où on érige des barrières contre les migrants, est-ce que ce n’est pas une gageure ?
C’est un paradoxe ou une contradiction en tout cas. Et donc, si vous allez au consulat de Chine et que dans l’après-midi vous repartez avec un visa, vous allez en Chine ! S’il vous faut neuf mois ou des tas de procédures compliquées avec la France, vous irez en Chine, voilà… Il y a des choses extrêmement pratiques et c’est vrai que la France ne donne pas le meilleur exemple. Il faut rester dans un contrôle de l’immigration, mais il faut des règles précises. Et je dis que, tant qu’on n’aura pas réglé la question des règles de mobilité… Ce n’est pas une mobilité permanente pour tout le monde, parce que là, c’est impossible de le faire aujourd’hui, il faut que ce soit à flux constant et il faut des règles claires de mobilité, peut-être pour les professeurs, peut-être pour les sportifs, peut-être pour les chefs d’entreprise.
Les étudiants ?
Les étudiants, bien évidemment. Quand vous avez un chef d’entreprise qui est en Côte d’Ivoire – c’est une vraie histoire – et qui a son visa neuf fois de suite et la dixième, on lui refuse, il ne peut pas comprendre, c’est impossible.
En Afrique de l’Ouest, quatre pays ont été suspendus de l’OIF pour coup d’Etat. Mais l’un des quatre, la Guinée, vient d’être réintégré, alors que les deux grandes figures de la société civile, Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, ont disparu depuis trois mois. Est-ce que ce n’est pas contradictoire avec les valeurs de la francophonie ?
Je pense qu’il faut voir les questions en dynamique. On a une junte dont on pense aujourd’hui qu’elle est dans la volonté d’un retour à l’ordre constitutionnel. Et donc vous avez deux choix, soit vous leur dites : « on attend et puis quand vous le serez, eh bien on jugera », c’est une position un peu difficile à tenir aujourd’hui… Soit vous les accompagnez. Et on fait le pari de l’accompagnement, parce que si ce n’est pas vous qui les accompagnez, d’autres vont le faire. Donc on a en Guinée un processus qui devrait aboutir dans quelques mois. Et en les accompagnant, on pense qu’il va atterrir plus facilement. En Guinée, j’y suis allé moi, au mois de juillet justement pour voir la situation. On a une Constitution qui est extrêmement solide, très charpentée, dans laquelle, par exemple, il n’y a pas la peine de mort, dans laquelle il y a l’interdiction des mutilations génitales, par exemple. Donc, il y a des avancées très fortes dans cette Constitution. Et on a deux sujets principaux aujourd’hui en Guinée, qui sont : la question des médias, des médias qui ont été fermés de façon extrêmement brutale, donc j’ai vu le ministre des Affaires étrangères, j’ai vu le Premier ministre, j’ai vu le président de l’Assemblée nationale, j’ai demandé à avoir des informations pour savoir ce qui s’est passé. Et puis la question de la disparition de deux civils guinéens, c’est extrêmement inquiétant. Personne n’a de nouvelles et, là aussi, on a demandé, je pense que l’OIF le fait également, des informations précises. On ne peut pas continuer ce processus si on n’a pas les informations sur ces deux personnes et si elles ne reviennent pas très vite dans l’espace public.
Mais n’est-ce pas prématuré de réintégrer la Guinée avant même qu’on sache ce que sont devenus Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah ?
C’est une décision de l’ensemble des membres de l’OIF, donc il y a eu un consensus là-dessus. Mais ces deux personnes, on doit très vite avoir des nouvelles de la part des dirigeants de la Guinée, bien sûr.
Rfi